Entends ma voix. Zelda LOCKHART - 2024
Publié le 27 Février 2024
Entends ma voix
Zelda LOCKHART
Traduit de l’anglais (USA) par Laura DERAJINSKI
HarperCollins, 7 février 2024
352 pages
Thèmes : Etats-Unis, Condition des Noirs, Transmission, Mémoire, Famille, Violences
Au fil de ce roman et de ses parties, nous sommes aux côtés de Lottie, toute jeune femme, déjà mère de deux garçons, Bennie et Lennard, "vendue" et mariée à 12 ans à un homme bien plus âgé qu'elle, qui la bat elle et ses enfants et qui se sauvera comme elle peut, avant de mourir tragiquement.
Puis nous sommes avec Bennie qui a fui ses douleurs en s'engageant dans l'armée, pensant se sauver, il a abandonné son frère aux affres paternelles et s'est perdu dans les atrocités de la guerre. Revenu aux pays « dans le rôle de survivant et de négro », il a cru trouver un salut avec Rebecca, avec qui il a eu Benjamin Junior, dit B.J. Mais là encore, le malheur a frappé et B.J fut recueilli par son oncle Lennard, qui a rejoint son demi-frère aîné James, patron de bar et très engagé religieusement à Saint-Louis.
Lui-même devenu professeur de mathématiques, Lennard pense que le salut de son neveu repose sur l'éducation et la religion et ne le laisse pas s'exprimer sur le passé et ses douleurs. Autant par pudeur, incompréhension et préservation personnelle. Porteur de traumatismes incompréhensibles qu'il ne peut exprimer, BJ s'engagera à son tour dans l’armée, va partir en Corée où il va officier au sein de La Tempête, unité d’élite meurtrière, reviendra traumatisé sans l’admettre, avant de trouver du repos auprès de Sheila, puis, surtout, dans des silences et absences toujours plus nombreux.
Naît Lottie Rebecca Lee, nommée ainsi en hommage à ses aïeules, héritière des Voix du passé, si noire qu'elle est surnommée "Bébé de Goudron". Si mystérieuse avec ses crises, ses refus, ses réflexions qui n'ont rien d'enfantin.
A 18 ans, elle décide de partir au Ghana, comme le lui ordonnent les Voix. Sa mère l'accompagne sur la Terre des Ancêtres, là où le traumatisme originel a eu lieu, celui de la traite négrière et de l’esclavage. Mais le périple ne s'arrête pas là et Lottie Rebecca revient ensuite sur les terres usurpées, celles du Mississipi rural pour apaiser les Esprits et mettre un terme à la reproduction des schémas de douleurs.
Pourquoi fallait il que je sache tant de choses et que j'en porte le fardeau ?
Ce roman nous permet d'être tour à tour aux côtés des différents membres de cette famille entre 1939 et 2003. Il nous montre l'héritage des violences et des traumatismes au-delà des générations par le biais d'une Voix qui s'exprime à chaque début de chapitre, en italique.
Et tout en progressant dans le temps, nous remontons les générations, parcourant les chemins empruntés, de la Caroline du Nord au Mississippi rural, en Corée et au Vietnam, jusqu'à la terre originelle du Ghana, là où la Voix prend racine, là où les traumatismes commencent, là où tout peut trouver sens et se résoudre.
Tout lui parut soudain plus limpide : la présence de la peur et du mal dans les yeux des hommes de sa famille, des hommes qui s'efforçaient de demeurer immobiles, de véhiculer force et courage, plutôt que de transmettre des histoires d'os brisés et de crânes fendus qui s'entrechoquaient avec leur douleur en un mouvement perpétuel.
Ce roman est un réquisitoire contre l'Amérique blanche qui a exploité l'Homme Noir, et qui continue de le faire sous d'autres formes. Il nous montre les difficultés à trouver un exutoire aux violences multiples subies et transmises (violences physiques, sociales, ségrégationnistes, économiques), et cherche à trouver comment en parler, à comment les affronter plutôt que de vouloir les réprimer.
Il est une ode à la Femme Noire, Mère et réceptacle de la Mémoire et de la Parole, où l'Esprit se manifeste pour la Guérison de tous (le côté spirituel et même religieux est très fort) et il est une œuvre de Résilience, à la fois personnelle et collective.
Dès l'âge de six ans, pourtant, je compris que ma perception de la vie et celle qu'en avaient les autres n'étaient que des dimensions différentes de la mémoire.
Bien que faisant quelques longueurs, que le style soit souvent imagé, j’ai aimé cette lecture pour les thèmes abordés, et notamment cette transmission des traumatismes, et surtout la réponse apportée pour rompre cette chaîne.
Ce roman participe à l'African American History Month Challenge d'Enna
Belles lectures et découvertes,
Blandine