1 rue des petits-pas. Nathalie HUG - 2014

Publié le 11 Mars 2018

1 rue des petits-pas

 

Nathalie HUG

Editions Calmann-Lévy, février 2014

350 pages

 

Thèmes : France, après-Première Guerre mondiale, Reconstruction, Féminité, Amour, Amitié, Quête

 

Lecture Commune avec Magali

 

La Grande Guerre est terminée.

Le temps est à la reconstruction.

Reconstruction matérielle, reconstruction administrative, reconstruction familiale, reconstruction démographique.

 

Dans les zones immédiates de l’arrière-front, les Américains ont pris leurs quartiers, aident à la démobilisation comme les populations locales, mais (pour quelques-uns) agissent en terrain conquis, notamment auprès des femmes.

Des femmes qui, pour certaines, voient rentrer chez elles (eux), rapidement ou bien plus longtemps après, leurs hommes, maris, fils, abîmés, estropiés, transformés, fous.

Et qui n’ont pas besoin de ça.

L’espoir, la détresse et la désillusion s’entremêlent.

 

C’est dans un petit village de Meuse que nous entraîne Nathalie Hug.

Bâtiments effondrés, population décimée, morte ou éclatée dans les différents camps de réfugiés, sans existence administrative donc légale, nous assistons peu à peu à son renouveau par les yeux de Louise, 16 ans.

 

Orpheline, analphabète, violée, violentée, Louise va être soignée par Anne et Vida, sages-femmes au 1 rue des Petits-Pas.

Elles lui enseignent ce métier comme la médecine des femmes en général.

La guerre des hommes et des obus est peut-être finie, mais celle du/pour le corps des femmes est loin d’être terminée.

 

Le roman s’ouvre sur une double mort qui entraîne une naissance.

Les gémissements de la fille qui s’agrippe à mon bras, le serrant jusqu’à l’os, son buste redressé, son visage grimaçant d’effort… J’ignorais tout de cette inconnue déposée devant notre maison. Des Poilus l’avaient ramassée dans un fossé, à côté d’une charrette renversée dont le contenu avait été pillé.
Moribonde, elle était menottée au cadavre d’un gendarme fauché par la grippe. Probablement une voleuse ou une meurtrière en transfert, ou encore une folle. Depuis la guerre, les routes grouillaient des pauvres hères chassés des hôpitaux où les lits étaient réservés aux soldats.

Son identité nous importait peu. Chaque femme, chaque fille, chaque vieille, qu’elle soit coupable du pire ou innocente, prostituée ou sainte, trouvait notre pore ouverte.

Ainsi meurent la jeune fille et Anne ; ainsi naît un garçon, que Louise décide d’adopter et qu’elle baptise Jean-Baptiste.

Désormais, elle le sait, c’est sur elle que repose le sort fragile des femmes de cette communauté, l'acceptant ou la rejetant tour à tour. Et c’est grâce à Vida qu’elle va se parfaire dans ce métier, découvrir qui elle est vraiment, comme l’histoire de ce 1, rue des petits-pas.

 

Peu à peu, des amitiés naissent, des confidences s’échangent, des rivalités et jalousies apparaissent, des responsabilités incombent à Louise comme aux autres femmes. Le village se repeuple progressivement.

Un tourisme de la Guerre apparaît et fait tourner le commerce et le café, ramène toutes sortes de gens et de récits et participe au nouveau départ de ce village.

Allez dire à cette femme qu'elle devait mourir au nom de Dieu ! Et aux filles violées par leur père, ou par des déments, qu'elles doivent se réjouir d'être enceintes! Et tant que vous y êtes, allez expliquer aux putains qu'elles ne doivent pas se prémunir d'une grossesse ! Ou mieux, pauvre curé que vous êtes, ajoutai-je folle de rage, demandez donc à votre Dieu qu'il s'incarne pour le leur dire lui-même ! Et quand il l'aura fait, alors seulement, j'irai me confesser.

Louise devient vite centrale. Pour prendre des décisions, mais surtout soigner et réparer les corps des femmes, pour écouter les confidences, pour accompagner les naissances, pour empêcher les grossesses aussi…

Le tout à ses risques et périls.

Car elle n’a pas de diplôme.

Mais dans ce climat de reconstruction, qui pourrait bien chercher à lui nuire ?

A partir de 1916, les prétendantes sages-femmes doivent passer un brevet et avoir plus de dix-neuf ans. Elles ont le droit de pratiquer l'épisiotomie mais pas d'utiliser les forceps ni de faire de césarienne ou d'avortement sous peine d'être condamnées aux travaux forcés à vie. Elles n'ont pas le droit non plus de prescrire des médicaments. Ni à la mère ni à l'enfant. En cas de transgression de ces règles elles peuvent être accusées d'exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie et encourent des amendes pouvant aller de cent à mille francs, ou des peines de prison allant de six jours à six mois ferme.

