Celle qui nous colle aux bottes. Marine DE FRANCQUEVILLE – 2021 (BD)
Publié le 28 Avril 2021
Celle qui nous colle aux bottes
Marine DE FRANCQUEVILLE
Rue de l’Echiquier BD, avril 2021
200 pages
Thèmes : Ecologie, Nature, Famille (auto)biographie, Essai
Celle qui nous colle aux bottes, c’est la terre, et même la Terre.
Cette terre que l’on cultive depuis des millions d’années, exploitée par des hommes et des femmes de moins en moins nombreux, dans des structures paradoxalement toujours plus imposantes, pour des populations toujours plus grandes.
Cette Terre dont l’avenir se trouve au centre de débats toujours plus multiples et houleux, entre indifférence, (in)compréhensions et alarme.
Cette terre qui lui colle aux bottes, Marine de Francqueville l’a depuis toujours, même si elle s’en est éloignée.
Fille d’agriculteur dans la Marne, étudiante aux Arts Déco de Paris, elle décide de lui consacrer son mémoire de fin d’études.
Ainsi, entame-t-elle une discussion avec son père sur les enjeux de l’agriculture et son impact sur l’environnement. Et Marine de devenir celle qui colle aux bottes de son père.
Nous la suivons sur l’exploitation familiale, nous écoutons son père raconter son histoire, son métier et son évolution avec sa mécanisation progressive et toujours plus performante, allégeant un travail autrefois éprouvant, pénible et même dangereux, pour le conditionner dans une logique de rendement, et de consommation qui concerne aussi le matériel.
C’est qu’il faut bien nourrir la planète.
Grâce à la génétique, en cinquante ans, on a quasiment doublé nos rendements ! C’est incroyable !
Bien sûr, ils évoquent les utilisations des pesticides (RoundUp, glyphosate), les transformations et sélections des cultures (tel le blé), les conséquences des choix politiques et du passage des modes (exemple avec le pain blanc), comme la pluralité de l’agriculture.
Car il en existe plusieurs formes.
Et si Marine est arrivée avec une vision binaire, agriculture conventionnelle contre agriculture biologique, elle découvre qu’il en existe beaucoup d’autres, qui peuvent tout à fait se combiner.
Avec son père, ils vont à la rencontre de plusieurs exploitants de la région qui leur exposent leur cheminement personnel comme la vision de leur métier, pour aujourd’hui, mais surtout pour demain.
En plus, l’arbre, ça dépasse une vie humaine ! (...) ça donne une espèce de recul sur nos petites vies, nos petites décennies !
Marine est une citadine pétrie d’idéologie verte et alternative véhiculée par les médias et l’urgence de la situation, elle appartient à une génération écartelée entre l’accusation et la nécessité de repenser des modèles de production et de distribution.
Même si elle peste, râle et agace, Marine veut aller au-delà, pour réellement découvrir le métier d’agriculteur, comprendre le point de vue de son père mais aussi lui en faire comprendre.
Qui suis-je pour juger si mon père fait bien ou mal son métier ?
Proche de la retraite, conscient des défauts de l’agriculture conventionnelle, mais réticent à l’idée de transformer et réapprendre ses manières de faire, son père s’ouvre peu à peu. Il décide même de passer l’une de ses parcelles en agriculture biologique.
Sachant que la pauvreté n’est pas une donnée objective mesurable : c’est une différence, une inégalité, une impossibilité d’accéder à ce que la société définit comme bien.
Marine va jusqu’au bout de son raisonnement en le prolongeant jusqu’à la finalité de l’agriculture : la nourriture dans l’assiette. Et de constater que nous n’avons pas tous droit, accès, à la même qualité.
Ainsi sa réflexion va des Restos du Cœur aux AMAP.
Le droit à l’alimentation ne devrait pas se résumer au droit de recevoir des aliments.
Chaque partie, dont les titres sont éloquents et pour plusieurs en écho à un élément de culture populaire, est enrichie de références documentaires, statistiques et historiques, pour nous retranscrire l’évolution de l’agriculture en général. Depuis sa création, mais surtout depuis la Deuxième Guerre Mondiale. Ainsi, le propos s’alterne-t-il entre faits solides et étayés, et un dialogue constructif, familial et générationnel, qui se retrouvent dans les dessins.
En plusieurs styles graphiques et nuances de gris, entre crayon et aquarelle, entre vastes paysages (avec champs, vaches, oiseaux et éoliennes) et visages qui pourraient gagner en précision, elle combine des vues rurales ou urbaines, à des plans et des reproductions de graphiques, avec insertions de photographies, essentiellement familiales.
Grâce à elles, aux balades, souvenirs et anecdotes échangés, Marine nous fait entrer dans sa (grande) famille que l’on sent aimante et tendrement unie.
Leurs discussions sont les mêmes que celles qui pourraient animer nos tables familiales avec échanges d’opinions et d’expériences. Et avec toute la subjectivité que cela suppose, mais qui nous les rend si vraies et nôtres. J'avais vraiment l'impression d'en être.
Un procédé qui n’est pas sans rappeler celui d’Etienne Davodeau avec Rural ! (que j’avais beaucoup aimé et que je relirai bien !)
Un roman graphique que je ne peux que vous conseiller de découvrir !
Merci aux Editions Rue de l’Echiquier
Cet album participe au RDV BD de la semaine, qui se passe aujourd’hui chez Noukette (CLIC); au "Petit Bac 2021" d'Enna pour ma 6e ligne, catégorie Objet; ainsi qu'à "Des livres (et des écrans) en cuisine" de Bidib et Fondant.
Belles lectures et découvertes,
Blandine