Histoire d'un rêve. Le discours de Martin Luther King qui changea le monde. Gary YOUNGE - 2019

Publié le 7 Mars 2023

Histoire d'un rêve
Le discours de Martin Luther King qui changea le monde

Gary YOUNGE
Traduit de l’anglais par Colin REINGEWIRTZ

Editions Grasset, 2019
240 pages

Thèmes : Essai, Etats-Unis, Martin Luther King, Luttes pour les Droits Civiques, Ségrégation, Condition des Noirs

Le 28 août 1963, à l’issue de la Marche sur Washington, à l’ombre du Memorial Lincoln, Martin Luther King entame son discours. Il est le dernier de tous les orateurs. Il fait chaud. La foule, dense, a déjà commencé à se disperser. Martin Luther King pose sa voix, récite son discours rédigé avant de s’en écarter, de trouver son rythme, et d’emporter peu à peu son auditoire avec lui, dans son « Rêve ».
Sur le moment, ce jour-là.
Mais surtout les années et les décennies après.

Interrogés en 2008 pour avoir s’ils estimaient le discours « pertinent pour [leur] génération », 68% des Américains ont répondu oui – 76% chez les Noirs, 67% chez les Blancs. Seuls 4% n’en avaient jamais entendu parler.

Aujourd’hui, plus qu’au moment de sa déclamation, son discours résonne encore et toujours.
Il est devenu iconique.
Son leitmotiv, « I have a dream », est récupéré, arboré, graffé, imprimé sur des t-shirts, des cahiers, des posters, scandé lors de manifestations partout dans le monde et… détourné ?

Pourquoi ce discours-ci ? Alors que Martin Luther King en fit plus de 350 cette année-là.
Pourquoi lui avait-on conseillé de ne pas reprendre cette thématique du Rêve, déjà prononcée, et quasiment éculée ?
A qui a profité ce discours ? Que représentait-il ? Immédiatement puis ensuite ?

Le charme du discours réside dans le fait que, quelle que soit son interprétation, il demeure l’articulation la plus éloquente, poétique, décomplexée et publique de cette victoire [victoire morale de la suppression de la discrimination formelle et codifiée].

Dans cet essai aussi court que concis, précis et édifiant, Gary Younge revient, en quatre chapitres, sur la genèse, le contexte, la réalisation et la postérité de ce discours, comme sur la personnalité, les motivations et empêchements de Martin Luther King, comme de ceux qui l’entouraient.

Chapitre 1. Le moment
Ce chapitre nous démontre pourquoi et comment le Discours a été proféré au bon moment, dans un contexte politique, social, sociétal et même international propice. Ce afin qu’il soit entendu et impactant sur le long terme, alors même que la position de Martin Luther King était fragilisée, voire contestée.

King était alors le visage le plus exposé d’une exigence – mettre fin à la ségrégation légale – qui semblait non seulement possible mais inévitable.

Chapitre 2. La Marche
L’idée d’une Marche avait déjà été avancée en 1941 par Asa Philip Randolph (que l’on retrouve en 1963) contre la ségrégation dans l’Armée, et le secteur de la Défense en général. Et il appelait tous et seulement les Noirs à se mobiliser, car « Il y a certaines choses que les Noirs doivent faire tout seuls. Ceci est notre combat et c’est à nous de le mener à bien. » (Un souhait qui sera au cœur de débats des décennies plus tard et appelé « whitewashing »)

En 1963, les revendications et ramifications sont bien plus larges et les organisateurs (avec le gouvernement et l’Etat, dont le FBI) se doivent de penser et de prévenir toutes les situations possibles, des plus prosaïques aux plus effrayantes : faire converger des centaines (milliers ?) de personnes vers un lieu défini, moyens de transports, prévoir WC et ambulances, un système de sonorisation, avoir son propre service de sécurité (noir), etc.
Dans le même temps, l’un des organisateurs, Bayard Rustin, fait face à des tentatives de discrédit car homosexuel et objecteur de conscience. Puis c’est autour du discours de John Lewis que se cristallisent différentes crispations. « Les négociations sur les métaphores qu’il contenait devinrent elles-mêmes des métaphores des divisions plus profondes du mouvement. » Le remaniement de son discours est très bien décrit dans le tome 2 de la BD Wake Up America, écrite par John Lewis.

La Marche leur avait montré, ainsi qu’au reste du pays, que ceux qui s’impliquaient réellement dans la lutte n’étaient pas aussi divisés et isolés qu’ils le pensaient. A lui seul, ce constat était d’une immense valeur. Grâce à la Marche, les Noirs devenaient des sujets qui réclamaient un monde dans lequel ils voulaient vivre, et non plus des objets qui s’opposaient au monde qui leur avait été imposé.

