Je suis toujours vivant. Roberto SAVIANO et Asaf HANUKA – 2022 (BD)
Publié le 24 Mai 2023
Je suis toujours vivant
Scénario de Roberto SAVIANO
Dessin d’Asaf HANUKA
Traduit de l’italien par Vincent RAYNAUD
Galimard / Steinkis, janvier 2022
144 pages
Thèmes : Autobiographie, Italie, Mafia, Journalisme
« Je suis toujours vivant » clame Roberto Saviano avec force.
D’abord à l’encontre de la Camorra, la mafia napolitaine qui l’a condamné à mort il y a déjà 15 ans suite à son roman-enquête, Gomorra. Dans l'empire de la camorra
Il le crie aussi pour lui-même, pour se prouver, pour se rappeler que bien qu’il soit sous la garde constante d’une protection policière, il vit toujours et qu’il garde sa combativité entière.
Enfin, c’est un message pour sa famille et ses proches, qui, forcément, subissent cette menace, cet isolement, cette crainte permanente.
J’ai fini par raconter ma terre. Une terre de lumière aveuglante et d’ombres sinistres. La lumière ne m’intéressait pas - tout le monde peut la voir. Je voulais éclairer les ombres.
Rétro :
A 26 ans, Roberto Saviano a écrit un roman journalistique sur « tout ce qui l’entourait et qu’il voyait. » Il a donc « raconté une guerre entre deux clans camorristes qui avaient transformé les rues de la ville en champ de bataille », avec faits et noms réels pour « montrer au monde qu’on pouvait se retrouver dans une zone de guerre en plein cœur de l’Europe. »
Le livre a eu un tel retentissement (traduit dans 42 pays, vendu à près de 5 millions d’exemplaires dans le monde, dont 630 000 en France, devenu ensuite une série TV éponyme à succès) que des menaces ont vite été proférées pour encore perdurer.
Le désespoir le plus terrible qui puisse s’emparer d’une société, c’est de se mettre à douter qu’une vie honnête ait la moindre utilité.
Au fil de chapitres et d’interviews qui pourraient sembler décousus, Roberto Saviano et Asaf Hanuka nous font le portrait public, intime et intérieur de l’écrivain journaliste.
Dans ce qu’il vit au quotidien depuis 15 ans : les interrogations permanentes, les déplacements, les lieux impersonnels, ce qu’il a perdu et « trouvé », les rencontres avec son public, avec des écrivains (tel Salman Rushdie), les critiques incessantes, les souvenirs familiaux (et la culpabilité qu’ils génèrent), l’isolement, l’enfermement physique et intérieur, la résistance.
Et le poids des mots.
Car Roberto Saviano n’a pas cessé d’écrire.
Avant, je pensais souvent à ma mort. A présent, c’est comme si elle appartenait à d’autres.
Roberto Saviano a souhaité la bande dessinée pour illustrer ses différents combats et affres.
Car le dessin ne laisse pas trop de place à l’imagination (et interprétation) du lecteur, transmet ce qu’il veut dire, tout en permettant une liberté onirique dont s’est emparée avec brio Asaf Hanuka, le dessinateur israélien qu’il a choisi. Un homme qui sait bien ce que représente le danger. Il y a d’ailleurs une certaine ressemblance physique entre les deux hommes.
Son trait droit très réaliste et épuré s’enrichit de détails, de symboles et surtout de couleurs en fonction de ce qu’il souhaite transmettre : un souvenir, une appréhension, un désir, une frustration, son quotidien…
Pour représenter ses sentiments, ses craintes, le dessin devient métaphore.
Et ceci commence dès la couverture et le titre.
Sur la française, un petit Roberto Saviano attend une balle hypothétique d’un revolver géant.
Sur l’italienne, stoïque, il est en passe de se noyer dans un océan fait de ses larmes.
La différence dans le titre (toujours/ancora) est aussi très significative.
Ainsi, les planches et cases associent le gris de plomb au rouge du danger, à l’ocre sépia, au bleu de l’air, au jaune de l’impossible.
C’est beau, surprenant, puissant.
C'est comme si le mal n'était jamais une catastrophe pour les autres mais seulement pour soi-même.
Donc, si je suis sain et sauf, ce n'est pas grâce à des personnes courageuses ou altruistes, mais à des gens qui ont essayé de se sauver, eux.
De Roberto Saviano, j’ai déjà lu et vu : livres, films, séries, interviews.
Il est un écrivain que j’apprécie beaucoup, aussi lire cette autobiographie était une évidence et j’en ressors admirative : de lui-même, de ses combats toujours actuels, de son humilité un brin vaniteuse certes mais aussi tellement nécessaire.
Y aura-t-il un tome suivant? La fin le laisse penser.
Cet album participe au RDV « BD de la semaine », aujourd’hui chez Moka (CLIC) ; à la Semaine italienne d'Eimelle, au Tour du Monde en 80 Livres de Bidib; ; ainsi qu'à l'Objectif PAL
De Roberto Saviano, retrouvez sur le blog:
Sur la mafia italienne:
- Roman: Les liens du silence. Gilda PIERSANTI
- BD: Agata. Olivier BERLION
- Film: Fils de la 'Ndrangheta (2018- Sur Netflix)
- Série: Suburra (2017 - Sur Netflix)
Belles lectures et découvertes,
Blandine