La couleur des sentiments. Kathryn STOCKETT – 2010 + Film

Publié le 21 Janvier 2018

La couleur des sentiments

 

Kathryn STOCKETT

Editions Jacqueline Chambon / Actes Sud, septembre 2010

Traduction de l’américain par Pierre GIRARD

 

Publié aux États-Unis sous le titre « The Help » en 2010

528 pages

 

Thèmes : Etats-Unis, ségrégation, Témoignages, Amitié, Ecriture, Liberté

 

Lecture Commune avec Magali.

 

C’est grâce à mes belles-sœurs, étonnées que je ne connaisse pas ce roman – d’autant que le sujet m’intéresse beaucoup, que j’ai pu le lire ! Merci de me l’avoir mis entre les mains !

 

Je vous propose d’accompagner cet article de la bande-originale du film, issu de ce roman.

Ce (premier) roman de Kathryn Stockett nous entraîne dans la ville de Jackson, Mississipi, entre 1962 et 1964.

Les lois raciales « Jim Crow » font autorité, mais les changements en gestation, relayés par les informations nationales, entraînent de plus en plus de violences.

 

Dans cette ville du Sud, les Blancs et les Noirs se côtoient tout en s’ignorant et se méprisant.

Mais les seconds se trouvent sous la coupe des premiers.

 

Kathryn Stockett nous immerge dans leurs deux sociétés féminines, dans lesquelles la violence n’est pas faite de coups mais de mots, de sous-entendus, d’insinuations, de secrets.

 

Les Blanches emploient des Noires pour élever leurs enfants, faire leur ménage, leur cuisine, tenir leurs réceptions, entretenir leur oisiveté et les apparences, si essentielles. Et ces Noires n'ont bien sûr rien à dire et tout à endurer.

Et même s’il existe des exceptions, on n’en parle pas, aborder les sentiments est tabou.

Fortunées, profitant des progrès technologiques, les Blanches n’ont pourtant pour seul avenir, et souvent, ambition, que celle de leur mère : le mariage…

 

C’est dans ce contexte que nous rencontrons  Aibileen Clark, Minny Jackson et Miss Eugenia Phelan, surnommée "Skeeter".

 

Chacune parle à tout de rôle, ce qui nous permet de mieux cerner leur caractère, connaître leurs points de vue, leurs atermoiements, leurs espoirs, leurs peurs, la réalité de leur vie professionnelle et privée.

J’adore ce concept multifocal qui apporte beaucoup de rythme, de suspense, de tension aussi, à l’histoire.

 

Aibileen a une bonne cinquantaine d’années.

Elle a travaillé chez nombre de Blancs, a toujours quitté ses emplois avant que les (17) enfants dont elle s’occupait ne commencent à trop voir la différence entre elle et eux : la couleur.

Là, elle est bonne chez Miss Elizabeth Leefolt, et s’occupe notamment de la petite Mae Mobley, 2 ans au début du récit. Elle lui raconte des histoires d’égalité, l’encourage et lui accorde l’attention que sa mère lui refuse.

"Aibileen : Aujourd’hui, je vais te raconter l’histoire d’un extra-terrestre. (…) Un jour, un martien plein de sagesse descendit sur la Terre pour nous apprendre une ou deux choses.
Mae Mobley : Un martien ? Grand comment ?
Aibileen : Oh environ deux mètres !
Mae Mobley : Comment il s’appelait ?
Aibileen : Martien Luther King. (…) C’était un très gentil martien ce Luther King,
exactement comme nous, avec un nez, une bouche et des cheveux sur la tête, mais les gens le regardaient parfois d’un drôle d’air, et je crois qu’il y en avait qui étaient carrément méchants avec lui.
Mae Mobley : Pourquoi Aibi ? Pourquoi ils étaient méchants avec lui ?
Aibileen : Parce qu’il était vert. »

Je lui explique que c'est pas la couleur de l'emballage qui compte mais ce qu'il y a dedans.

