Jusqu'à ce que mort s'ensuive. Roger MARTIN - 2008
Publié le 28 Février 2023
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Jusqu'à ce que mort s'ensuive
Roger MARTIN
Le Cherche Midi, mars 2008
372 pages
Thèmes : Etats-Unis, Condition des Noris passée et actuelle, Deuxième Guerre Mondiale, Famille, Transmission
Douglas Bradley, Afro-Américain de 22 ans, est un brillant élève qui vit dans la très belle demeure parentale de la banlieue d’Atlanta.
Il est le fils du Directeur des ventes de Coca-Cola, William Bradley, et d’une petite femme rondelette et effacée, qui a reporté sur son fils unique tout son amour et affection, l’enfermant quelque peu.
Pour William Bradley, ceux qui sont pauvres, et les Noirs plus encore, sont des feignants qui se complaisent tout en ne faisant que se plaindre. « Un Nègre contestataire est pire qu’un Nègre paresseux ». Il faut avoir de la volonté pour s'élever, ne pas rechigner devant l'effort, ne pas s'appesantir, ne pas regarder derrière, avoir de la discipline. Aussi toute sa vie et celle de son épouse comme de leur fils sont-elles régies par ses valeurs et principes quasi dictatoriaux. Et William Bradley ne supporte pas l’opposition. Ses mots, silences, habitudes, conditionnent toute la vie familiale.
Malgré un dossier éloquent, Douglas est recalé, sans explications, de la prestigieuse Académie militaire de Colorado Springs où il avait pourtant postulé contre l’avis paternel.
C’est son professeur de physique, David Clarkson, héros du Vietnam, qui va lui en donner les raisons, faisant ainsi vaciller toutes ses certitudes quant à son père, sa famille, les valeurs inculquées, voire subies, qui ont bâti sa vie.
Son grand-père paternel, qu’il pensait enterré avec les honneurs dans un cimetière militaire normand, où son père l’a emmené petit, a été en réalité pendu en 194.
Cette condamnation martiale a rempli de honte son fils (William) et a entraîné la non-intégration de Douglas dans l’Armée.
Dès lors, Douglas va chercher à découvrir le (vrai) motif de l’accusation de son grand-père, et surtout, ce qu’il a réellement fait.
Mis sur une piste grâce à un Privé, il se découvre l’existence d’une famille qui vit à Tallahassee en Floride. Il fait ainsi la connaissance de sa grand-mère, de sa tante (Rosa), de ses cousines et apprend que son cousin, Jason, est décédé en Irak, dans des circonstances encore troubles (et se demande comment lui a pu s’engager).
Une famille aux revenus modestes et qui, surtout, n’en déplaise à son père, est digne.
Pour la première fois de sa vie, il s’était senti différent. Jamais jusqu’alors il n’avait éprouvé cette sensation étrange, jamais sa couleur ne lui avait posé aucun problème. Le journal éclairait une époque et un monde que son père avait dérobés à sa connaissance. Buckhead n’était pas le terreau ordinaire de la communauté noire. Juste un îlot protégé et coupé de la réalité quotidienne. La vérité c’était que la plupart des Noris vivaient comme Rosa et ses enfants.
Voulant offrir à sa tante des réponses, il part en France et en Belgique, après avoir été au Pittsburgh Courier, le fleuron de la presse noire des années 1940, et vu l'aumônier qui a assisté aux derniers moments de son aïeul. En parcourant les kilomètres et les distances, il espère pouvoir remonter le temps, découvrir des faits et retrouver des personnes.
Mais il ignore qu'il est surveillé par des agents de la DIA, le Service de Renseignements, bien décidé à entraver ses recherches, voire à le faire taire.
Nous venions de prouver aux autorités du camp, ce dont il n’avait jamais douté personnellement, que les troupes noires de 1943, comme celles qui s’étaient illustrées en France en 1917-1918 et avant elles les régiments noirs de la guerre de Sécession, étaient capables d’autant de courage, de réflexion et de patriotisme que n’importe quelle autre force de l’armée américaine.
J'ai tout de suite plongé dans les pages de cet épais roman, fort de recherches documentées et étayées sur la Condition des Noirs dans l’Armée américaine du temps de la Deuxième Guerre Mondiale, et ses répercussions jusqu’à nos jours. En termes militaires, politiques et civils, allant jusqu’au secret d’Etat.
Même si le personnage de Douglas m’a parfois agacée (il fait souvent preuve d’une émotivité niaise, exacerbée et irréaliste du fait de son éducation), qu’il y a un certain manichéisme dans les descriptions familiales (celle de Douglas / celle de Rosa), et que Douglas semble échapper « trop » facilement à la DIA, ce roman m’a passionnée.
Roger Martin a beaucoup lu, étudié et écrit autour de la ségrégation et de la Condition des Noirs passée et actuelle aux Etats-Unis, et cela se ressent dans ce roman qui s’étaie de citations, extraits de journaux et documents réels afin d’élucider « le mystère du 364e Régiment d’Infanterie » comme « les révoltes et massacres qui existèrent entre 1941 et 1943 dans les camps d’entraînement américains ».
Me sacrifier pour le droit de vivre comme un Américain de seconde zone ?
Plusieurs des lieux mentionnés sont visitables.
Dans le « Cimetière des hommes perdus », la Parcelle E de l’immense cimetière Aisne-Oise à deux kilomètres de Fère-en-Tardenois en France, reposent désormais les restes de 94 soldats américains. Une parcelle « ignorée, cachée, dérobée aux regards, interdite à tout visiteur démuni d’une autorisation spéciale du haut commandement américain.
Ce n'est qu'en 1948, avec le décret Truman, que la ségrégation dans l’Armée américaine sera reconnue et son abrogation appliquée seulement depuis la guerre de Corée (1954) dans les services publics fédéraux des Etats-Unis.
Jusqu’à ce que mort s’ensuive, un titre éloquent et polysémique, pour une enquête identitaire et historique passionnante !
Douglas se demanda combien de temps s’écoulerait avant que l’image de son père ne cesse de venir le hanter à chacun de ses faits et gestes. La réponse qui lui monta spontanément aux lèvres le contraria.
Sur le blog, retrouvez Roger Martin avec:
- Roman ado: Ku Klux Klan - Tome 1. Des ombres dans la nuit
Belles lectures et découvertes,
Blandine
