VERAX – Surveillance de masse. Pratap CHATTERJEE et Khalil – 2019 (BD)
Publié le 15 Janvier 2020
VERAX
La véritable histoire des lanceurs d’alerte, de la guerre des drones et de la surveillance de masse
Enquête de Pratap CHATTERJEE
Dessin de Khalil
Traduit de l’américain par Antoine CHAINAS
Editions Les Arènes BD, 11 septembre 2019
240 pages
Thèmes : Enquête, journalisme, Droits de l’Homme, Sécurité, Etats-Unis
C’est grâce à ma fille que j’ai découvert et lu ce roman graphique, riche, intéressant, terrible et effrayant.
C’est un sujet qui la passionne et sur lequel elle a déjà beaucoup lu et vu.
A mon inverse.
Avec elle, j’ai vu Snowden, qui retrace la vie et l’engagement du lanceur d’alerte Edward Snowden, dont l’un de ses surnoms donne son titre à cet ouvrage.
Verax, expression latine signifiant « Celui qui dit la vérité ».
D’ailleurs, le fait de l’avoir vu avant ma lecture m’a grandement aidé dans sa compréhension, bien que l’auteur ait fait preuve d’une grande vulgarisation.
Snowden ne fut pas le premier confronté à des informations insupportables, mais il fut le premier à ne pas le supporter.
Pratap Chatterjee est un journaliste indo-britannique, ayant longtemps vécu en Californie, directeur exécutif du groupe de recherche CorpWatch qui dénonce les malversations des entreprises et qui souhaite que ces dernières agissent en toute transparence et responsabilité.
Il écrit pour The New Republic, le Financial Times ou encore le Guardian.
En 2006, suite aux révélations de Wikileaks et après avoir rencontré Julian Assange (que l’on voit dans les premières planches), Pratap Chatterjee s’est intéressé aux attaques « légales » contre les libertés publiques et démocratiques, au fonctionnement des agences de renseignements américaines (il y en a 17 !), aux logiciels de surveillance de masse et à qui les développe (et à leurs petits noms), achète et dans quel but, aux drones militaires (comment ils fonctionnent et qui décide quoi et comment et sur quelles bases) – « Nous tuons des gens sur la foi de métadonnées. »
Et au complexe militaro-industriel américain qui concentre et relie tout ça, protégé par l’arsenal législatif mis en place par Obama dont profite aujourd’hui Trump.
Et bien sûr, aux lanceurs d’alerte, dont Snowden fait partie.
Et qui sont considérés comme espions et / ou traîtres, ou héros. Selon le point de vue.
Je crois aux principes édictés à Nuremberg en 1945 : « Les individus ont des devoirs internationaux qui transcendent les obligations nationales. »
Ses recherches lui ont permis de rencontrer Khalil, dessinateur de presse, qui a œuvré sur ce roman graphique.
Son trait ne me plaît pas spécialement mais est tout à fait en adéquation avec ce genre d’ouvrage et son propos. Pas de fioritures, pas de couleurs, pour aller à l’essentiel.
Et finalement, on l’oublie assez vite tant ce qui nous est révélé nous accroche et/ou nous révulse.
C’est pourtant un sujet que je ne connaissais pas vraiment (bien que comme « tout le monde », j’en aie entendu parler), parce qu’américain (même si nous, Européens, ne sommes ni à l’abri ni épargnés), parce que (trop) complexe et (trop) spécifique, et parce que finalement, je ne me sentais pas vraiment concernée…
D’ailleurs, en parlant de ce roman graphique autour de moi, c’est ce genre de réactions qui m’a été renvoyé. Beaucoup ne voient pas « le problème », savent qu’ils sont surveillés « et alors ? », se défendant par « Je n’ai rien à cacher » alors que nous devrions nous dire que nous n’avons rien à montrer…Ce qui n’est pas sans rappeler l’adage, « Pour vivre heureux, vivons cachés. »
Cachés, nous le voudrions bien, mais comme ces planches le révèlent, cela est bien difficile, dans un monde où la technologie a pris le dessus, où nos données sont collectées, échangées, vendues, revendues, stockées, analysées, où les caméras peuvent être activées à distance, nos conversations enregistrées et/ou écoutées, que ce soit à partir de notre téléphone, de notre tablette ou ordinateur, au nom de la sécurité, individuelle, collective, nationale, au nom de la lutte contre le terrorisme.
Un sacré pouvoir qui peut devenir dictatorial.
Et tant pis pour les bévues ou les dommages collatéraux.
Qui sont nombreux.
La présidence Obama estime que les dommages collatéraux sont acceptables tant qu’ils épargnent les Américains ou les Européens.
Et aussi stupéfiant que cela puisse paraître, cette guerre des drones, à distance donc, entraîne chez certains (jeunes) militaires qui les pilotent et décryptent les renseignements et images (souvent imprécis, erronées ou flous), des Syndromes de Stress Post Traumatique.
La responsabilité des tirs est partagée entre l’analyste, le pilote et le commandant, ce qui permet d’atténuer la culpabilité de chacun.
Mais je crois que nous sommes tous condamnables. Autrement, cela voudrait dire qu’il n’y a pas de meurtrier, que l’action létale n’a aucune conséquence morale.
Au-delà, le journaliste nous restitue les coulisses de son enquête (menée de 2006 à 2017), ses rencontres, les difficultés de publication inhérentes à un tel sujet (soumises à des pressions économiques).
Un roman graphique édifiant et nécessaire.
Il participe au RDV « BD de la semaine » qui se passe aujourd’hui chez Moka (CLIC), et au Challenge « 1% Rentrée Littéraire 2019 » de Sophie Hérisson.
Pour préparer sa lecture ou le prolonger :
- Livre : Mémoires vives. Edward Snowden.
- Film : Snowden (2016) avec Joseph Gordon-Levitt dans le rôle principal.
- Documentaire : Citizenfour, sur Edward Snowden, réalisé par Laura Poitras (que l’on trouve dans le roman graphique)
- Film : Good Kill (2014) avec Ethan Hawke.
- Film : The social Network (2010) avec Jesse Eisenberg, Justin Timberlake.
Belles lectures et découvertes,
Blandine