Les Harlem Hellfighters. Max BROOKS et Caanan WHITE – 2017 (BD)
Publié le 24 Février 2021
Les Harlem Hellfighters
Scénario de Max BROOKS
Illustré par Caanan WHITE
Traduit de l’américain par Agathe LA ROQUE et Sophie ROSER
Editions Pierre de Taillac, avril 2017
264 pages
Thèmes : Première Guerre Mondiale, Etats-Unis, France, Histoire, Racisme, Ségrégation, Hommage
En 1917, nous quittions nos foyers...
Pour « faire du monde un endroit sûr pour la démocratie ».
Même si la démocratie...
... n’était pas exactement « sûre » chez nous.
Nous avons pris plusieurs noms...
Le 15e... Le 369e...
Et avant d’aller « là-bas », on s’était surnommés les « Serpents à sonnettes noirs
Nos alliés français nous appelaient « les Hommes de bronze »
Et nos ennemis allemands nous appelaient...
« Les Harlem Hellfighters ».
Le 6 avril 1917, les Etats-Unis s’engageaient aux cotés des Alliés contre l’Allemagne.
Le 18 mai 1917, le Selective Service Act appelle tout homme entre 21 et 31 ans sous les drapeaux, quelque soit sa couleur de peau. Ce qui revient à mettre sur un pied d’égalité citoyenne les Blancs comme les Noirs, chose impossible dans l’Amérique ségrégationniste d’alors, qui ne reconnaît pas de Droits à ces derniers et redoute des revendications futures.
Pourtant, des hommes, il leur en faut, alors, pour ne pas changer, le recrutement, l’entraînement (deux semaines dans des camps risqués (au Texas notamment) contre deux mois pour les Blancs) ; l’équipement (uniformes de moins bonne qualité et fusils en bois – les vrais étant destinés aux Blancs ou vendus à des clubs de tirs privés pour que leurs membres – des Blancs- puissent se défendre – des Noirs) ; l’envoi en France (sans parade de départ et à bord de vieux bateaux) comme la possibilité d’aller au combat (ils sont d’abord rattachés au Service d’Approvisionnement pour des tâches logistiques), se font de manière égale mais différenciée et bien séparée.
Et alors que notre propre pays nous ignorait...
Un autre fit appel à nous.
Mars 1918, les Allemands lancent leur dernière offensive, la « Kaiserschlacht », et le 15e Régiment de la Garde Nationale devient le 369e Régiment et se retrouve rattaché à la 4e Armée française, commandée par le Général Henri Gouraud, doté d’armes et équipements français : casques Adrian; fusils Berthier ; masques à gaz et rations complètes (avec du vin !).
Mus par des objectifs communs, anéantir l’ennemi et survivre, ces soldats tissent de forts liens avec les Français, dont ils partagent les affres des tranchées (rats, poux, bombardements avec ces gros obus baptisés par eux « Jack Johnson » du nom de ce boxeur, premier Noir champion du monde des poids lourds entre 1908 et 1915), la peur et la rage lors des combats, la camaraderie lors des moments de repos, jusqu’à recevoir pour l’un d’entre eux (Henry Johnson dans la réalité, Wayne Edge ici) la Croix de Guerre Française.
Ce qui n’est pas du goût du Corps Expéditionnaire Américain, commandé par le Général Pershing, qui met en place de nouvelles réglementations pour toujours les renvoyer à leur infériorité supposée et qui exhorte l’Armée française à faire de même.
Je savais que je ferais un jour couleur leur sang.
Mais je n’avais jamais pensé être récompensé pour ça.
Après 191 jours au combat, sans avoir jamais perdu de terrain, laissé capturer un des leurs, étant le régiment le plus décoré du Corps Expéditionnaire Américain et le premier à avoir atteint le Rhin, les 725 survivants retournent enfin au pays, dans une cruelle et amère indifférence officielle.
Dans sa postface, Max Brooks nous apprend comment il a découvert les Harlem Hellfighters, s’y est intéressé et le combat qu’il a dû mener pour faire connaître leur histoire.
Devant la négation de certains historiens (dont l’un de ses professeurs qu’il estimait beaucoup), le désintérêt général des Américains pour la Première Guerre Mondiale, la complexité de financement et ses activités de scénariste BD pour Avatar Press, il est passé de l’idée d’un film à celui d’un roman graphique.
Une version romancée certes, mais néanmoins empreinte de vérités fortes, et riche de nombreuses recherches documentaires. Un hommage vibrant, passionné et passionnant.
Relaté à la première personne par la voix de Wayne Edge, ce personnage fictif est représentatif de plusieurs portraits et décrit avec justesse les relations interraciales de son pays comme mondiales.
Autour de lui gravitent de nombreux personnages ayant réellement existé, déjà cités plus haut ou comme le Lieutenant James Reese Europe, considéré comme le père fondateur du jazz et avec qui cette musique fut connue en France. D’ailleurs la musique est très présente dans les planches et nombreuses sont les bulles qui sont des extraits de chanson : "Overthere" (Champ des Patriotes) ; "How Ya Gonna Keep 'Em Down on the Farm?" (James Reese Europe, 1919) ; "On Patrol In No Man's Land" (James Reese Europe, 1919) ; "It’s a long John". Ou reproduisant le poème « J’ai rendez-vous avec la mort » d’Alan Seeger, un poète Blanc, mort en 1916 sur le Front de Somme, engagé dans la Légion Etrangère ; tout comme Eugène James Bullard, un Noir devenu pilote ; ou Horace Pippin, artiste peintre Noir.
Son récit nous décrit avec force les différentes origines, perceptions et amalgames noirs, les espoirs déçus, les illusions d’une quelconque reconnaissance, la terrible réalité des combats, et plus encore d’une volonté politique et raciale qui nia leur héroïsme, pire, les plongea dans l’oubli.
Il est servi par un dessin en noir et blanc aussi dynamique, puissant que nerveux, qui rappelle celui des Comics.
Caanan White use de différentes perspectives avec des dessins pleine page, des vues aériennes ou des plans très rapprochés, insistant sur des détails qui parfois s’échappent de la case, dont les bordures noires sont très appuyées. Les physiques sont impressionnants, les expressivités marquées avec des mâchoires contractées, des poings serrés, des regards d’aciers. Pour imager leur détermination, leur colère et rage.
A l’image de la couverture.
Le format, plus proche d’un roman que d’une bande dessinée avec sa couverture souple et veloutée et ses pages non glacées, m’a surprise.
Nous aussi nous étions là, ne nous oubliez pas.
Source: France-Amérique
Comme toujours avec ce genre d’ouvrage, je ressors de ma lecture triste devant l’injustice des Hommes et de l’Histoire ; mais aussi contente d’avoir appris et je ne peux que vous encourager à découvrir l’histoire de ce 369e Régiment et qui furent ces hommes.
Ce roman graphique participe au RDV BD de la semaine qui se déroule aujourd’hui chez Noukette (CLIC) ; à mon challenge dédié à la Grande Guerre; au "Petit Bac 2021" d’Enna, pour ma 5e ligne, catégorie Lieu; ainsi qu'à son African American History Month.
Découvrez aussi l'avis de Mo' (qui n'a pas aimé, et soulève d'autres questions)
Pour aller plus loin:
- Le site Black History Month in two minutes avec des podcasts.
- Vidéo de Radio France Internationale sur les Harlem Hellfighters
- Article du site Non fiction qui présente ce roman graphique et l'ouvrage Les Poilus de Harlem de Thomas Saintourens.
Belles lectures et découvertes,
Blandine