C'est lundi, que lisez-vous? #248
Publié le 6 Mai 2019
Ce rendez-vous hebdomadaire consiste à vous présenter chaque lundi mes lectures passées, en cours et à venir en répondant à trois questions :-)
1/ Qu'ai-je lu la semaine passée ?
ALBUMS
Histoires de l'esclavage racontées à Marianne. Texte d'Alain FOIX et illustrations de Benjamin BACHELIER. Editions Gallimard Jeunesse Giboulées, mai 2007.
Marianne est une "députée en herbe", et aujourd'hui, samedi, elle se rend à l'Assemblée Nationale pour le Parlement des enfants. Intimidée par le lieu et le monde, Marianne s'enfuit de l'hémicycle et se perd dans une salle obscure où elle se heurte à des bustes.
Ces derniers prennent vie, lui parlent et lui racontent une grande histoire, celle de l'esclavage, ou plutôt le début de la fin de l'esclavage. Ainsi écoute-t-elle et voyage-t-elle dans le temps avec Toussaint Louverture, Victor Schoelcher, l'abbé Grégoire, la mulâtresse Solitude, la Vénus Noire, etc. C'est aussi effrayant que passionnant: les combats, l'abolition puis le rétablissement de l'esclavage par Napoléon, l'Exposition coloniale...
Mais tous font attention à ne pas faire trop de bruit pour ne pas réveiller le Fantôme, celui qui maugrée et hurle, le Code Noir dans les mains.
Marianne, après avoir écouté et vécu tous ces récits, sait comment faire partir ce fantôme. Elle invite ensuite tous ses camarades à écouter afin que tous les fantômes nourris par l'ignorance, le racisme ou la haine disparaissent.
L'album est fourni avec un CD, mais que je n'ai pas encore écouté.
Comment j'ai raté ma vie. Ou comment ne pas rater la vôtre! Texte de Bertrand SANTINI et illustrations de Bertrand GATIGNOL. Editions Grasset Jeunesse, 2019
Voici un album à l'humour grinçant et à l'ironie mordante qui nous raconte la vie d'un homme, du petit garçon qu'il était,au vieil homme qu'il est devenu.
Un texte en "je", succinct, des illustrations en noir et blanc, au trait fin, et qui disent exactement le contraire des mots. Les grandes victoires, les petites défaites, à moins que cela ne soit l'inverse, l’orgueil et les vanités de notre monde. Tout y est.
Un petit album en taille et en nombre de pages, riche de détails, mais grand de par la réflexion qu'il offre!
ROMAN ADO
Le Petit Prince de Calais. Pascal TEULADE. Editions La Joie de Lire, collection "Hibouk", 2016.
Jonas a de la chance.
C'est ce que ses parents lui répètent les rares fois où il arrive à les avoir au téléphone. Jonas a de la chance, disent-ils pour faire court aux questions, aux pleurs et à la peur. Car si Jonas a échappé à l'armée de son pays, l’Érythrée, s'il est parvenu en France, à Calais, sans avoir cessé d'abandonner des parts de lui-même, non il n'a pas de chance, mais un abri de fortune sur la plage, des baskets trouées, un vieux manteau élimé, plus de papiers d'identité et plus d'argent.
Sa chance, il va la tenter, pour rejoindre l'Angleterre, une fois, deux fois, trois fois...
Ce roman ado laisse le coeur en miettes. Il constate, n'accuse pas mais ne peut que nous heurter. Il dit les questionnements, le sentiment d'impuissance, la culpabilité, la barrière de la langue, les peurs, l'indifférence, la banalisation d'une situation qui ne saurait l'être.
C'est un récit terriblement humain.
Il participe au Prix des Incorruptibles 2018-2019, sélection 5e/4e.
BD / MANGAS
Primo Levi. Texte de matteo MASTRAGOSTINO et dessin d'Alessandro RANGHIASCI. Editions Steinkis, septembre 2017
Primo Levi, bien sûr, tout le monde connaît, notamment grâce à son roman Si c'est un homme...
Cet album n'a pas vocation à imager ce roman, ou à raconter la vie de son auteur. C'est une vision personnelle que les deux auteurs ont de cet homme, en tant que rescapé d'Auschwitz surtout, en tant que passeur de mémoire et homme ensuite.
Ainsi, comme Primo Levi l'a fait en vrai, ils l'ont imaginé se rendant dans une école pour parler de ce qu'il a vécu, des Camps, du sorts des Juifs, du retour, de la vie après...
Ils ont très bien retranscrit l'incrédulité des enfants, leur méconnaissance, leur ignorance même, leur empathie.
Le dessin, en noir et blanc, au trait fin mais dense, convient parfaitement au propos, même s'il est parfois délicat de reconnaître qui est qui.