Minny a une quarantaine d’années, cinq enfants, un mari (Leroy) violent, une « grande gueule », est excellente cuisinière et travaillait chez Miss Walters avant que sa fille, Hilly Holbrook – Présidente de la Ligue des femmes de la ville, ne la place dans une maison spécialisée, et ne congédie Minny pour une raison aussi fausse qu’invérifiable : le vol.

Grâce à Aibileen et à un mensonge, elle trouve une nouvelle place chez Célia Foote, qu’aucune Blanche ne souhaite côtoyer. La faute à des origines modestes, une réputation de fille facile et une apparence jugée vulgaire.

 

Miss Skeeter a 23 ans, est grande ( trop grande au goût de sa mère), fine, les cheveux bouclés, et n’a pas de petit-ami mariable en vue. Elle aura une relation avec Stuart Whitworth (le fils du sénateur) mais elle ne pourra aboutir à quelque chose de plus concret.

Elle a grand hâte de revoir Constantine, bonne qui l’a élevée (à défaut de sa mère, considère-t-elle), mais elle n’est plus là à son retour, remplacée par Pascagoula.

L’explication fournie par sa mère est aussi brève que le questionnement de Skeeter est grand et son désarroi profond.

Elle revient de la fac et souhaite devenir écrivain, et postule pour cela dans des maisons d’éditions.

C’est Elaine Stein, éditrice new-yorkaise chez Harper & Row, qui lui conseille de trouver un emploi dans le journal local et d’écrire en parallèle sur ce qu’elle voit, ressent, et principalement sur ce qui (la) dérange.

"Qu'est-ce qui vous a donné cette idée d'interroger des bonnes à tout faire ? Je suis curieuse de le savoir." [...]
"Eh bien..." J'ai pris une seconde pour respirer. "Je voudrais écrire ceci en prenant le point de vue des bonnes. Les Noires d'ici." J'essayais de me représenter les visages de Constantine et d'Aibileen. "Elles élèvent un enfant blanc, et vingt ans après l'enfant devient leur employeur. Le problème, c'est qu'on les aime, et qu'elles nous aiment, et pourtant..." J'avais la gorge sèche et ma voix tremblait. "Nous ne les autorisons même pas à utiliser les toilettes de la maison."

C’est avec ce conseil, le recul pris par ses années de fac par rapport à cette ville et ses amies, une proposition de loi « sanitaire » de Hilly (les Noires doivent avoir des toilettes séparées de celles utilisées par les Blancs) et le récit d’Aibileen sur le projet de son fils mort accidentellement que Skeeter trouve le sujet de son livre.

Un projet fou, insensé, dangereux qui va lui permettre de changer sa vie… et par voie de conséquence celle d’autres personnes.

 

Elle veut écrire un livre de témoignages, celui des Noires travaillant pour les Blanches, écrire sur leur vie, leur quotidien, leur travail, la reconnaissance ou son inverse, leurs espoirs et leurs sentiments.

 

C’est grâce à la chronique ménagère de « Myrna » que Skeeter se rapproche d’Aibileen, qu’elles vont apprendre à se connaître, s’apprécier, échanger, écrire (Aibileen a fait des études et a une belle plume).

 

Le roman nous dévoile alors le long cheminement de l’écriture, de persuasion des autres bonnes, les évènements qui précipitent les décisions, que ce soit à l’échelle individuelle, politique ou nationale : le passage à tabac d’un jeune, l’assassinat de l’activiste local en faveur de l’égalité des Droits, celui de Kennedy, la marche de Martin Luther King, l’entrée dans une fac blanche d’un Noir…

Nous lecteurs sommes immergés dans l’action, la prise de risques, l’espoir…

Puis quand le livre paraît, sous le titre « The Help », on attend les inévitables retombées avec un brin d’excitation et beaucoup d’anxiété.

 

Certains passages sont vraiment drôles et allègent ceux qui sont oppressants.

Enigmes, questionnements parsèment l’intrigue, et tous trouvent réponse.

Ce roman est vraiment passionnant !