Chapitre 3. Le discours
Martin Luther King était un excellent orateur, notamment grâce à l’étude de l’homilétique, soit « l’application des principes généraux de la rhétorique à la prédication ». Il savait captiver son public en « jouant » sur les silences, les effets de voix, la cadence de son flot de paroles, et sa gestuelle. Ceci, plus que les mots et leur valeur, sert à définir la qualité d’un discours, de médiocre à excellent, et sa portée. « Ce discours est fait pour être entendu. »

Reprenant le discours par paragraphes, Gary Younge nous l’explique point par point, remontant dans le temps, nous remémorant un fait, un évènement, recontextualisant ou faisant écho, référence à des personnes, des revendications, des situations à la fois similaires et différentes. Puis postérieures avec les prises de position antimilitaristes de Martin Luther King, et le discours de Riverside en avril 1967. L’auteur revient aussi sur le point polémique du discours, un petit passage qui a suscité bien des interprétations, « la valeur de la nature ».

Ce que King souhaitait profondément était quelque chose que peu de gens pouvaient imaginer (…) L’ensemble de ces exigences, à la fois utopiques et raisonnables, idéalistes et justes, venaient contredire la moindre théorie faisant de King un modéré.

« Rustin, raconte Horowitz, disait toujours que le génie de King tenait au fait qu’il pouvait simultanément s’adresser aux Noirs, en leur expliquant pourquoi ils devaient obtenir leur liberté, et aux Blancs, en leur montrant pourquoi ils devaient soutenir cette liberté. Simultanément. Cela relevait du génie qu’il puisse faire cela dans le même Gestalt. »

Chapitre 4. L’héritage
Spontanément, nous vient en tête l’investiture et la réélection de Barack Obama, premier Président Noir des Etats-Unis, l’année des 50 ans du Discours qui plus est. Et si le parallèle est beau, il n’en reste pas moins aussi vrai, récupéré que contrefait.

Plus les comparaisons entre les deux hommes se font littérales, moins elles ont de chance de tenir la route. (…) King était un pacifiste ; Obama avait une liste de personnes à éliminer.

Toute discussion contemporaine de l’héritage du discours est inévitablement alimentée par la façon dont nous comprenons aujourd’hui les thèmes soulevés par King à l’époque. Quand une minorité historiquement opprimée est explicitement exclue de l’électorat, des mos comme race, égalité, justice, discrimination et ségrégation ont une signification différente de celle qu’ils prennent lorsque le président est noir.

Pour étayer son propos, Gary Younge confronte les personnalités de King et Obama, leurs motivations, mais aussi leurs réalités historiques et sociales, jusqu’à analyser les sémantiques et symbolismes de leurs propos. La position du Blanc a bien chuté, quand celle du Noir ne s’est pas améliorée, et a même empiré. Sans compter que le paysage racial et sa dénomination a aussi beaucoup évolué depuis 1963, créant un paysage qui ne pouvait être imaginé alors, telle la proportion en hausse des Latinos.

Le Rêve de Martin Luther King a-t-il été réalisé ?
La réponse est à double-tranchant, car il existe deux faces, qui oscillent entre ségrégation et racisme.
Il y a eu « l’abolition négative de l’esclavage » (termes employés par Angela Davis) mais qui n’a pas été suivi de la liberté et de la sécurité économiques, politiques et sociales. « Nous devons toujours, toutes ces années plus tard, affronter l’échec du côté positif de l’abolition ». Et cela entraine des discriminations de toutes sortes et à tous les niveaux de la vie des Noirs (école, emploi, représentativité, et même incarcération) – Pour cela voir les documentaires Le 13e [Amendement]Colin La vie en noir et blanc, qui les expliquent et démontrent très bien.

Enfin, devenu iconique, son discours, de seulement quinze minutes et en grande partie improvisé, en est forcément réduit et lissé. Et il ne saurait être uniquement représentatif du combat entier de King.

S’il venait à ressusciter, il est impossible d’imaginer qu’en observant les prisons américaines, le taux de chômage, la soupe populaire, les écoles de quartier, l’emprisonnement d’enfants à la frontière mexicaines et les discours de Trump, King puisse estimer que l’œuvre de sa vie a été accomplie. (…)
Rien non plus ne permet d’affirmer que ce constat aurait été différent avec la présence d’un Noir à la Maison Blanche. L’objectif du mouvement des droits civiques était l’égalité pour tous, et non l’élévation d’un seul.

J’ai énormément appris. Et moi qui ne suis d’ordinaire pas très portée sur les essais et documentaires, je l’ai lu avec la même avidité qu’un roman haletant. 
J’ai relevé maints passages –je sais que j’en ai mis beaucoup dans cet article. 
Merci à Enna qui m’a permis de le lire (grâce à un concours) et je sais que je le relirai, par bouts ou en entier, tant il m’a marquée et est édifiant !
 

Pour lire l'avis d'Enna, c'est ICI.

Si personne ne rêvait d’un monde meilleur, qu’y aurait-il à espérer de notre réveil ?

Cet essai participe à l’ « African American History Month » d’Enna; au Tour du Monde en 80 Livres de Bidib; ainsi qu'à l'Objectif PAL

 

 

 

 

Belles lectures et découvertes,

Blandine

 

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