Un album qui m'a beaucoup émue, qui se clôt par un petit dossier, et que je vous présente plus en détails mercredi.
Les grands espaces. Catherine MEURISSE. Editions Dargaud, septembre 2018
J'ai découvert cet album grâce au RDV BD du mercredi et sa présentation m'a donné envie de le découvrir à mon tour.
Catherine Meurisse revient sur son enfance, sur la décision parentale de venir vivre à la campagne, dans une ferme qu'il a fallu restaurer, dans un jardin qu'il a fallu aménager, au milieu des champs ouverts, face à certaines décisions politico non environnementales, au sein d'une vie rurale non dépourvue de fêtes (et festivals en tout genre).
Le propos est empreint d'humour, de références littéraires, culturelles et historiques délicieuses. Il joue sur la mémoire et la transmission, sur la construction de soi, sur l'enfance si déterminante et sur la manière dont Catherine Meurisse a trouvé sa vocation.
Le dessin nous offre des paysages magnifiques, quasi picturaux et photographiques, et des personnages croqués presqu'à la va-vite. Catherine Meurisse n'est pas dessinatrice de presse pour rien.
Prendre refuge. Scénario de Mathias ENARD et dessin de Zeina ABIRACHED. Editions Casterman, septembre 2018
Un album très épais, contemplatif, de nombreux dessins pleine page, une mise en abyme, pour nous raconter deux histoires entremêlées et la complexité de l'amour.
2016, Berlin. Karsten, jeune Allemand introverti, passionné d'Orient, rencontre à une kermesse Nayla, jeune réfugiée syrienne. C'est le coup de foudre, il lui apprend à parler l'Allemand, elle lui récite des poèmes. Mais leurs différences leur pèse, surtout pour Nayla qui doit s'acclimater d'un nouvel environnement.
Imbriqué dans ce récit, nous en découvrons un autre par le biais de Karsten qui lit un album, intitulé Prendre refuge, dans lequel, en 1939, en Afghanistan, deux femmes se rencontrent. Au pied des Bouddhas de Bâmiyân, Anne-Marie Schwarzenbach, voyageuse européenne, tombe amoureuse d’une archéologue.
Cette nuit-là, alors que les étoiles brillent particulièrement, que les constellations d'Orion et du Scorpion se dévoilent, elles apprennent, avec leurs compagnons de voyage, la déclaration de guerre en Europe.
Si j'ai aimé la mise en abyme, j'ai eu plus de mal avec ce second récit, plus contemplatif, pudique mais aussi plus distant. Il m'était plus difficile de discerner qui était qui.
Néanmoins, cela reste un très bel album. J'aime beaucoup les dessins épais de Zeina Abirached, la douceur qui se dégage des pages malgré la douleur des personnages, malgré ces amours complexes et impossibles.
Les Enfants de la Résistance - Tome 2 - Premières Répressions. Scénario de Vincent DUGOMMIER et dessin de Benoît ERS. Editions Le Lombard, mars 2016
Suite à l'abdication de la France face à l'Allemagne d'Hitler, les Allemands se sont installés dans le village de Pontain L’Écluse, ce qui n'est pas au goût de trois enfants, qui décident de résister par leurs propres moyens. François, Eusèbe et Lisa, une enfant réfugiée belge séparée de ses parents.
Dans ce deuxième tome, ils ont réussi à faire tourner l'opinion de certains adultes qui semblaient s’accommoder de cette Occupation, à commencer par leurs parents. Le réseau de Résistance s'organise, les informations aussi, les risques également. On en apprend davantage sur Lisa.
Il se conclue sur un moment tragique.
J'aime beaucoup cette série jeunesse (même si je trouve qu'elle a beaucoup trop de similarités avec la Guerre des Lulus - Première Guerre mondiale), qui nous transporte à cette époque sans manichéisme, mais avec précision et réalisme, dans ces enjeux cruciaux mais aux conséquences lourdes et/ou cruelles. Le dessin, doux, contrebalance l'intensité dramatique qui va croissante.
La Guerre de Catherine. Scénario de Julia BILLET et dessin de Claire FAUVEL. Editions Rue de Sèvres, 10 mai 2017
Autre album encensé par les Bulleurs du mercredi, il était grand temps que je le découvre. Je savais qu'il ne pouvait que me plaire, et ce fut le cas.
Ainsi, découvrons-nous Rachel, fillette juive, placée par ses parents à la Maison de Sèvres, dirigée par "Pingouin" et "Goéland", alors que la guerre commençait. Une école où l'éducation est libre, les enfants apprenant selon leurs envies et appétences, avec aide des plus grands.
Rachel, elle, aime la photographie et s'est vue offrir un Rolleiflex par Pingouin qu'elle garde toujours avec elle pour pouvoir "arrêter le temps", "capter l'exceptionnel du quotidien".