Et avec lui, vous ne verrez plus les tartes au chocolat de la même façon !

 

Kathryn Stockett nous explique la genèse de son livre en postface et qui a un lien direct avec sa propre histoire.

« Je suis à peu près certaine de pouvoir dire qu’aucun membre de notre famille n’a jamais demander à Demetrie ce qu’on ressentait quand on était une Noire travaillant pour une famille de Blancs dans le Mississippi. Il n’est jamais venu à l’idée d’aucun d’entre nous de lui poser cette question. C’était la vie de tous les jours. Ce n’était pas une chose sur laquelle les gens se sentaient obligés de s’interroger.

"N'était-ce pas le sujet du livre ? Amener les femmes à comprendre. Nous sommes simplement deux personnes. Il n'y a pas tant de choses qui nous séparent. Pas autant que je l'aurais cru."

Sa plume très visuelle a donné lieu à un film éponyme, paru en 2011 sous la direction de Tate Taylor.

Nous l’avons vu avec ma fille, en anglais sans sous-titres (merci à ma sœur !). Heureusement que j’avais lu le roman peu avant et que son souvenir est si prégnant !

Octavia Spencer, l’actrice qui campe Minny a ma préférence, elle est géniale ! Ma fille l’a reconnue car elle a joué aussi dans « Les figures de l’ombre », film vu avec le collège.  

Jouent aussi avec elle Emma Stone (Skeeper), Jessica Chastain (Celia), Viola Davis (Aibileen), Brice Dallas Howard (Hilly).

 

Le film est très fidèle au roman, mais de nombreuses ellipses ou arrangements le parsèment… Les sentiments et caractères de chacune ne ont pas autant explorés, parfois à peine survolés. C’est à la fois normal et dommage.

Il est à voir, mais après avoir lu le roman – comme toujours !

De dos: Hilly; à sa gauche, Elizabeth Leefolt, puis Skeeter.

Aibeleen

Skeeter, Aibieleen et Minny dans la cuisine d'Aibileen

Qu’a pensé Magali du roman ? La réponse ICI.

Ce roman participe au Challenge des Douze Thèmes du Salon des Précieuses, ainsi qu’au « Petit Bac 2018 » d’Enna pour ma deuxième  ligne, catégorie Couleur.

 

 

 

 

 

 

 

 

"Il n'est pas de sujet plus risqué pour un écrivain du Sud que l'affection qui unit une personne noire et une blanche dans le monde inégalitaire de la ségrégation. Car la malhonnêteté sur laquelle est fondée une société rend toute émotion suspecte, rend impossible de savoir si ce qui s'est échangé entre deux personnes était un sentiment loyal, de la pitié ou du pragmatisme."
Howell Rains

 

Pour lire et découvrir d’autres ouvrages sur l’esclavage, quelques autres chroniques du blog :

Belles lectures et découvertes,

Blandine.

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E
J'ai vu le film ....envie de le lire aussi....
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B
Je te recommande grandement le livre, plus complet, plus profond!
N
Ah oui !! La "fameuse" tarte au chocolat... J'avais oublié ce détail "croustillant" !! Un roman que j'ai beaucoup aimé également. Je n'ai pas vu le film par contre.
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B
Hihi!<br /> J'ai fait une tarte au chocolat pour le goûter, cela n'a pas manqué de faire tiquer et rire ma fille^^
L
J'ai toujours hésité à me lancer dans ce livre. Pourtant, je n'ai pas peur des gros volumes. Ton avis m'a un peu plus poussée vers l'envie de le dévorer? En tout cas, j'espère qu'un jour je le lirai !!<br /> <br /> Et puis, je dois bien reconnaitre que ton article est super bien rédigé et visuellement plutôt agréable ! Bonne continuation.<br /> <br /> L'écureuil.
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B
Merci! Et bonne future lecture à toi ;-)
P
J'aime aussi beaucoup ce livre et le film, de vraies références :-)
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B
Tout à fait! sa réputation de best-seller (sans péjoration aucune) n'est pas volée!)