Mes sacrées tantes. Bulbul SHARMA - 2009

Publié le 13 Février 2022

Mes sacrées tantes

Bulbul SHARMA

Traduction depuis l’anglais (Inde) par Mélanie BASNEL 

Éditions Picquier poche, 2009
270 pages

Thèmes : Inde, Femmes, voyages, culture

Lecture Commune avec Magali

Huit nouvelles composent ce recueil.
Toutes mettent en scène des femmes qui voyagent.
Voyage dans un pays étranger, voyage à travers l’Inde, pèlerinage...
Certaines sont seules, d’autres accompagnent, d’autres chaperonnent...
Leurs motivations sont très diverses, tout comme leurs conditions d’âge, sociales et familiales.
Toutes vont devoir faire preuve d'abnégation, de courage, de volonté, devoir se confronter à l’inconnu, aux autres, et aux autres femmes en particulier, pour en ressortir autonomes, fières, grandies ou apaisées.
Le voyage est aussi temporel puisque toutes les nouvelles ne se déroulent pas à la même époque : entre le début du XXE siècle et de nos jours.
 

Le pèlerinage de Mayadevi

Mayadevi, matriarche autoritaire incontestée, décide de partir en Angleterre pour aller voir son fils aîné qu’elle n’a pas vu depuis quarante ans, en raison de la phobie des avions de ce dernier. Pliés à ses quatre volontés, personne autour d’elle n’ose rien lui dire.
La vieille dame se prépare avec soin, apprenant l’anglais et à marcher avec des chaussures.
Après un voyage sans desserrer les dents, elle passe une semaine dans la maison de son fils, critiquant tout ce qu’elle peut et n’adressant aucun mot à sa belle-fille, anglaise et qu’elle juge trop grande.
L’avant-dernier jour arrive enfin et ils vont tous trois dans un centre commercial. Pour Mayadevi, ce lieu est une révélation !!

J’ai beaucoup aimé cette nouvelle qui fait rire tant Mayadevi est une vieille dame imbuvable, exigeante, et respectueuse à l’extrême des traditions. Sarcastique, Bulbul Sharma y traite du rapport à l’autre et du consumérisme.

 

L’atterrissage à Bishtupur

Toutes les filles veulent être éduquées, aller à l’école, apprendre, acquérir émancipation et autonomie. N’est-ce pas ? Et tous les pères se désespèrent de voir leur autorité et les traditions s’envoler.

Toutes et tous ? Non ! Neelima ne veut pas de tout ça, elle n’y voit aucun intérêt. Elle ce qu’elle veut, c’est se marier. Et qu’importe que son père soit directeur d’école et progressiste. Heureusement, il trouve la perle rare : un jeune homme à la peau foncée, étudiant, discret.
Une fois conclu le mariage conclu, Neelima doit se rendre dans sa nouvelle famille pour la rencontrer. L’accompagnent les tantes de son époux qui n’ont de cesse de la houspiller, de lui rabattre son voile sur la tête, et de lui rappeler les coutumes. Mais en plus d’être parfaitement ignorante de ces us, Neelima est aussi très maladroite...

J’ai beaucoup aimé cette nouvelle qui prend tout à contrepied : l’éducation des filles, le mariage indien avec ses critères si sélectifs, les traditions... pour nous monter que quoi qu’on veuille, il faut de la volonté mais aussi de la connaissance !

 

Les tantes et leurs maux

Trois vieilles dames et sœurs se rendent à un enterrement accompagnées de leur jeune nièce Meera.
Sur le quai de la gare, toutes trois rouspètent, tempêtent, vocifèrent autant qu’elles peuvent à grands renfort de cris et exagérations. Elles critiquent tout et tous. Ce qui amuse beaucoup la foule massée autour d’elles.
Quand le train arrive et qu’elles prennent enfin place dans leur compartiment avec une dame qu’elles ne connaissent pas, elles prennent le temps de se jauger avant de lancer les hostilités en critiquant tout ce qui est possible jusqu’à s’aventurer sur le terrain des maladies. Vaste sujet qui prend des proportions ridicules de toutes parts, versant dans la surenchère verbale et même physique. Ce qui compte, c’est d’avoir le dernier mot !

Tout est dans cette description ! Et c’est drôle !

