Les fins de MOI sont difficiles. Hubert BEN KEMOUN. 2021 (Dès 13 ans)
Publié le 27 Janvier 2022
Les fins de MOI sont difficiles
Hubert BEN KEMOUN
Editions Flammarion Jeunesse, 2021
192 pages
Dès 13 ans
Thèmes : Adolescence, Harcèlement, Famille
Je n'ai jamais su m'affirmer face aux certitudes des autres. Ils ont toujours raison, et même si j'aime discuter, ou discutailler, au bout du compte, l'écrasement de ma pomme est le sport dans lequel je suis championne olympique.
Mathilde est en classe de Première et n'a pas grande confiance en elle. Elle le sait, elle n'arrive pas à s'affirmer, se sent en deçà par rapport aux autres, et préfère suivre. Elle sait très bien que Camille et Selma se sont rapprochées d'elle par pur calcul, pour qu'elle leur donne les réponses aux devoirs. Mais elle aime à penser qu'elle a grimpé dans leur estime, et même amitié, le jour où elle les a aidées à voler.
Car Camille et Selma font du vol à l'étalage leur passe-temps favori. Non pas qu'elles aient besoin d'argent ou de fringues, mais comme c'est grisant, excitant même ce danger palpable auquel elles réchappent !
Emma Bovary aujourd’hui ?
La peur d’être seule ou mal-aimée ?
Pourtant, très vite, les choses vont déraper.
D'abord parce que Mathilde n'a pas envie d'aller dans la boutique voler cette veste inutile, elle ne le sent pas. Mais par peur du rejet, elle abdique.
Aussi parce qu'elle adore la prof de français, Mme Charpentier qui leur fait étudier Mme Bovary, roman qui questionne Mathilde.
Camille et Selma ne comprennent pas l’admiration que Mathilde voue à cette prof qu’elles ne cessent d'insulter.
La scission est doublement consommée lorsque les trois filles se font choper et que Mathilde comprend que Camille lui fait porter toute la responsabilité.
Tricher. Refaçonner les choses, parce que le réel n’est jamais assez beau, assez idéal.
Sa mère ne lui adresse plus la parole.
Et lorsqu’un élève se fait renvoyer du lycée, les imaginations s’affolent et font des liens : un pouce vers le bas sur les réseaux, une seconde de retard, un sourire du proviseur, c’est limpide : Mathilde est celle qui a balancé.
La déferlante qui s’abat sur elle est aussi rapide qu’implacable.
Face à la violence, rien ne vaut la pensée, celle qui freine autant qu’elle stimule, celle qui permet de ne pas tout régler à coup de poing.
Hubert Ben Kemoun nous transporte auprès de Mathilde et de son mal-être, de sa difficulté à trouver une place, sa place. En peu de mots, il nous restitue sa situation familiale, l’apparente complicité mère-fille, et le silence oppressant lorsque les mots n’arrivent pas à se frayer un chemin, qu’ils soient durs ou non. Leur absence est encore plus cruelle.
Avec un réalisme glaçant, il nous décrit les relations malsaines et toxiques, l'emprise qui s'alimente de la peur et du dégoût de soi, qui empêche la confiance en soi et qui peut détruire en un rien de temps.
Il décrit la violence de la rumeur, favorisée, décuplée par les réseaux sociaux et la conséquence, la seule échappatoire qui semble possible, malgré son extrémité.
Et la descente aux Enfers de Mathilde va vite, presque trop vite même. Mais comment savoir comment nous réagirions en pareilles circonstances ?!
Dans une postface, l'auteur nous révèle un peu du contexte d’écriture et de parution de son livre, nous révélant que malheureusement, ce qui était encore fictif au moment de l’écriture a pris un tournant réellement tragique.
Les fins de MOI sont difficiles, quel titre, quelle claque !! Ce titre m’a tellement parlé ! Comme j'aime l'écriture d'Hubert Ben Kemoun, très douce et emplie d'images et en même si temps si réaliste, si en phase avec l'adolescence.
C'est un roman nécessaire sur la recherche d’identité et de Soi, sur les petites morts que nous traversons inexorablement et sur le harcèlement réel et virtuel, un véritable et angoissant fléau. Et même si, pour moi, l'épilogue n'était pas nécessaire, celui-ci fait de lui un roman lumineux, espérant. Et montre combien une personne (ici une professeure) peut changer votre vie. (Et de penser aux romans jeunesse de Soprano Freestyle et au roman graphique de Chloé Cruchaudet Les Belles Personnes)