Le poids des Héros. David SALA – 2022 (BD)

Publié le 3 Mai 2023

Le poids des Héros

David SALA

Éditions Casterman, 2022
184 pages

Thèmes : (Auto)biographie, Histoire, Famille, Transmission, Espagne, Guerre d’Espagne, Deuxième Guerre Mondiale, Quête identitaire

Sur la couverture, David Sala s’est lui-même représenté.
Garçonnet brun, un peu chétif, au regard perdu, voire triste, malgré le champ coloré de fleurs dans lequel il se trouve, mais dominé par ce mur, ce tableau, ces troncs d’arbres.
Sur lui, planent un regard, une aura, qui le guident et l’écrasent tout à la fois.

Je vivais constamment sous la statue imposante de mes grands-parents.

Et je ne cessais de me répéter : « Ton malheur n’est rien, mon garçon. »

Au fil des planches, David Sala se raconte, de ses trois ans à aujourd’hui, et avec lui sa famille.
Et surtout, ses deux grands-pères, ces/ses Héros.
Tous deux Espagnols, ils ont dû fuir leur pays lorsque Franco a pris le pouvoir.
L’un dans le Maquis, l’autre déporté à Mauthausen, il leur a fallu traverser et endurer bien des épreuves et douleurs pour pouvoir s’établir en France, près de Lyon.

Pour les générations d’après, connaître tout ça, c’est essentiel, pour que toute cette horreur ne se reproduise plus.

C’est notre responsabilité, en parler à nos enfants…
Pour qu’eux puissent aussi…

Hein, les enfants ?! ça sera à vous, l’histoire de votre grand-père…

Nous découvrons leur histoire comme David Sala l’a reçue.
Par bribes, au fil du temps, des années.
Par des conversations entre ses parents et leurs amis, par une photo trouvée dans un grenier et ensuite commentée, par un gros livre feuilleté, par des souvenirs racontés lors de repas familiaux, par les deuils qui ravivent les mémoires qui s’éparpillent ensuite dans des objets récupérés (ou non).

Pour contrebalancer le terrible et l’atrocité de ces moments, David Sala a choisi de les dessiner dans des couleurs vives, presque fluorescentes, tel ce rose si flashy qui orne le dos et les pages de garde, et que l’on retrouve ensuite à l’intérieur.
Lui-même se représente enfant au milieu de champs de fleurs quasi psychédéliques, comme pour se protéger, créer une réalité parallèle.
Une bulle d’enfance.

Ces moments de transmission familiale s’intercalent avec des scènes de la vie quotidienne et ordinaire de David, dans des décors aux couleurs et motifs géométriques des années 1970 qui s’uniformisent à mesure que passe le temps, les années, les modes, l’âge.
Tons orangés, ocres et marrons, tommettes au sol, grosses fleurs aux murs, sur les tissus, mode pattes d’eph, cartons à dessin, puis son trait si reconnaissable qu’il trouvera plus tard avec la petite Banshee.

J’aimerais plus de couleur, plus de lumière.

On le voit à l’école et avec ses amis, l’un d’eux qui disparaît tragiquement, lors d’une balade à vélo, pour aller acheter des bonbons…
Avec ses deux frères, Philippe et Vincent, à écouter les débuts du rap à la radio, qu’ils tentent d’enregistrer sur cassette. Le passage du film L’Etrange créature du Lac noir en 3D à la télé, le pull Jacquard, le pâtissier qui fait de bons gâteaux…
Le décès d’un des grands-pères qui a tenu 6 mois après Franco, le divorce des parents et le chômage du père, la précarité, avec cette « colère archaïque » et déchirante, l’Ecole de dessin et les premières BD, une nouvelle génération qui voit le jour, la vie qui perdure.

Chacun de nous prendra quelques objets, accompagné de cette illusion d’avoir préservé quelque chose.

Le poids des Héros. David SALA – 2022 (BD)

Petites histoires dans la Grande Histoire, quête identitaire et transmission familiale sont au cœur de cet intense roman graphique au titre si prégnant.

David Sala n’occulte rien, de ses doutes, de ses questionnements, de son sentiment d’étouffement, d’écrasement par cet héritage familial et ces/ses deux figures tutélaires qui questionnent la valeur de la vie; de sa vie. En est-il digne ?
Il retranscrit très bien cette quête de sens, ce besoin de réalisation personnelle dans un récit aussi intime et pudique, qu’universel et mémoriel.

Un roman graphique salutaire que je ne peux que vous encourager à lire et « vivre » à votre tour !