Des paniers de fruits, de bonbons et de noix étaient empilés tout autour. Des plateaux d'argent débordants de confiseries dépassaient de sous les voiles de soie rouge censés les dissimuler. Au beau milieu de tout ça, trois boîtes de ghee pur embaumaient le wagon de leur parfum lourd, et tout en ajoutant aux maux d'estomac de tous les passagers, elles leur rappelaient aussi tous les bons souvenirs des festins partagés. Il y avait également quelques paniers de sucre brut auxquels s'ajoutait un gros morceau de sucre cristal. Posées au-dessus, des corbeilles de mangues jaunes et vertes, de goyaves et des régimes de bananes de la même couleur...

Une très jeune mariée

Une très jeune mariée

Mini est une fillette qui quitte sa maison et son père tant aimé après une fête majestueuse. Le voyage est très long, et après quelques caprices, elle s’endort au son d’une douce voix et d’une odeur de santal. Son réveil dans une vaste demeure inconnue la fait passer de la peur, à la colère, à l’étonnement, au questionnement, au jeu. Elle fait la connaissance d’Uma, fillette comme elle toute de blanc vêtue, la grand-mère persuadée que sa bru veut l’empoisonner, et Arjun, son époux de son âge avec qui la complicité acquise par une plume est immédiate et éternelle.

On croirait presque un conte de fées. Avec de beaux vêtements, des étoffes soyeuses et délicates, des mets raffinés, des poudres qui viennent de loin, des épreuves mais aussi de l’amitié... et l’Amour !! Mais il s’agit d’un mariage d’enfants, d’un arrachement, d’un physique passé au crible et d’une peau jugée trop foncée, et même si l’amour est là, certaines coutumes sont beaucoup trop lourdes à porter pour de jeunes enfants.


Les premières vacances de R.C.

Jamais, R.C., juge sévère, ne s’était accordé le moindre répit, la moindre distraction, la moindre fantaisie, et donc jamais le moindre moment de vacances. Ses journées se passait toujours selon les mêmes rituels à l’emploi du temps millimétré et dans un silence de plomb, que rien n’y personne n’aurait osé contrarié, même en son absence. Ainsi, sa mère, sa femme et sa fille, n’avaient-elles, elles non plus, strictement aucun loisir. Même le mot était proscrit.
Jusqu’à cette envie soudaine.
Le voyage scrupuleusement préparé avait pour but de les emmener à travers le pays jusqu’à une ashram en passant par Dehli. Et c’est là que tout a commencé. Ma, Protima et Ruma découvriraient que l’on pouvait parler, rire, utiliser certains mots comme « cinéma », sans que rien de mauvais de tombe instantanément. Cette découverte faite, une petite graine germa en elles. Et pour RC, ce fut le début de la fin de son « règne ».

Si les conditions de leur vie à tous quatre sont exagérées (c’est à souhaiter – et cela rappelle d’autres personnages tel Philéas Fogg), c’est bien sûr pour mieux s’en moquer et décrire avec délectation les petites phases d’émancipation de ces trois femmes du joug de leur fils, mari et père, comme de leur ignorance du monde.
La fin, qui fait des longueurs, est un peu mystique.

C'est à cause de la mauvaise influence de tous ces cris et ces rires, et aussi à cause de leur thé, il était trop fort, se dit-il, et il accorda à sa famille ce qu'il considérait comme un regard bienveillant lors de l'arrêt consacré aux ablutions. Mais il ne savait pas encore que de minuscules graines de rébellion avaient commencé à germer dans le cœur de ses ouailles.

Les premières vacances de R.C.

Jusqu’à Simla en Tonga

Un regard, un coup de foudre réciproque, un mariage quasi immédiat malgré la désapprobation maternelle et le déménagement rapide pour Simla. N’ayant que peu d’argent (malgré de l’or donné à Anima), ils s’y rendent en tonga, ce qui allonge considérablement le voyage.
Leur vie là-bas est tranquille, la famille s’agrandit, leur prestige social aussi, et surtout la distance entre les époux... La cause initiaile étant l’apprentissage de l’anglais.

Avec subtilité, Bulbul Sharma représente au-travers de ces deux époux aux choix de vie opposés, le déchirement politique que va bientôt vivre l’Inde et son peuple. L’Indépendance se profile. Celle du pays vis-à-vis de l’Angleterre, celle d’Amina vis-à-vis d’Ananda.


