Un simple soupçon. Sandrine BEAU – 2021 (Dès 13 ans)

Publié le 12 Janvier 2023

Un simple soupçon

Sandrine BEAU

Editions Mijade, 2021
190 pages

Thèmes : Obésité, Santé publique, Politique, Famille

Jacob Fati, 14 ans, est en surpoids, comme ses parents et deux de ses sœurs. La petite dernière, Sissi 5 ans, ne grossit pas, elle est même trop maigre et trop petite.
Ses parents s’inquiètent et ne pouvant plus se rendre chez leur Docteur car parti à la retraite, ils se retrouvent devant le Docteur Kayser, le médecin-chef de la SCAS, la Section du Centre d’Action Sanitaire.

Ce dernier leur explique que leur famille va être placée, pour leur bien et celui de leurs enfants, dans une maison spécialisée pour leur apprendre à gérer leur alimentation et leur activité physique. Et ainsi perdre du poids.

Donc si on l’écoute, ceux qui sont gros le veulent bien, en fait !
C’est un peu ça. L’alcool et la cigarette, c’est festif. Les kilos, c’est honteux et synonyme de faiblesse.

Les chapitres voient s’alterner la voix de Jacob, les rapports des médecins et services sociaux, et la voix de Bonnie, amie de Jacob, rencontrée grâce au ukulélé, et qui vit seule avec sa mère dans un quotidien précaire. Une amitié salvatrice.

Nous découvrons l’emploi du temps millimétré de Jacob et sa famille, le contrôle absolu qui les étreint, et l’échec de ce programme avant tout politique, entraînant la séparation des enfants d’avec leurs parents.

Il ne nous semble pas déplacé de parler de maltraitance par négligence. Nous recommandons un suivi de cette famille, dont les parents représentent un danger potentiel élevé pour leur progéniture.

La réalité dépasse malheureusement la fiction, qui agit comme un révélateur !
Tout au long de ma lecture, faite comme en apnée, j’ai cru que Sandrine Beau nous livrait un récit quasi dystopique dans lequel elle aurait poussé jusqu’à l’absurde. Une narration manichéenne pour nous heurter et nous engager à réagir. Cela parait tellement invraisemblable, disproportionné, qu’à partir d’ "un simple soupçon", des mots et comportements autoritaires, despotiques, dictatoriaux même, puissent avoir (encore et toujours) lieu.
Jusqu’à la lecture de la postface, suivie de recherches sur internet.

Sandrine Beau s'inspire d'une politique de santé publique en vigueur depuis plus de trente ans au Royaume-Uni visant à réduire le nombre d'obèses, car ils coûteraient trop cher à la collectivité. Si cette politique interdit de mettre (dorénavant) des sodas ou autres barres sucrées le long des lignes de caisses des supermarchés, elle entend aussi inculquer aux citoyens jugés trop gros et défaillants, des règles (saines) d’hygiène de vie, avec une menace constante des services sociaux.
Dit ainsi, cela questionne déjà beaucoup.
Et les détails sont ubuesques.
Pire, ils annihilent toutes les recherches médicales, sociales et sociétales qui ont pourtant été faites sur ce sujet de par le monde depuis plusieurs décennies.

Comme toujours, Sandrine Beau vise juste, suscite notre empathie, notre effarement et notre indignation.
Je suis ressortie sonnée de ma lecture, ahurie et en colère contre cette grossophobie persistante et arbitraire, si destructrice humainement.
Et n’allez pas croire que ce genre de politique n’existe qu’en Angleterre !

Pour aller plus loin, je vous conseille la lecture de Toxic de William Reymond, qui a mené une enquête édifiante aux Etats-Unis sur la face cachée (et entretenue) de l’obésité.

Sur Instagram, je suis Baptiste Beaulieu, écrivain, chroniqueur radio et médecin généraliste qui nous parle souvent de son métier, de son rapport aux patients et de différents maux/mots.
Il y a peu, il parlait justement du poids, mais pas forcément de l’obésité. Les réactions suscitées sont éloquentes. Je vous invite à lire son post ICI et LA.

Etreinte par ce livre, dont la couverture prend tout son sens une fois le roman terminé, j’ai posé quelques questions à Sandrine Beau. Interview à retrouver ICI!