L'Année de Grâce. Kim LIGGETT – 2020 (Dès 14 ans)
Publié le 16 Mars 2023
L'Année de Grâce
Kim LIGGETT
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie PERONNY
Casterman Jeunesse, octobre 2020
456 pages
Thèmes : Dystopie, Féminisme, Quête
L'année de leurs 16 ans, toutes les jeunes filles du comté de Garner County doivent se rendre sur une île afin de délivrer leur magie et de s'en débarrasser. Parmi celles qui en reviennent, celles qui ont reçu un voile la veille de leur départ sont dignes de devenir des épouses exemplaires (si tant est que leur prétendant d’alors veuillent toujours d'elles), tandis que les autres sont envoyées et exploitées dans les quartiers extérieurs, aux champs, à des fonctions subalternes, ou pire, enlevées par les Braconniers.
C'est aussi pour cette raison que les filles ne peuvent sortir seules, devant toujours être accompagnées d’un garçon.
Et elles ne vont à l'école que jusque leurs onze ans.
À Garner County, toutes les femmes sont coiffées de la même manière : les cheveux rassemblés en une longue tresse et le visage dégagé. Les hommes considèrent qu’ainsi, elles ne pourront rien leur cacher : ni rictus narquois, ni coup d’œil furtif ou étincelle de magie. Les rubans sont blancs pour les fillettes, rouges pour les adolescentes en année de grâce et noirs pour les épouses.
L’innocence. Le sang. La mort.
C’est aux côtés de Tierney James que nous sommes tout au long du roman.
Surnommée La Terrible, elle est dotée d’un caractère frondeur et solitaire, et ne se résout pas à l'existence qui lui semble toute tracée. Elle rencontre son ami d’enfance Michael autant que possible.
Rebelle, elle se questionne, écoute, observe, se renseigne comme elle peut sur cette « Année de Grâce » dont les femmes ont interdiction de parler.
Elle voit ces femmes autour d'elle, qui se jaugent, se critiquent, notamment sa mère, sa tante, sa sœur June. Toutes portent sur elles, en elles, des cicatrices suite à cette année dite "de Grâce", exilées en raison d'une magie qui aurait le pouvoir d'attirer les hommes... et…
Qu'est donc que cette (prétendue?) magie?
Après avoir reçu un voile dont elle ne veut pas, puis voyagé avec elle non sans effroi, nous découvrons avec elle le Camp où, avec les trente autres filles, elle va devoir (sur)vivre un an. Les filles précédentes n’ont laissé que ruines, cendres et sang. Sont debouts quelques baraquements austères et le puits.
Il va falloir apprendre à se nourrir et à vivre ensemble, à se faire confiance… alors que certaines sentent déjà leur Magie s’exprimer.
Telle la belle et redoutable Kiersten.
Elle croit sincèrement qu’en acceptant sa magie, en s’abandonnant aux forces sombres qui l’habitent, elle sera une femme purifiée, débarrassée de ses péchés et prête à entamer une vie nouvelle.
Les animosités et caractères de chacune vont se révéler, se heurter, se souder au fil des mois qui vont voir grandir peurs et épreuves, exacerbées par la présence des braconniers qui encerclent le camp. Et qui n’attendent qu’une chose : qu’une fille en sorte. Ce qu’ils en font est source de terreurs pour chacune.
Mais il semblerait que la pire des menaces soit à l'intérieur même du camp !
C'est le problème, quand on laisse entrer la lumière : dès qu'on vous la reprend, l'obscurité paraît encore plus terrible.
J'ai immédiatement plongé dans les pages de ce roman, qui a connu un très grand succès.
Son atmosphère patriarcale aux allures moyenâgeuses est aussi parfaitement retranscrite qu'oppressante et révoltante.
Très vite, je me suis posée des questions sur la nature véritable de la magie. Et si j'ai assez vite trouvé, ce n'est pas un souci à la lecture, car l'intérêt du roman tient à ce qu'on en fait, ou pas. Mais aussi à la force du groupe, et par extension, d’une société.
Comme le dit mon père, ce sont les petites décisions que l'on prend quand personne ne nous voit qui font de nous ce que nous sommes. Et qui voulons-nous être ?
L'Année de Grâce est un roman de dénonciation, de rébellion, d'indignation contre toutes ces sociétés ou comportements patriarcaux qui emprisonnent ou réduisent les femmes et la féminité au nom de suppositions ou de peurs.
Pour autant, le sort des hommes n’est pas enviable. Eux aussi ont des devoirs, des carcans imposés, des choix qui n’en sont pas.
Même si le roman fait des répétitions, que la fin fait des longueurs et que, personnellement, je n'aurai pas inclus un élément, j'ai trouvé ce roman aussi glaçant que magnifique.
Par son écriture fluide et immersive et par la réflexion et la transposition qu’il suscite.
Et j’ai aimé la postface dans laquelle l’autrice nous relate la genèse de son roman.
Tous les personnages sont vraiment très bien construits, même les secondaires.
Tierney n’est pas exempte de défauts, elle n’est pas l’héroïne parfaite, comme Kiestern n’est pas l’affreuse méchante. Les chapitres éclairent le passé qui nous révèlent davantage du caractère de chacune et expliquent les attitudes, choix, paroles… ou silences. J’aime !
Et nous sommes avec eux, et surtout elles. Ce qui leur arrive, nous arrive.
Au-delà de ce thème si entier de la condition féminine, Kim Liggett a introduit beaucoup de références et symboliques, notamment avec les fleurs.
Chaque fleur est un message et aucune ne saurait être posée, trouvée, donnée, laissée là sans raison ni signification.
J’aurais bien aimé un glossaire à la fin recensant toutes les symboliques de chacune.
Une fleur de thym est nichée sous un parterre de trèfle. Ce n'est pas une fleur noble mais dans le langage ancien, elle symbolisait le pardon. Mon premier réflexe est de penser à ceux que j'ai blessés, et à qui j'aimerais l'offrir - Ryker, Michael, mes parents, mes soeurs-, mais ils ne sont pas là, et je ne peux pas décider de leur pardon. Je connais en revanche quelqu'un qui en aurait bien besoin et dont je sais intimement les pensées : moi.
Ce roman participe au Tour du Monde en 80 Livres de Bidib; ainsi qu'à l'Objectif PAL
Pour la petite histoire, j'ai eu la chance de rencontrer Kim Liggett d'une manière tout à fait informelle et soudaine, ce qui rend ce moment d'autant plus précieux. Je la remercie ainsi que les Éditions Casterman pour m'avoir permis de lire ce roman! 🌷
Belles lectures et découvertes,
Blandine