Les recettes des Dames de Fenley. Jennifer RYAN - 2022

Publié le 11 Mai 2023

Les recettes des Dames de Fenley

 

Jennifer RYAN
Traduit de l’anglais par Françoise DU SORBIER

Albin Michel, 2022
512 pages

Thèmes : Angleterre, Deuxième Guerre Mondiale, Cuisine, Sororité

1942

Alors que la guerre fait rage sur le continent, en Angleterre, tout est rationné pour soutenir l’effort de guerre au maximum : nourriture, vêtements, produits d'entretien, matières premières... 
Pour aider sa population au maximum, le Gouvernement veille à ce que tous bénéficient de conseils et astuces par de nombreuses réunions solidaires ou émissions radiophoniques.
C'est dans ce contexte que l'émission de la BBC "The Kitchen Front" d'Ambrose Hart connaît un grand succès populaire. Mais il est un homme et pour que cela soit plus crédible, il faudrait qu'une femme soit avec lui. Ainsi, un grand concours est organisé et c'est à Fenley, village à 25 km au sud de Londres, qu'il va se dérouler.

C’est comme ça : des hommes qui n’ont jamais mis les pieds dans une cuisine nous disent ce qu’il faut faire, à nous autres femmes. Le ministère du Ravitaillement nous prend pour des travailleuses sans cervelle qui ont besoin d’une reine des abeilles. Ou d’un roi, en l’occurrence.

A Fenley, nous rencontrons :
Audrey Landon, mère de trois garçons, dont le mari Matthew a été incorporé dans l’aviation, mais qui est déclaré disparu.
Audrey a du mal à joindre les deux bouts. Sa maison, celle de son enfance, tombe en ruines et il lui est impossible de faire réparer quoique ce soit. Son temps est partagé entre ses fils, son potager grâce auquel elle confectionne pâtés et quiches, notamment pur la demeure des Strickland.

Lady Gwendoline Strickland, sœur cadette d’Audrey à qui elle voue une rancœur sans limite. Hautaine et méprisante, Lady Gwendoline fait des démonstrations de cuisine à l’intention des ménagères pour optimiser les denrées, alors que dans sa propre maison, rien ne manque.

Miss Nell Brown est une frêle jeune fille toute timide qui travaille dans la cuisine des Strickland, sous la houlette bienveillante de Mrs Quince. Cuisinière hors pair, elle manque cruellement de confiance en elle, ce qui la fait bégayer, mais elle n’en pense pas moins. Sur sa situation, sur les gens qui l’entourent, et surtout ceux qui l’emploient, sur son avenir.

Miss Zelda Dupont était Chef en second au prestigieux Hôtel Dartington à Londres avant de diriger (d’une main de fer) la cuisine de la fabrique de tourtes et pâtés de Fenley.
Elle avait dû quitter Londres, non pas à cause du Blitz, déjà terrible en soi, mais à cause de sa grossesse, non désirée, suite à une liaison ayant tourné court avec le Chef Jim Denton.

Chaque sacrifice portant sur la nourriture semblait déterminant, relevait du patriotisme » …
« Jamais la nourriture n’avait été aussi cruciale » …

Le concours va les voir s’opposer au fil de trois manches (entrée – plat – dessert), pour lesquelles elles vont devoir rivaliser d’ingéniosité et de dextérité pour trouver les ingrédients, les rentabiliser au maximum, tout en présentant des recettes aussi attractives visuellement, réussies gustativement que réalisables par toutes.

Au fil de leurs voix qui font s’alterner les chapitres, nous apprenons à les connaître, et elles entre elles, Fenley étant un petit village. Nous découvrons leur passé, ce qu’elles tentent de cacher et de préserver, leurs caractères et leurs conditions à chacune.
Au gré des épreuves, de la guerre qui s’intensifie et des rencontres ou révélations, leurs relations évoluent, se renforcent.

