Au Bonheur des Dames. Agnès MAUPRÉ – 2020 (BD)
Publié le 31 Mars 2021
Au Bonheur des Dames
D’après l’œuvre d’Emile ZOLA (1883)
Adaptation et dessins d’Agnès MAUPRÉ
Couleurs de Grégory ELBAZ
Éditions Casterman, juin 2020
136 pages
Thèmes : Paris, Mode, Chronique sociale, Amour
1864
Le Bonheur des Dames est un magasin de l’avenir.
Finis les petites devantures sombres et étriquées, de devoir attendre d’être servi, les comptoirs qui empêchent de toucher et de choisir.
En ces lieux où la lumière coule à flots par de grandes vitrines et une majestueuse verrière, se trouvent toutes sortes de tissus, de rubans, de dentelles, que l’on peut sentir, ressentir, de couleurs et motifs que l’on peut admirer, de vêtements que l’on peut essayer, dans lesquels se draper, et même voler avec un peu de dextérité.
Il ne faut pas donner dans le joli !
Il faut aveugler ! Captiver ! Capturer !
L’abondance crée la convoitise.
Les femmes y viennent en nombre dépenser l’argent de leur mari, attirées par les publicités, les remises, la peur de manquer, le passage des collections, la livraison, le possible retour en cas de déplaisir et le désir d’y paraître.
A l’image de Paris qui s’éclaire et s’aère, le Bonheur des Dames est un magasin de démesure, qui ne cesse de grandir, de s’agrandir, un ogre dévorant les petites enseignes qui l’entourent, s’accaparant leurs marchandises isolées pour mieux les réunir.
Elles viennent au Bonheur pour se sentir belles, pas pour se sentir mères.
Le Bonheur des Dames devient un lieu incontournable qui sait combler les attentes avant même qu’elles ne soient formulées, qui crée les modes et les envies, et dans lequel commis, vendeurs et Demoiselles sont au service de ces Dames... pour leur plus grand Bonheur.
Toutes drapées de noir pour ne point faire de concurrence à ces dépensières qui se targuent de faire de belles affaires, les Demoiselles sont payées à la commission, exacerbées par une rude compétition, interdites de mariage, et encore moins d’enfant, logées et nourries sur place, renvoyées en masse à la basse saison. Leur réputation fait celle du magasin. Pourtant nombre d’entre elles arrondissent comme elles peuvent les fins de mois...
Il est là, le nouveau commerce. Nous sommes au dix-neuvième siècle. Cela ne suffit plus de seulement vivre, il faut consommer.
Parmi elles, se trouvent Denise, petite fluette blonde venue de Normandie qui a troqué l’habit noir du deuil pour la robe de soie obscure du Bonheur. Elle est là, au centre de la couverture, et pourtant, on la distingue à peine, notre regard emporté par les robes de ces Dames et ces nuances de bleu, si présentes dans les planches à venir.
Là n’était pas son souhait à Denise lorsqu’elle est arrivée à Paris avec ses frères Jean, 16 ans, et Pépé, 5 ans.
Mais chez l’Oncle Baudu, il n’y avait pas de place pour elle. Lui qui peine déjà à faire vivre son magasin et sa famille depuis que le Bonheur a ouvert juste en face de sa boutique. C’est que le petit Mouret a fait du chemin depuis le décès prématuré de son épouse.
Ambitieux, visionnaire, despotique, Octave Mouret regorge d’idées et de projets pour le Bonheur, flattant ces Dames, se les appropriant, s’en servant puis les délaissant, telle Henriette Desforges qui lui permet d’approcher le Baron Hartmann et ses nombreux immeubles... Homme à femmes, habitué à les avoir à ses pieds, il a favorisé l’embauche de Denise, persuadé d’amadouer ainsi le Vieux Baudu et de gagner ses faveurs à elle.
Pourtant, elle lui résiste, lui échappe, et contre toute attente, son humilité exerce sur lui une influence positive et humaine qui transforme peu à peu Octave et son Bonheur...
Lu en classe de 4e, Au bonheur des Dames est l’une des seules lectures scolaires qui m’ait plu et dont je garde un bon souvenir, cependant flouté quant aux détails.
Aussi étais-je ravie de découvrir que ce roman avait été adapté en BD, un procédé que j’adore, et l'ai-je achetée sans y regarder.
Malheureusement, le charme n’a pas vraiment opéré.
Si j’aime les thèmes explorés et la description de cette époque de transformation qui a déterminé la nôtre, les dessins, et plus encore le choix des couleurs, m’ont laissée à distance. Et cela commence dès la couverture.
Des quelques souvenirs de lecture qui me restent, me parviennent des descriptions quasi tactiles des tissus déployés au Bonheur, leurs agencements en cascade à en donner le vertige. Et cette lumière donnée grâce à la structure de verre et d’acier qui inonde le magasin...
Je n’ai pas retrouvé cela.
En ces planches, il y a du bleu, dans toutes ses teintes, mais qui uniformise, enlevant toute luminosité aux vitrines et fenêtres, faste aux décors et intérieurs, reliefs aux tissus. Peu de profondeurs ou de perspectives mais des formes imprécises, floutées, pour les lieux, choses et êtres, avec des ondulations comme pour compenser. A contrario, quelques cases oniriques sont vraiment très belles.
J’évoquais le tactile, mais Zola va même plus loin en leur conférant un côté charnel, un désir physique de séduction, de possession et de domination. Aspect clairement détaillé dans la postface de Manuel Charpy (chercheur au CNRS, spécialisé en histoire des cultures matérielles et visuelles.) mais absent ici.
Un dessin plus « académique », aurait paradoxalement mieux convenu à ce roman de mœurs, social et sociétal, historique et de modernité.
Pour autant, je ne ressors pas totalement déçue de cette adaptation.
Cet album participe au RDV BD de la semaine, qui se passe aujourd’hui chez Moka (CLIC); au "Petit Bac 2021" d'Enna pour ma 5e ligne, catégorie Être humain; ainsi qu'à notre challenge avec Nathalie "2021, cette année sera classique!"
Découvrez aussi les avis de Moka; Fanny;
Belles lectures et découvertes,
Blandine