INTRAITABLE. Tomes 1 à 6/6. Choi Kyu-sok. 2019-2022 (BD)

Publié le 14 Septembre 2022

INTRAITABLE
Tomes 1 à 6/6

Choi Kyu-sok
Traduit du coréen par Kette AMORUSO, Lim Yeong-hee et Catherine BIROS

Editions Rue de l’Echiquier, 2019 à 2022
Environ 200 pages chacun

Thèmes : Corée du Sud, Droit du Travail, Syndicalisme
 

Tout est parti d’une demande de dégraissement du personnel « par n’importe quel moyen », pour qu’un syndicat des travailleurs se crée dans l’hypermarché des Fourmis d’Ildong, une enseigne venue de France et dirigée localement par Gaston, avec un management français teinté de "korean style".

Cette exigence de licenciements, Lee Su-in (couverture du 2e tome), le responsable des Produits Frais, la refuse, car elle est illégale. Ainsi se met-il à dos sa hiérarchie (qui avait pourtant « foi » en lui) comme ses collègues, et doit-il convaincre ses employés qui le trouvent « psychorigide ».
De son père, cet homme profondément intègre a hérité la fierté, et de sa mère, le respect des règles et des autres. Après avoir supporté des brimades à l’école, Lee a intégré l’Armée en tant qu’officier pour le prestige social qu’elle lui apportait, et surtout, pour le sentiment de « réussir sa vie ». Mais en voyant que les mots « justice », « honneur » et « respect » y étaient bafoués, il a préféré la quitter, non sans mal.

Où que je me trouve, j’étais le grain de sable de quelqu’un.

Tome 1

Dans le même temps, nous rencontrons Go Gu-Shin (couverture du tome 1), un homme qui œuvre pour la Défense des Travailleurs dans son bureau de conseil de Bujin. Actif, combatif mais réfléchi, nous le suivons dans différentes affaires, assistant plusieurs personnes de professions variées.
Les patrons profitent d’un système qui broie les petites gens, et en particulier les femmes, où la loi du silence et les pots-de-vin règnent tout se servant de la servilité, de la précarité, et de l’ignorance des petits employés, et davantage lorsqu’ils sont « temporaires » (= intérimaires).

Alors que les employés des Fourmis subissent humiliations, représailles et harcèlements moraux, que les cadres se défilent par peur, Lee Su-In adhère au syndicat, rencontre d’autres syndiqués (qui se trouvent être ses employées) et fait connaissance avec Go.
Lee n’est plus seul. La résistance s’organise.

 

Le contrat de travail n’est pas synonyme d’esclavage.

Tome 2

Au fil des tomes, nous suivons la création du syndicat, les difficultés pour obtenir des documents légaux, pour négocier sans entraver la bonne marche de l’entreprise, pour structurer le syndicat, pour fédérer et recruter des adhérents sur le long terme, pour résister aux différentes pressions, notamment lorsqu’elles amputent le salaire déjà misérable. Nous voyons les tentatives d’intimidation des patrons et la pugnacité de Lee, Go, Ju (couverture tome 5, à droite), etc. 
Nous voyons les décisions des patrons pour décapiter le syndicat, pour retourner les opinions à leur avantage, pour diviser afin de mieux régner. Et continuer à bafouer autant que possible les Droits des travailleurs tout en minimisant les pertes ou coûts.

La rationalisation à tout prix va de pair avec la déshumanisation.

Tome 3

En parallèle, les passés de Go et Lee nous sont dévoilés, comme ceux des personnages qui les accompagnent, dans une moindre mesure. Cela permet de mieux comprendre et nuancer leur caractère comme leurs motivations.
Le combat est long, éreintant, procédurier, souvent humiliant, rarement galvanisant.
Certains résistent, d’autres craquent.

Ne vous forcez pas à aller au-delà de vos capacités.

Tome 3

Le syndicat des Fourmis d’Ildong est bientôt rejoint par d’autres et se fond dans un syndicat général qui regroupe plusieurs types de professions. Ainsi gagnent-ils en force, représentativité et légitimité. Mais les profils et situations variés sont aussi source de tensions nouvelles.
Le scénario nous montre aussi des personnages peu convaincus par la nécessité du Droit au travail, et encore moins d'un syndicat, rejetant tout sur la capacité humaine à endosser, endurer ou non.

Ainsi rencontrons-nous Mu Sojin (à gauche de la couverture du tome 4) qui travaille dans la manufacture métallurgique de Samjin et qui exprime tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Son opinion va changer lorsqu’elle sera mise brutalement à la porte, par SMS, sans raison aucune.

On n’a pas échoué, on est juste des gens ordinaires.

Tome 4

Dans le cinquième tome, la lutte se durcit. 
Défections, hontes, sentiments de trahisons, corruptions, immolation …
Les syndicats se posent la question de faire grève, comment, où, avec qui ?
Lee est sommé de choisir entre Go Gu-Shin qui est avec lui depuis le début et un homme inconnu mais recommandé. 
Et fort.

 

Etes-vous prêt à souffrir et à vous sacrifier ?
Comprenez-vous le sens de cette phrase ?

