Point de fuite. Nancy GUILBERT et Marie COLOT – 2020 (Dès 15 ans)
Publié le 27 Mai 2021
Point de fuite
Nancy GUILBERT
Marie COLOT
Gulf Stream Éditeur, collection "Électrogène", 8 octobre 2020
432 pages
Dès 15 ans
Thèmes : Amour, Manipulation, Amitié, Famille, Art, Entraide, Résilience, roman choral
Lecture commune avec Pauline et Cécile
Flamboyante rousse, cadette d’une famille aimante, sœur d’Adrienne de six ans son aînée à qui tout réussit et qui s’apprête à quitter le nid familial, Mona, 17 ans, est une lycéenne qui brigue l’ENSBA (l’Ecole Nationale des Beaux-Arts).
Si elle veut l’intégrer, il lui faut placer le dessin au-dessus de tout, comme le lui intime sa professeure.
D’un caractère doux, peu sûre d’elle, Mona n’aime pas froisser les gens et se retrouve souvent dans des situations qui lui sont inconfortables pour ne pas avoir voulu déplaire ou décevoir. Comme lorsqu’elle a accepté l’invitation à boire un verre du nouveau, Antonin, un grand blond, et dont elle s’est dépêtrée grâce à son meilleur ami depuis la maternelle, Marin, qu’elle surnomme affectueusement « Curry ».
Intéressé par les sciences économiques, l'écologie et le développement durable, l’engagement a pour lui une forte signification. Il se révèle être un soutien et un appui indéfectibles, même dans la distance.
Car peu à peu, malheureusement, Mona s’éloigne.
Non pour ses études, mais pour Joshua.
Ce jeune homme brun, rencontré au Musée où elle va tous les mercredis, l’a d’abord vouvoyée, ce qui l’a charmée. Avant de la fasciner, de la subjuguer.
Mona est amoureuse...
Choral, le roman fait aussi parler un certain Ycare, pseudo d’un jeune homme féru de théâtre et de mythologie, très sûr de lui et de ses capacités et qui en veut.
On fait aussi connaissance avec Esther, une jeune fille peu studieuse mais qui excelle à la piscine en natation synchronisée, sans que ses parents n'aient d'intérêt pour elle, tant son frère aîné prend la place, même, et surtout, dans son absence. Il ne daigne plus donner de nouvelles, laissant sa mère dans une détresse émotionnelle absolue, mais il sait se faire rappeler, et ça, Esther ne le supporte plus.
Le parcours de Mona nous emmène à la rencontre de Lya, qui devient sa voisine de palier lorsqu'elle emménage chez Joshua. Relevée d’un lourd passé qui se manifeste encore à elle, elle sent, elle ressent plus qu’elle ne le sait ce qui arrive à Mona. Et elle cherche à l’aider.
Et puis, nous découvrons Cassien.
Poète dans l’âme, il est un chauffeur très particulier qui cache en son cœur de profondes blessures qui ont bien du mal à se refermer.
Altruiste et généreux, il aide par son silence et son écoute celles qui en ont besoin.
On ne porte jamais quelqu'un sur ses épaules, parce qu'on finit par tomber avec elle, mais on reste là, à côté.
Je voulais lire ce roman en prenant mon temps, et j'en ai enchaîné les pages.
Je craignais qu'en allant trop vite, les émotions et situations des personnages ne s'imprègnent pas assez en moi, ce fut tout l’inverse. J’en suis ressortie sonnée. En larmes.
A ma première lecture, comme à ma seconde.
Son sujet est extrêmement fort et difficile. Mais aussi tellement nécessaire.
Dès le début, on devine un étau à la mécanique implacable, une emprise psychologique qui se met insidieusement en place et qui petit à petit, fait émerger les doutes, fragilise la confiance en soi et en les autres, conditionne et enferme les pensées comme les actes.
Et pourtant, tout commence de façon si banale, si anodine...
Comme d'habitude, il s'excuse, il me caresse les cheveux, m'embrasse. Il pleure d'amour comme il dit, parce qu'il a peur que je le délaisse tant il est heureux à mes côtés. Si c'est le cas, pourquoi trouve-il tant de choses à redire ? Pourquoi est-il si colérique certains jours ? Pourquoi m'en veut-il à la première occasion ? Parfois j'ai du mal à suivre son humeur en montagnes russes, mais, toujours, la fragilité comme la force de son être me prennent aux tripes tandis que ses baisers fougueux s'occupent du reste.
Autour de la relation amoureuse, mais toxique, de Mona, Nancy Guilbert et Marie Colot restituent avec un réalisme percutant et glaçant, plusieurs types de relations : familiales, mère-fille, fraternelles, de couple, toutes celles que l'on croit d'amour.
Mais aussi, heureusement, l'amitié, avec ses évidences, ou les chemins et détours qu'elle sait prendre pour s’exprimer. Outre la voix de Mona, ne s'expriment que celles qui aident et élèvent, celles qui sont positives.
Elles nous décrivent le désir de plaire et la peur de l’abandon comme de perdre ; les comparaisons ; les angoisses physiques, réelles, supposées qui impactent tant ; la mémoire et l’espoir qui emprisonnent ; l'empathie et l'entraide (même si maladroites) ; le pouvoir des mots subtilement tournés ou leur silence fracassant. L'absence de la voix de Joshua, qui n'est retranscrite que par celles de Mona ou Lya, en est encore plus forte, plus malsaine, plus mauvaise.
Les autrices parsèment les pages de références littéraires, musicales, et bien sûr picturales (un index clôt le roman).
À commencer par le nom des trois parties structurant leur récit, qui se déroule sur trois ans, et qui remonte aussi le temps jusqu’en 1994.
Leurs personnages sont autant de noms que de parcours, de vies, dans lesquelles se reconnaître, un peu, beaucoup, trop...
J'ai été d'autant plus émue que nombre d'échos se sont faits, des clins d'œil, des détails "insignifiants", mais si parlants pour moi, des liens avec des éléments et évènements personnels, dont cette si belle amitié entre Mona et Curry.
Ce roman m'a parlé au cœur, avec le sentiment très troublant "d'en être".
Ça m'angoisse tellement de revivre ça, de le voir se pavaner comme si de rien n'était. De sentir à nouveaux l'impuissance et la terreur ramper au creux de mes veines. Certains jours, certaines nuits, c'est trop.
Livre-objet qui attire, saisit et questionne avec ce rouge omniprésent.
Point de fuite, titre artistique et vital, qui remue et bouscule, pour un roman résilient et engagé !
Un roman pour s'aider et aider, dans lequel figurent à la fin des sites et numéros d'aide.
Un roman coup de cœur, coup au cœur.
Merci aux Editions Gulf Stream
Ce roman participe à l'Objectif PAL d'Antigone.
Sur le blog, retrouvez d'autres livres de Nancy Guilbert (ICI) et/ou de Marie Colot (LA), dont Deux secondes en moins; Les mots d'Hélio; Venise, bises, cerises; présentés par nous trois et assortis d'interviews et d'entretiens.
Découvrez aussi l'avis de Nathalie.