Dévorer le ciel. Paolo GIORDANO - 2019
Publié le 19 Janvier 2020
Dévorer le ciel
Paolo GIORDANO
Traduit de l’italien par Nathalie BAUER
Editions du Seuil, août 2019
464 pages
Thèmes : Amour, Adolescence, Amitié, Famille, Spiritualité, Utopie et désillusion
Chaque été, Teresa passe ses vacances chez sa grand-mère maternelle, à Speziale, dans les Pouilles.
L’été de ses 14 ans, une nuit, elle aperçoit trois garçons qui se baignent, nus, dans la piscine. Chassés par son père, ils reviennent le lendemain pour s'excuser, et elle apprend ainsi qu’ils vivent dans une ferme non loin, isolés, et qui ils sont. On les dit différents, et on dit aussi que les garçons y vont et y viennent.
Il y a Tommaso, garçon albinos et sensible.
Il y a Bern, garçon brun et rebelle, et dont le regard, au léger strabisme, hypnotise Teresa.
Et il y a Nicola, plus âgé d’un an, sombre et écarté du duo fraternel formé par Tommaso et Bern.
Il est le fils des propriétaires des lieux, Floriana et Cesare.
Ce dernier est un homme atypique, mystique, qui récite des versets pour chaque moment de la journée ou épisode de la vie. Ce qui pèse sur les garçons autant que ça les guide. Et ainsi se construisent-ils entre respect et rébellion.
Teresa est à la fois en-dehors et admise.
Cette incursion aquatique marque le début d'une histoire qui les liera d'abord chaque été puis sur vingt ans, malgré des coupures plus ou moins longues, dans lesquelles des conflits se larvent et des secrets inavouables (mais finalement partagés) se fomentent.
Amoureuse de Bern, Teresa va tout abandonner pour lui. Ses études à Turin, tourner le dos à ses parents, renoncer à sa vie confortable pour intégrer la petite communauté qui s'est construite à la ferme, après le drame (qui lie les trois garçons et dont on apprend la teneur par petits bouts, mais finalement assez vite) et le départ de Cesare.
Bern y a élu domicile avant d'être rejoint par Danco (qui a pris le rôle de leader) et son amie Giuliana, puis par Tommaso et sa copine Corinne.
Eux six y construisent un monde en autarcie, loin de cette société au consumérisme destructeur, en harmonie avec la nature, un retour aux sources et au rythme du temps, des saisons et de la météo, sans aucun produit phytosanitaire, à l’électricité vacillante, à l’économie de l’eau.
Ils mènent aussi des actions de lutte, de sabotage ou de libération. Selon le point de vue.
Nous avions le sentiment d’être le début de quelque chose, le début d’un changement. Chaque instant avait la pureté d’un réveil.
Cette vie est gratifiante mais dure et même si le dialogue semble toujours présent, les oppositions sont nombreuses et fréquentes.
Ils vendent le fruit de leur labeur, notamment l’huile d’olive, sur les marchés, et travaillent chez les autres.
Ils vivent ainsi jusqu'à ce que les difficultés (financières notamment) ne les séparent (à moins qu'elles ne soient que prétextes), laissant seuls Teresa et Bern, qui s'aiment et s’accrochent.
A eux-mêmes, à la Vie, à la Nature, à leurs idéaux, mais qui en sont trahis.
***
En trois parties et un épilogue, au gré d’ellipses et de retours en arrière, Paolo Giordano écrit et décrit le passage de l’adolescence à l’âge adulte, des rêves et espoirs aux déceptions et douleurs, de la fraternité à la jalousie, de l’amitié à la vengeance, de l’amour fou à l’étroitesse de la vie responsable, de la liberté à la solitude, au futur qui se profile malgré tout.
De nombreuses années plus tard, il n’y aurait plus que Tommaso et moi pour nous remémorer ces étés. Nous étions désormais adultes, nous avions plus de trente ans, et j’étais encore incapable de dire si nous nous considérions comme des amis ou comme l’exact contraire. Mais nous avions passé une bonne partie de notre vie ensemble, la plus importante peut-être, et la quantité e nos souvenirs communs nous rendaient plus semblables, plus intimes, que nous n’aurions été prêts à l’admettre.
Dévorer le ciel est un roman sur le sens de la vie.
Il est romantique, mélancolique et idéaliste.
Il est aussi un roman de la désillusion, lorsque les idéaux de la jeunesse sont trahis sans vergogne par la Vie. Et rend un hommage à ceux qui s’accrochent, à ceux qui « dévorent jusqu’au ciel ».
Il m'a renvoyée au roman de Paul Auster, Léviathan (tant dans ses thèmes que dans sa construction) qui interroge sur l'adulte que nous devenons et en quelle façon cet adulte se trahit en grandissant.
Et il est un roman sur l’humain, le rapport à l’Autre, qu’il soit du même sang, un ami, l’Amour ou juste de passage… Et des actes qui nous lient à cet Autre, à ces autres.
Bien des années plus tôt, ma grand-mère avait déclaré qu’on n’en finit jamais de connaître les gens.
(…)
« On n’en finit jamais, Teresa. Et parfois il vaudrait mieux ne pas commencer. »
(…)
« Il y a toujours beaucoup à apprendre de la vie des autres. On n’en finit jamais… Il vaudrait mieux ne pas commencer. »
La vérité sur les gens. Voilà ce à quoi elle faisait allusion, je crois.
Au-delà, j'ai beaucoup aimé la plume de l'auteur, douce, empathique, et les réflexions si actuelles qu'ils instillent, comme sa description des lieux, notamment de cette terre des Pouilles, à Speziale (un village qui existe réellement non loin de Brindisi), un nom loin d’être anodin. D'une manière plus personnelle, certains passages ont aussi fortement résonné.
Et quelle belle couverture !
Un auteur que je découvre, un roman que j’ai énormément apprécié et qui s’est fait une belle place en moi.
Il participe au « Challenge 1% Rentrée Littéraire 2019 » de Sophie Hérisson, ainsi qu’au « Petit Bac 2020 » d’Enna pour ma 1e ligne, catégorie couleur.
Belles lectures et découvertes,
Blandine.