Mais la traque des Juif se durcit, s'intensifie. Rachel devient Catherine avant de devoir fuir. C'est ainsi que nous la suivons, avec d'autres enfants, notamment la petite Alice, à travers le pays, là où elle peut être cachée.
Déracinements, peurs, mais aussi confiance. Rachel, désormais Catherine, s'évade dans la photographie, qu'elle peut continuer d'exercer qui sera ses souvenirs comme son témoignage, et grâce à quoi elle trouvera l'amour.
Cet album est l'adaptation du roman éponyme de Julia Billet, paru chez L'Ecole des Loisirs. Malgré la tristesse et les épreuves traversées par Catherine, cet album est beau, appuyé par la gaieté, l'optimisme et la confiance de la jeune fille devenue jeune femme, et on le referme avec un sourire.
Violette Morris à abattre par tous les moyens - Tome 1 - Première Comparution. Scénario de Bertrand GALIC et Kris, dessin de Javi REY. Editions Futuropolis, octobre 2018
Violette Morris, vous connaissez?
Non, moi non plus avant de la découvrir avec cet album lors d'un RDV BD du mercredi! Et pourtant c'est un sacré morceau de femme heurtant les bienséances et bienpensances, favorisant l'émergence du sport féminin, qui a marqué son temps (mais pas la postérité semble-t-il... Peut-être parce qu'elle était trop.... trop, et surtout en raison d'une légende noire...).
Née dans une famille riche, aux ascendances sociales prestigieuses, Violette dénote: un corps solidement bâti, une furieuse envie de vivre, un caractère très affirmé, un langage fleuri, une sportive accomplie, et même si son mariage avec un militaire fut certainement arrangé, elle n'en resta pas moins libre et indépendante.
Tuée en 1944 avec une famille de collabos par un groupe de Résistants, son surnom était "la hyène de la Gestapo"...
Cet album est une enquête (fictive) d'une avocate rayée du barreau en 1941 parce que juive, et désormais détective privée en personnes disparues, Lucie Blumenthal, amie d'enfance de Violette et qui cherche à comprendre les circonstances de sa mort.
L'album est fait d'allers-retours temporels, de retrouvailles et de reconstitution, avec un dessin doux et agréable.
Il est passionnant, la figure de Violette l'est tout autant, et j'ai grandement hâte de découvrir la suite!
A l'ombre de la gloire. Le terrible destin de deux gloires des années d'avant-guerre. Victor Perez et Mireille Balin, les amants foudroyés. Scénario de Denis LAPIERE et peintures d'Aude SAMAMA. Editions Futruopolis, juillet 2012
Je vous ai déjà parlé de Victor "Young" Perez, boxeur tunisien et juif, mort à Auschwitz dans le magnifique et dur Young d'Aurélien Ducoudray et Eddy Vaccaro.
Cet album complète ce dernier, en éclairant des zones laissées dans l'ombre ou nous apportant d'autres informations sur ce boxeur à la carrière aussi magnifique qu'éphémère, et au destin tragique.
Il apporte des précisions sur Mireille Balin, actrice cataloguée femme fatale, amour unique de Victor, mais femme éprise d'argent, de lumière et de gloire, qui collabora avec l'ennemi, et qui mourut dans l'anonymat en 1968.
L'album joue sur les deux personnages, nous les présentant l'un puis l'autre, enfin ensemble, avant de les séparer à nouveau dans des portraits parallèles. C'est passionnant, magnifique et tragique.
Les peintures d'Aude Samama, si elles floutent les décors ou figent les actions, instillent beauté et distance pudique.
J'aime énormément.
2/ Que suis-je en train de lire en ce moment?
Le Commissaire Bordelli. Marco VICHI. Editions 10/18, mars 2016
Florence, août 1963, en pleine canicule.
La chaleur accable la ville et une vieille dme meurt, seule chez elle, d'une violente crise d'asthme semble-t-il. Le Commissaire Bordelli, quinqua bon vivant mais solitaire, désabusé et vétéran de la Deuxième Guerre, ne sait pas quoi penser.
Secrets, secrets de famille, réminiscences de guerre et de résistance, reconstitution d'une époque, tant dans ses moeurs que dans ses méthodes policières et scientifiques.
J'aime beaucoup!
3/ Que vais-je lire ensuite?
D'acier. Silvia AVALLONE. Editions J'ai Lu, 2013
Présentation de l'éditeur:
Loin des magnifiques paysages de Toscane, Silvia Avallone nous dépeint une ville industrieuse où la chaleur crasse se mèle à l'oppressante crise qui frappe une Italie encore empreinte de sexisme. Deux adolescentes y rêvent de liberté, émoustillant les ouvriers de leur quartier sur une plage sans touriste. Dérangeant !