Note de l'auteur en préface.

Outre l’histoire de Louise, c'est donc celle des femmes, de leur corps, de la maternité, des viols, du métier de sage-femme, de l’émancipation et de la reconstruction par elles de cette partie de France, dévastée par la guerre, dans un climat de misère, de méfiance, de traditions, qui nous sont crûment racontées. Certains passages sont très difficiles à lire, encore plus à imaginer.

Nathalie Hug ne nous épargne pas et nous restitue la condition des femmes d’alors sous l’angle le plus intime qui soit.

Deux ans de recherches et d’écriture lui ont été nécessaires pour nous la décrire.

 

Il n’y a pas de couleurs dans ce récit, si ce n’est celle du sang.

Je me suis sans cesse représentée son atmosphère comme grise, sale, empuantie, sous un ciel nuageux, plombé même, ou abîmée comme une vielle photographie en noir et blanc.

Et pourtant, quelques couleurs et lumières se dévoilent ça et là. Dans la relation qu’entretiennent Louise et Vida, ou par la légende, locale et superstitieuse, de la Vouivre. Elle apporte même un petit brin de fantastique et d’évasion dans une réalité ternie.

 

Malgré le contexte, la lourdeur du sujet, j’ai lu ce roman presque d’une traite. Tantôt espérante, tantôt triste ou horrifiée par ce que subissent ces femmes, jeunes ou vieilles, épouses ou filles de joies, mères d’un enfant vivant ou non…

Comme en opposition à cette impression, la couverture du grand format est empreinte de douceur et d’amour, et synonyme de cette reconstruction passant par la femme.

J’avoue cependant lui préférer celle de la version poche (visible juste au-dessus). Plus froide malgré la couleur, plus anonyme et « professionnelle », plus intrigante de par ces quelques cheveux blonds que l’on aperçoit à peine et qui suppose le féminin. Mais plus en adéquation avec la méfiance à l’égard de Louise et dureté générale du livre.

 

Une lecture certes difficile mais terriblement humaine, dans laquelle je me suis beaucoup attachée au personnage de Louise.

 

Qu’en a pensé Magali ? Allons lire son avis !

Ce roman participe à mon Challenge consacré à la Première Guerre mondiale, au « Challenge des Douze Thèmes », ainsi qu’au « Petit Bac 2018 » d’Enna pour ma 2e ligne, catégorie Lieu.

 

 

 

 

 

 

 

 

De Nathalie Hug, je vous ai présenté : L’enfant-rien.

 

Concernant le corps des femmes et la maternité, je vous conseille la série anglaise Call the Midwife, issue du roman Appelez-la sage femme de Jennifer Worth, mais qui se centre sur l'après-deuxième guerre mondiale.

 

Belles lectures et découvertes,

Blandine

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N
J'avais beaucoup aimé ce roman ! Il est très fort. Je vois que tu parles de la série "Call the midwife" à la fin de ton article, j'avais commencé à regarder, c'est intéressant !
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B
Oh oui, je n'ai vu que la première saison mais ai beaucoup accroché. <br /> Repenser à ce roman me glace par certains moments...
A
Je l'ai lu en septembre dernier et, s'il y'a bien une chose à laquelle je ne m'attendais pas, c'était d'être autant secouée par ce roman. Je ne pensais pas qu'il serait aussi dur, aussi fort. Au départ, j'ai cru lire un roman de terroir, intéressant par son contexte mais pas forcément éprouvant et finalement, il l'est énormément mais on ne peut pas le lâcher pour autant parce que tout ce que raconte Nathalie Hug est vrai. Et elle le raconte très bien.
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B
Oh que oui! Elle est à la fois douce et si dure, et la couverture du grand format peut tromper aussi.C'est une lecture très forte!
N
Ce roman semble bouleversant ! J'avais aimé découvrir L'enfant-rien malgré l'immense peine ressentie à la fin de la lecture...Celui-ci me semble aussi "dur", mais nécessaire !<br /> Merci pour la découverte et les divers liens proposés, Blandine.
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B
Merci à vous Nancy!
M
Coucou,<br /> <br /> encore une bonne lecture en commun. J'ai vraiment aimé la plume de l'auteure et moi aussi je me suis attachée à Louise mais aussi à Vida.<br /> Je pense que cette lecture me marquera aussi. Surtout que les passages avec les obus et les grenades qui explosent m'a rappelé les mises en garde de ma mère quand j'étais enfants suite à un accident de ce type dans un champs ou une forêt. Cela m'avait fortement marqué.
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B
En effet, c'est un souvenir qui marque/effraie aussi.<br /> Oui c'était une "belle" lecture commune, vivement la prochaine ;-)