La Tatoueuse de Jaipur. Alka JOSHI - 2022

Publié le 26 Mai 2023

La Tatoueuse de Jaipur

Alka JOSHI

Traduit de l’anglais (USA) par Suzy BORELLO

Hauteville, 2022
432 pages

Thèmes : Inde (Rajasthan), Croyances, Traditions, Pouvoir, Famille, Condition féminine

Lecture Commune avec Hilde, Shelbylit, Martine, MissyCornish, Lilylivre, Manon, Adeline

Jaipur entre septembre 1955 et novembre 1956

Treize longues années.
Lakshmi Shastri, trente ans, a mis treize ans pour se faire une place à Jaipur, la Ville Rose, pour gagner la confiance de ces Dames de la Haute Société, Parvati Singh en tête, pour se forger une bonne réputation et obtenir une respectabilité.
Nulle autre ne sait user de son Art mieux qu’elle. Tatoueuse de henné qu’elle confectionne elle-même, elle sait créer des motifs qui subliment les corps, suscitent les envies, concrétisent les désirs. Elles les accompagnent de petites douceurs savamment dosées aux différentes vertus, qui aident chacune à se sentir mieux et réaliser son souhait.
Durant treize ans, elle a appris à doser sa parole, moduler sa voix, user des mots et placer son silence dans un jeu délicat de pouvoir et d’apparences.
Elle a acquis tout ce qui semble la rendre indispensable à Elles toutes.
Et elle a su développer en parallèle une lucrative et interlope activité de petits sachets…
Roupie après roupie, elle a monté son affaire aidée par Malik, enfant des rues qui préfère avoir 8 ans, et fait construire sa maison, avec un magnifique sol de mosaïque.

Alors qu’elle semble sur le point de conclure, pour la première fois, un mariage fastueux qui lui assurerait fortune, position sociale et l’ouverture du Palais Royal, que sa maison est quasi terminée, et que tout ce qu’elle convoitait est à cueillir, son passé ressurgit et manque de tout faire basculer.
Réussira-t-elle à maintenir l’équilibre ?

La maharani douairière semblait s'être trouvé un sanctuaire dans sa prison étroite. Les miséreux n'étaient pas les seuls à être emprisonnés au sein de leur caste.

Il y a treize ans, Lakshmi a fuit Hari, un mari d’autant plus violent qu’elle ne tombait pas enceinte. Un mariage arrangé qui soulageait financièrement sa famille mais qui la tuait irrémédiablement.
Son seul réconfort était sa saas, sa belle-mère, une femme douce qui lui a appris l’usage des plantes médicinales pour aider ceux qui souffrent et les plus démunis. Et surtout les femmes.
Riche de son enseignement, elle s’est enfuie et a fait perdurer son savoir.
Et voilà qu’Hari se tient devant elle. Il l’a retrouvée.
Il n’est pas seul. Une jeune fille l’accompagne. Elle a les mêmes yeux bleus qu’elle.
Radha est sa sœur, 13 ans, née peu après sa disparition, à présent démunie suite au décès de leurs parents, et qualifiée de « Fille porte-malheur » par les colporteuses de ragots du village.
N’ayant d’autre choix, elle est partie à la recherche de cette grande sœur inconnue, découverte par le biais de lettres jetées au feu par sa mère sitôt réceptionnées et des rumeurs circulant.

Tout au long du roman, Lakshmi et Radha vont appendre se connaître, à s’apprécier, à s’éloigner. Car leurs caractères sont très différents et le mieux est souvent l’ennemi du bien.
Radha est jeune, impétueuse, butée, tout l’inverse de Lakshmi, qui cherche toujours à composer.
Leurs idéaux se confrontent dans une quête permanente de soi, d’entraide, de sécurité et de pardon.

Je n'avais jamais songé que Radha et moi puissions avoir autre chose en commun que l'aquarelle de nos yeux.

J’ai adoré ma lecture !
J’ai tout de suite été transportée en ses pages, aux côtés de Lakshmi, à qui j’ai très vite été attachée.
Son histoire (difficile) m’a touchée et j’ai aimé comment elle s’en est servie pour en faire sa force, j'aime son savoir-faire et les descriptions qui en sont issues. Elle sait se relever, sait faire preuve de fierté, d’humanité et apprendre de ses erreurs. C’est un personnage qui apprend tout au long du roman, se remet en question et avance.
Les autres personnages sont aussi très bien campés, avec des caractères variés selon leur position sociale et ambitions respectives. Et même s’il y a aussi des bons sentiments, c’est un roman qui fait du bien, qui nous montre que l’on peut changer, évoluer, progresser, malgré les revers et adversités, en dépit de ce qu’on doit laisser.

Les décors, la ville de Jaipur, les saveurs, les odeurs, les motifs, les traditions se concrétisent avec facilité, les descriptions culinaires sont nombreuses et délicieuses, et des recettes se trouvent même à la fin du livre, avec un glossaire et l’histoire du henné et des castes. Côté politique, c'est aussi très bien rendu, avec le combat de son père, convaincu du bien-fondé de l'Indépendance de l'Inde mais qui s'est retrouvé démuni une fois celle-ci obtenue. Du côté de la famille royale à Jaipur, elle reste enfermée dans ses traditions, croyances et peurs (pour les hommes) qui entraînent de tragiques décisions, mais aussi de belles initiatives et un modèle féminin avec la jeune Maharani.

Un autre aspect m’a aussi beaucoup plu : l’autrice, Alka Joshi, nous dévoile que le point de départ de ce livre est l’histoire de sa mère, mariée à 18 ans, qui n’a jamais rien pu choisir pour elle-même mais qui a permis que ses enfants puissent le faire.

Ce roman a reçu le Grand Prix du Roman Historique 2022 et est le premier tome d’une trilogie.
Le deuxième s’intitule Le Secret de Jaïpur (paru pour le moment qu’en grand format en octobre 2022), et le dernier La Parfumeuse de Paris (à paraître le 12 juillet 2023)