Betty. Tiffany McDANIEL - 2020
Publié le 7 Juin 2022
Betty
Tiffany McDANIEL
Traduit de l’anglais (USA) par François HAPPE
Éditions Gallmeister, août 2020
720 pages
Thèmes : USA, Famille, Transmission, Figure du père, Résilience, Quête de soi
Nous avons trop d’ennemis dans la vie pour en faire nous-mêmes partie. Aussi, lorsque j’ai eu dix-sept ans, un âge qui vous autorise à allumer la flamme de passions nouvelles, j’ai décidé de refuser l’ambition de la haine.
Tiffany McDaniel s’est inspirée de l’histoire de sa mère, Betty, pour écrire ce roman sur sa famille, ses racines, transmettre leur vérité, ne pas les oublier, et faire œuvre de résilience.
A l’échelle d’une famille, d’un peuple et de pratiques sociétales.
Par sa voix, Betty nous emmène au cœur de sa famille composée de sept frères et sœurs, dont tous n'ont pas (sur)vécu, et de ses parents, Alka et Landon Carpenter. Après des années à sillonner les routes, mais toujours près des rivières, c’est à Breathed en Ohio, que la grande famille s’est installée, dans une maison délabrée, sur laquelle pesait une malédiction disait-on.
Une maison reconstruite par Landon, agrémentée d’un potager, et d’une terrasse, appelée le « Bout du Monde », sous laquelle Betty cachera dans des bocaux de verres des bouts d’histoires qu’elle aura écrits, pour qu’un jour, assemblés, ils puissent tous les raconter.
L’écriture, le moyen pour Betty d’imaginer, d’espérer, de s’évader, de (se) soulager.
-Si tu restes immobile, Betty, tu vas passer à côté de quelque chose d’extraordinaire.
Betty nous raconte son enfance, son adolescence, au sein de cette ville qui les maintient à l’écart. Car les Carpenter sont métisses, et Landon, Cherokee. Le racisme, tous le ressentent mais il pèse particulièrement sur Betty qui tient de son père sa peau brune, qui l’ostracise tellement. Certains épisodes (son entrée en CP, les bons pour la cantine) sont terribles de cruauté banalisée. Un racisme encore différent d'avec les Noirs, mais tout autant écoeurant.
Affectueusement, il la surnomme « Petite Indienne ».
Des récits cherokee, Landon n’en manque pas.
Il les transmet à ses enfants pour expliquer la Nature, le lien qui les unit tous à Elle (baigner le nouveau-né dans l’eau de la rivière ; l’origine de leur nom ; les remèdes pour les soigner eux, puis les gens de la ville plus tard ; les semences qui doivent être faites par les femmes ; les étoiles…)
Ces histoires immémorielles nourrissent l’imaginaire de Betty, l’ancrent au monde, forgent l’admiration et l’amour qu’elle voue à son père, cet homme « fait pour être père » et mari.
Ce que je viens de te raconter, c’est le mensonge dans toute sa splendeur. Est-ce que tu as envie d’entendre la vérité dans toute sa laideur ?
Alka est une femme tourmentée, relativement absente des pages, mais dont l’histoire, violente, nous est paradoxalement très (trop) bien transmise, comme à ses filles, leur forgeant un modèle, à suivre… ou pas. A l’inverse, Landon occupe une très grande place.
Pourtant de son passé personnel et individuel, on ne sait pas grand-chose., quand celui de son peuple asservi par les Blancs et assujetti à leur religion, nous est décrit en quelques mots au tout début.
Un « héritage » forcé qui se retrouve à chaque début de chapitre, introduit par une citation biblique, au fil de cinq parties datées qui retrace 64 ans de leur histoire.
Tu sais, quand je me suis entendu dire que j’étais bête, j’ai eu le sentiment de l’être vraiment. Tout ça parce que je suis un homme adulte avec une instruction de troisième ordre. Être au bas de l’échelle te remplit d’amertume, Fraya, et je suis bien placé pour le savoir. J’y ai passé toute ma vie et je n’ai pu que contempler le sommet.
Attristé de n’être pas mieux considéré par les autres hommes (battu plusieurs fois en raison de sa couleur lorsqu'il travaillait à la mine, ce qui lui a estropié le genou droit), Landon veut plus pour ses enfants. Mais ses histoires ne suffisent pas, elles ne peuvent lutter toujours contre la méchanceté, l’ignorance, les préjugés, gratuits et entretenus. Seulement ensuite, elles protègent, créent un rempart choisi.
Raconter une histoire a toujours été une façon de récrire la vérité. Mais parfois, être responsable de la vérité est une façon de se préparer à la dire.
Betty a remporté de nombreux Prix, a suscité un engouement littéraire et public intense, totalement mérité à mon sens.
Dès les premières lignes, j’ai été transportée auprès de Betty et de sa famille, saisie par leur histoire, leurs sentiments et émotions, leurs épreuves et leurs douleurs, entre fatalité et espérance. Et j’ai accompagné Betty dans ses émerveillements, silences, désillusions, volontés.
Par son écriture fluide, sensorielle, immersive, Tiffany McDaniel nous livre un récit aussi intime qu’universel, aussi sombre que lumineux, sur la transmission familiale, le passage à l’âge adulte, la quête identitaire, dans un contexte social et sociétal particulier.
Un roman dont il n’est pas facile de parler tant il bouleverse et contient de liens, de résonnances. Il prend et reste au cœur.
Je ne peux que vous le recommander !
Qu'en a pensé Natiora? Allons lire son avis!
Quand je repense à ma famille, maintenant, je vois un grand champ de sorgho d’autrefois, pareil à celui dans lequel mon père est venu au monde. Une terre brune et sèche, des feuilles vertes et humides. Une douceur un peu folle, là, au milieu des tiges dures. C’est cela, ma famille. Du lait et du miel, et toutes ces conneries du temps jadis.
Ce roman participe au "Tour du Monde en 80 Livres" de Bidib; et à l'Objectif PAL d'Antigone
Belles lectures et découvertes,
Blandine