Tome 5

SORTIE DU TOME 6 LE 22 SEPTEMBRE 2022

Le Nouvel An approche et la grève épuise les deux parties, les syndiqués comme l’entreprise des Fourmis.
La seconde use de procédés qui font craquer et se diviser les premiers : saisie des biens immobiliers, rencontres clandestines avec promesse d’une prime et d’un bon d’achat pour ceux qui reviennent travailler, pressions et culpabilisations.
Les tensions montent, les défections aux raisons multiples se suivent. Et Lee tient bon, accepte, rassemble, négocie.

Notre bataille fait partie de la guerre contre la politique actuelle du gouvernement, qui asservit la classe ouvrière.

Tome 6

En parallèle, le scénario se focalise sur Go Gu-Shin, dont le passé nous est totalement révélé, expliquant son état de santé, détérioré depuis les tortures subies durant la guerre, sa culpabilité vis-à-vis d’un ancien camarade, son apparente indolence face à son bourreau. Et la nécessité de s’apaiser.
Ces planches sont terribles.
Même affaibli, sa pugnacité syndicale est toujours aussi vive.

Il se peut… que ce monde soit un enfer pour certains.
Et il se peut… que ce soit moi qui aie choisi cet enfer.
Mais je ne dois pas laisser ce choix devenir un enfer pour « moi ».

Tome 6

Il y a la grève, il y a le syndicat et il y a les lendemains, la vie à imaginer, organiser, prévoir, le retour à « la vie normale ». Accepter ou non un accord ? Dénoncer un harcèlement ? Mener de nouveaux combats ? Aller vers de nouveaux horizons ?

Choi Kyu-sok s’est appuyé sur l’implantation, finalement ratée, de Carrefour en Corée, pour construire son scénario et dénoncer les conditions de travail dans ce pays, les pratiques structurelles (et patriarcales), les contradictions intestines et dont se servent les multinationales, dans un contexte de crise économique et sociale.
Il nous montre comment les hommes puis les sociétés peuvent leur résister, et à quel prix, aller au-delà de leur condition, voir plus grand, plus loin qu’eux.

Qu’il existe un combat de plus grande envergure que celui qu’on mène aujourd’hui

…Et que même si on perd, on sert une cause plus importante.

Qu’en ce moment, on craint d’être licenciés, arrêtés et privés de notre maison…
…Mais qu’à force de se battre, on deviendra plus forts et que ces problèmes sont insignifiants.

Son dessin a évolué au fil des tomes.
Il combine plusieurs techniques dans des tons en noir, blanc et gris, usant d’encre plus ou moins délavée (presque comme de l’aquarelle), floutant ou précisant les vues, jouant sur les cadrages dans un gaufrier relativement classique.
Fin au trait expressif, et usant de pointes d’humour dans le texte comme dans le graphisme, il va en se durcissant. Les teintes de gris s’estompent au profit d’un dessin au noir plus appuyé. Les visages se sont creusés, les regards sont davantage fatigués, les histoires de chacun pèsent sur la motivation et l’engagement
 

Cette série est aussi intéressante qu’édifiante.
Et malheureusement tout à fait transposable chez nous !

Une série que je ne peux que vous encourager à découvrir !

Ces romans graphiques participe au RDV BD de la semaine, qui se passe aujourd’hui chez Noukette (CLIC); ainsi qu'au "Tour du Monde en 80 Livres" de Bidib.

 

 

 

 

Belles lectures et découvertes,

Blandine

 

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F
Ces conditions de travail doivent être difficiles à lire !
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C
Le thème m'effraie un peu à vrai dire... Et le nombre de tomes aussi !
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B
C'est cela, c'est aussi effrayant que passionnant! Parfaitement transposable aussi malheureusement. Les tomes sont denses pour bien tout décrire ;-)
M
je passe clairement mon tour :D
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B
ça arrive, je ferai (peut-être) mouche la prochaine fois ;-)
E
Malgré la richesse du propos, je pense que je ne lirai pas cette BD car le côté économique me perdrait je pense.
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Le côté économique n'est évoqué que pour contextualiser socialement. Le propos se porte vraiment sur le droit au travail, la création d'un syndicat, les difficultés rencontrées, et l'autre partie qu'est l'entreprise et comment elle réagit face au syndicat. C'est vraiment très intéressant, édifiant, et glaçant. Si tu la croises, feuillette-la 😉
K
C'est un graphique et un thème qui me fait peur. Peut-être tenterai-je le coup... mais en biblio!
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C'est cela, ça fait peur! Car même si cela se passe en Corée, les résonnances sont fortes et transposables. Et de nous rendre compte que nous ne connaissons pas ou trop peu nos Droits en fait
M
JE l'ai noté ! Ca me tente depuis un moment mais tout est déjà paru, les 6 tomes ? Je vais regarder, si ce n'est pas trop récent dans ma biblio
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B
Oui la série est terminée et les 6 tomes Paris (enfin, le 22 septembre pour le dernier), c'est une série dense mais édifiante. Je ne peux que t'encourager à la découvrir !
J
C'est une série dans laquelle je vais me plonger très vite, j'ai hâte !
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Elle ne pourra que te plaire!
M
Merci pour ce concours. Ca a l'air super intéressant comme univers :-)
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C'est édifiant oui!
N
Bonnes vacances !!!
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Merci :-)