Une trop grande épouse

Pour Gajanath, le seul tort de sa femme Rupbala est de le dépasser de quinze bons centimètres. Il en est humilié. Promis alors qu’ils n’étaient encore que des enfants, cette différence à venir n’était pas encore décelable, hélas.
Honteuse et vilipendée, Rupbala laisse passer les années défiler sans joie jusqu’à ce qu’elle tire sur son mari qui voulait la tuer.
C’est comme cela que Rupbala se retrouva sur les chemins, elle rejoignit un groupe de veuves, puis se mit à travailler... Et un beau jour, la liberté se présenta à elle.

J’ai eu le cœur serré pour Rupabala tout au long de la lecture de ce récit. Quelle injustice ! Mais aussi quelle chute ! Un récit d’émancipation aussi physique que psychologique et spirituel !


La vie dans un palais

Quand le mari de Gita disparaît volontairement, elle aussi choisit de partir. Pour trouver du travail. Mais aussitôt, des peurs l’envahissent sur ce que l’on va dire et pense d’elle, sa famille, les gens. Après avoir refreiné son envie, elle part finalement et va se fondre dans la foule de Nagpur, allant là où les autres l’emmènent. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Rani et de ses deux filles, aussi grosse que ses filles sont minces. Elles lui proposent de venir chez elles où la vie n’est que douceur et plaisirs. Et en effet, Gita s’y plaît beaucoup !

Avec ce récit, Bulbul Sharma évoque notre place dans la famille, la société, le monde, et l’importance de s’écouter.

Lu en septembre dernier, j’avais apprécié ce recueil de manière inégale. C’est souvent le cas avec les nouvelles, format que je n’affectionne pas spécialement. 
J’avais trouvé plusieurs d’entre elles bien longues (un comble !) alors même que les thèmes et les récits me plaisent. Tout comme cette couverture !
Car Bulbul Sharma décrit avec beaucoup d’humour sarcastique son pays, ses us et coutumes, le mariage, la condition et la place des femmes dans la société, dans la famille, leurs caractères à la fois soumis et rebelles. Mais aussi l'attitude des hommes à leurs égards!
Souvent, elle use du contrepied pour mieux décrire, dénoncer, et éveiller.
De ses récits se dégagent beaucoup de bruits, d’odeurs, de senteurs, de couleurs. La cuisine occupe une belle place et donne envie de manger indien.

Il me reste à découvrir ses romans, et notamment La colère des aubergines (dont le titre me plaît particulièrement) !
 

Qu'en a pensé Magali? Allons lire son avis!

Qu'a lu Hilde pour ce mois de février dédié aux nouvelles indiennes? Découvrons-le!

Merci à Nathalie de m'avoir permis de lire ce recueil qui participe aux Etapes Indiennes d'Hilde et moi; au "Tour du Monde en 80 Livres" de Bidib; au "Petit Bac 2022" d'Enna pour ma 3e ligne, catégorie Famille; ainsi qu'à l'Objectif PAL d'Antigone

 

 

 

 

Pour notre défi, ce roman coche les cases : Mariage / cuisine / Gange / New Delhi / Récits de voyage / Nouvelles.

 

Belles lectures et découvertes,

Blandine

 

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A
Je me demande si je ne l'ai pas déjà lu. J'adorais ce genre de livres à un moment donné.
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M
J'ai adoré aussi ! Moi aussi, je veux lire la colère des aubergines !
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:-) On se programme une LC? (il me faut encore me procurer le livre hein?!)
H
Ma lecture de ce recueil remonte à 2010. J'avais aimé ce regard sur la société indienne que je découvrais à l'époque avec ce recueil. C'est un bon souvenir de lecture. <br /> Le recueil d'Anjana Appachana m'y fait un peu penser, car on y parle aussi de la condition des femmes. Comme souvent, certaines nouvelles sont plus marquantes que d'autres. Je pense qu'il y a davantage de subtilités dans mon recueil actuel mais parfois le sens n'est pas évident à trouver. <br /> "La Colère des aubergines" est aussi un recueil de nouvelles mais plus gourmandes! <br /> J'aime toujours découvrir des nouvelles et je suis contente de vous avoir accompagnée même si nous n'avons pas lu la même chose. :)
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Merci Hilde! Tu me donnes encore plus envie de découvrir La colère des aubergines (et puis ce titre! j'adore^^)
F
J'ai souvent vu passer ce nom à la médiathèque, un jour j'essaierai, promis ! bon dimanche, on descend dans le Var chez mes parents quelques jours, bisous
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Bonne escapade varoise! Des bisous
N
C'est souvent le cas des recueils de nouvelles... On en apprécie certaines beaucoup plus/moins que d'autres !
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Exactement!