En regard, les places des hommes ne sont pas très flatteuses : absents ou disparus (du fait de la guerre), faibles ou manipulateurs, profiteurs ou violents. Seuls quelques-uns échappent à cela, tel Paolo, le prisonnier de guerre italien avec qui Nell va se lier, et qui va permettre de confondre un vaste réseau de marché noir.

***

Ce roman choral est très agréable à lire. Beaucoup de chapitres se referment sur une recette. Cela prolonge et allège tout à la fois la lecture. Pas sûre de vouloir les réaliser (ce sont des recettes souvent carnées et de rationnement), mais l’idée de les inclure est vraiment bonne ! Seule la couverture, et ce beige, me déplaisent. Je ne la trouve pas attractive.

J'ai beaucoup aimé les relations des quatre femmes et leurs évolutions, le contexte autour, les techniques de cuisine, les amitiés ou inimités, les contextes sociaux et sociétaux que la guerre chamboule ou amène, les rencontres et la sororité qui se développe.

C’est à vous, ménagères de Grande-Bretagne, que je veux m’adresser ce soir.... Nous avons un travail à faire ensemble, vous et moi, un travail de guerre d’une importance primordiale. Pas d’uniformes, pas de parades, pas d’exercices, mais un travail qui nécessite beaucoup de réflexion, et beaucoup de connaissances aussi. Nous sommes l’armée qui garde le front des cuisines pendant cette guerre.

Lord Woolton, ministre du ravitaillement.

J’ai d’autant plus apprécié ma lecture que le roman se fonde sur des faits historiques avérés, surtout avec ce rationnement alimentaire, fonctionnant par le biais de tickets hebdomadaires. Dans une note finale, l'autrice nous donne des précisions historiques et même personnelles. J’ai aussi effectué quelques recherches, parce que c’est intéressant, aussi parce que je me questionnais sur la part importante de viande consommée décrite dans le roman. Ce n’est pas cohérent avec le contexte du conflit, et c’est surtout une préoccupation (ou plutôt résistance) trop contemporaine il me semble. Et en effet ! Institué de 1939 à 1954, le rationnement a, paradoxalement, permis d’améliorer la santé des Britanniques grâce à un régime alimentaire équilibré et diversifié avec les vitamines (leur importance est une découverte récente) apportées par une consommation accrue de fruits et légumes.

Les hommes peuvent avoir la liberté ET des enfants, c'est vrai. Ils peuvent être artistes ou pilotes, et être aussi des pères. Ce sont les femmes qui doivent choisir entre les deux désirs de base : une carrière ou une famille.

Au-delà de ce thème premier de la cuisine, ce roman nous transporte aussi auprès des femmes de cette époque et de leurs conditions de vie. Les choix qu’elles avaient, ou pas, et ce à quoi ils étaient inexorablement rattachés.

Un très bon moment de lecture que je vous encourage à déguster à votre tour!

C'est le meilleur miel que j'aie jamais goûté", déclara Ben. Audrey observa le liquide brillant qui recouvrait le bout de son doigt. Il était plus épais que le miel du commerce, et chargé d'une douceur délectable. Puis elle huma et absorba les arômes délicats du chèvrefeuille, de la rose, de la fleur du cerisier - des fleurs de son jardin à elle.
Elle commença à saliver et sortit sa langue.
La saveur fut comme une gifle : caramel et beurre, avec un arrière-goût floral prononcé, le tout condensé jusqu'à l'explosion. Une suavité à la fois tonique et apaisante qui exacerbait délicieusement les sens.

Ce roman participe au "Tour du Monde en 80 Livres" de Bidib et à "Des livres et des écrans en cuisine" qu'elle organise avec FondantGrignote

 

 

 

 

Belles lectures et découvertes,

Blandine

 

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A
Merci pour cette découverte d'autant que j'apprécie les histoires inspirées de faits réels tout comme celles où se développe un esprit de sororité.
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B
Alors ce roman te ravira ;-)
F
Oui, comme toi, je me rappelle d'un roman agréable à lire! ;-) bisou
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B
C'est ça ;-) Bisou!