La Louisiane. Julia MALYE - 2023
Publié le 7 Janvier 2024
La Louisiane
Julia MALYE
Editions Stock, 3 janvier 2024
560 pages
Thèmes : Histoire, Etats-Unis, Exil, Sororité, Racisme, Découvertes
Ma première lecture de cette rentrée de janvier m'a littéralement emportée ! Et je l'aime d'autant plus qu'elle s'inspire de faits réels!
Entre 1720-1740
Julia Malye nous transporte auprès de Charlotte une orpheline de 12 ans, Geneviève une faiseuse d’anges et Pétronille, une fille d’aristocrates désargentée car rejetée.
Trois filles-femmes aux origines et parcours très différents qui, parce qu'elles sont à la Salpêtrière à Paris, vont être choisies pour partir en Louisiane, alors française. Embarquées en 1720 sur le navire La Baleine avec 90 autres femmes, elles font partie d’un deuxième envoi, en vue de devenir des épouses et des mères afin de peupler cette terre nouvelle.
Elles attendent ce moment depuis des mois et maintenant qu’elles sont là, elles se sentent indécises, mal à l’aise, un peu tristes. Que leur reste-t-il à espérer, une fois le voyage terminé ?
Au fil des années qui s'écoulent, nous les voyons se soutenir, devoir se quitter du fait de leurs mariages respectifs et successifs, aller d'un bout à l'autre de la Louisiane, cette terre inhospitalière de boue traversée d'ouragans, déchirée par les promesses impossibles, les convoitises légitimes ou hégémoniques, et décimées par les épidémies et les espoirs déçus.
La lumière de la Lune, éblouissante, s’immisce sous le rideau ; un animal cavale sous la fenêtre. Pétronille pense à Geneviève et Charlotte distrayant les nonnes pendant le blanchissage, lui offrant l’espoir dont elle avait alors besoin.
Au-delà du portrait de ces trois femmes qui nous permet de découvrir l'étroit destin féminin d'alors, la soumission au mari, au magistrat, au politique ou à la religion, dans une vie faite de cruautés, de renoncements, puis de rares plaisirs et d’émancipation, nous découvrons aussi celle des Indiens Natchez ( une pensée émue pour Utu'wv Ecoko’nesel) et des Africains, encore esclaves, n'ayant qu'une valeur marchande, rarement davantage (et une autre pour Belle).
Il est donc question d'exil, d’amitié, de défiance, de sororité, de condition féminine, de pouvoir (et pas qu'au masculin), de racisme, de maternité, de deuil, d'indépendance.
Elles ont mis des années à comprendre ce qui les entourait. Elles veulent épargner à leurs enfants les faux pas, les désillusions, les sentiments amers que ce continent ne veut pas d’elles, pas plus que Paris et les villages qui les ont vues naître.
Source: Histoire de la Grande Louisiane française
Ce roman choral et en trois parties, inspiré de faits réels, bien qu'il n'en reste que peu de traces, m’a, dès son prologue, renvoyée au magnifique Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka. S’il y a quelques similitudes de récit, de formes narratives, ces deux romans sont toutefois bien différents.
L'immersion est immédiate et d'autant plus aisée que les descriptions sont riches de détails d’atmosphères, architecturaux, techniques, historiques, et surtout sensoriels. La plume de l'autrice se fait parfois poète, offrant quelques moments de souffle dans cet environnement étouffant, moite et hostile.
Il s’agit peut-être des seules fleurs de France qu’elle touchera jamais, et elle se demande combien d’espèces lui resteront inconnues. Elle mourra avant de connaître toutes les plantes de la prairie. L’idée est fugace, inconsistante.
Quelle insensée regretterait ce qui échappe à sa vue ?
Utu »wv Ecoko’nesel pince ses doigts juste en dessous d’un bourgeon, évite les épines, tire d’un coup sec.
« Elles servent peut-être à quelque chose, dit-elle, mais nous ne le savons pas encore. »
Dans sa postface, Julia Malye nous décrit la genèse et l'écriture de son roman et c'est absolument passionnant !
Et si vous aimez lire en anglais, Julia l'a aussi écrit dans cette langue (pas seulement traduit, écrit). Il paraîtra chez Harper et Collins le 5 mars sous le titre Pelican Girls.