Marques de fabrique. Cécile BAUDIN - 2023

Publié le 4 Juin 2023

Marques de fabrique

Cécile BAUDIN

Paru chez France Loisirs en août 2022
Paru chez Presses de la Cité en mars 2023
432 pages

Thèmes : France, Révolution Industrielle, Droit du Travail, Condition féminine, Enquête

France, Ain, 1893

Dans la France rurale et ouvrière, le Droit du Travail commence à s'appliquer en vue de protéger les enfants et les femmes, et cela ne plaît pas à tout le monde !
C’est lors d’une visite matinale dans un atelier de couture que nous rencontrons Claude Tardy, jeune inspectrice de ce jeune Droit du Travail.
Son supérieur, Edgar Roux n'a d’abord pas vu d'un très bon œil l’arrivée d’une femme avant d’en saisir les nombreux avantages, aussi bien personnels (il peut ainsi s’adonner à sa passion, la photographie) que professionnels (visite dans les ateliers féminins où il ne peut se rendre, travestissement là où il est besoin d’un homme, rédaction des rapports, etc.). Mais cet « arrangement » commence à peser sur la jeune femme au sens de l’observation aiguisé et qui sait débusquer les contrevenants.

Tous deux sont appelés dans une tréfilerie où un jeune homme est retrouvé pendu par des fils d'or. Trois mois plus tard, c'est un autre jeune homme qui est retrouvé pris dans les glaces du lac de Sylans, et mort très certainement depuis autant de temps.
Rien ne les lie si ce n’est leur étonnante ressemblance. Claude persuade son patron de mener l’enquête.

On entend protéger les femmes contre les faiblesses qu’on leur prête, faisant ainsi les questions et les réponses. On crée la cause pour justifier l’effet.

Chaque année, les Soieries Perrin accueille des orphelines qui travaillent pour Elles, contre logis, nourriture et rémunération, en vue de leur mariage plus tard. Le Bâtiment du Ménage, où elles dorment, est dit hanté, ce qui insupporte Sœur Placide. Dans le groupe des nouvelles, l’une d’elles, Victorine, attire son attention. Elle ressemble étonnamment à Léonie, jeune fille qui fut sa protégée et dont elle est sans nouvelles depuis 15 ans. Victorine pourrait-elle être sa fille ? Dès lors un trop-plein de questions, et le besoin impérieux d'y répondre, la font sortir de sa traditionnelle et féroce réserve pour retrouver sa trace.

L’enquête de Claude et d’Edgar va se retrouver liée à celle de Sœur Placide, et ainsi nous emmener dans différentes localités et institutions de la région d'Auvergne (religieuses, textiles, ouvrières).
Nous dressant ainsi un portrait social et sociétal d’alors, entre les décalages des mœurs et habitudes, la place des filles et des femmes, et le changement apporté par l'industrialisation, l'avancée des technologies et les débuts de la mondialisation sur le quotidien des gens.

Cette hiérarchisation des taches permet de coller à l’ordre naturel, les hommes étant mieux payés que les femmes, et les enfants, moins que les adultes. La rentabilité est à ce prix : la concurrence grandit, avec la Grande-Bretagne notamment, et les cocons doivent désormais s’importer du Japon.

L’autrice, passionnée par cette époque charnière, nous restitue à merveille la mutation de ces métiers (à la pénibilité douloureuse), dans lesquels la machine a (heureusement) finalement remplacé l’humain (les descriptions des fillettes plongeant les bras dans des cuves d’eau bouillante pour en extraire, intacts, les fils de soie des cocons des vers, sont éprouvantes).
Elle nous transporte parfaitement dans les lieux qui revêtent tous plusieurs importances, étant presque des personnages à part entière. Les caractères des différents protagonistes nous sont très bien retranscrits.
Elle distille au détour de ses mots des détails et des indices pour nous permettre de progresser nous aussi dans la (re)découverte de cette époque comme dans la double enquête, en forme de puzzle.