Au-revoir là-haut. Pierre LEMAITRE – 2013 (Prix Goncourt)
Publié le 26 Mai 2019
Au-revoir là-haut
Pierre LEMAITRE
Editions Albin Michel, août 2013
576 pages
Thèmes : Première Guerre Mondiale, Histoire, Mémoire, Amitié, Arnaque
Lecture Commune avec Cécile, Bidib, et Isabelle.
Vous le savez déjà certainement, lorsqu’un livre sur la Première Guerre Mondiale paraît, je ne résiste pas à l’envie de l’avoir dans ma bibliothèque.
J’ai reçu ce roman en cadeau peu après sa parution, et pourtant, j’ai mis plus de cinq ans à le lire.
Dès les premières pages, j’ai été happée. La suite m’a confirmé mon saisissement.
Par la période décrite, par l’écriture de Pierre Lemaître, par ce qu’il raconte, par ce qu’il suppose, par ses personnages, aussi attachants qu’horribles, par leurs actions altruistes, cruelles, ignobles, si humaines finalement, mais d’autant plus fortes, insupportables ou magnifiques de par le contexte de cet après-guerre détruit, exsangue et endeuillé, écartelé entre l’exigence de mémoire, de souvenir et la nécessité, le besoin d’aller de l’avant et de reconstruction.
Je te donne rendez-vous au ciel
où j’espère que Dieu nous réunira.
Au revoir là-haut, ma chère épouse…
Ce roman, qui court sur environ un an et demi, du dernier mois de la guerre à la Fête Nationale 1920, nous rapporte surtout l’histoire, les relations, les désirs, les espoirs et les actions de trois hommes, qu’une ultime bataille a liés, bien malgré eux.
Nous faisons leur connaissance, sur la Côte 113, à quelques jours de l’Armistice, dont la rumeur court sur toutes les lèvres.
Mais cette idée de fin de la guerre déplaît profondément au Lieutenant d’Aulnay-Pradelle, qui rêve de gloire et d’avancement.
Quelque soit le prix en hommes.
Une ultime victoire ferait très bien sur ses états de service et le promouvrait Capitaine.
Il met donc en place une mission de surveillance. Un jeune et un vieux partent sur le no man's land. On entend trois coups de feu et aussitôt, les esprits des deux camps, échauffés et tendus dans l'attente de la paix, explosent.
Un déluge de balles, de cris, de haine et de vengeance, fuse.
Parmi les Français qui courent, il y a Albert Maillard, comptable, un peu lent à la comprenette mais qui découvre quelque chose qu'il comprend très bien. Ce qui lui vaut d'être envoyé au fond du trou d'obus attenant par un coup d'épaule bien placé de son Lieutenant et d'être enseveli vivant par la pluie de terre d'un obus allemand tiré au bon moment.
Non loin de là, Edouard Péricourt, blessé à la jambe et au sol, assiste à la scène.
Lui qui avait toujours réussi à rester en marge, avance maintenant avec douleur et volonté, vers l’endroit où se trouvait son Lieutenant.
In extremis, il sort Albert, qu'il ne connaît qu’à peine, de sa "tombe" qu’il partageait avec une tête de cheval.
Et, alors qu'Edouard peut enfin souffler, un éclat d’obus lui emporte tout le bas du visage.
En le tenant contre lui, Albert se dit que pendant toute la guerre, comme tout le monde, Edouard n’a pensé qu’à survivre, et à présent que la guerre est terminée et qu’il est vivant, voilà qu’il ne pense plus qu’à disparaître. Si même les survivants n’ont plus d’autre ambition que de mourir, quel gâchis…
S'ensuivent des opérations chirurgicales, des refus de prothèses par Edouard, un vol de cadavre pour faire croire à sa mort, des falsifications, des mensonges, une fausse identité, une amitié à la fois sincère et coupable, un mariage ambitieux entre Madeleine la sœur éplorée et d’Aulnay-Pradelle, une paternité trop tardive, de la misère dans laquelle les soldats enfin démobilisés sont rejetés, des dessins, des cas de conscience, des monuments aux morts, une rencontre bienheureuse et fantasque.
Pour le commerce, la guerre présente beaucoup d'avantage, même après.
Ce roman se construit autour de deux arnaques à la Mort, au Souvenir et à la Patrie.
La première concerne le transfert des corps des soldats morts, souvent enterrés à la va-vite au moment des combats, seulement roulés dans leur vareuse, dans des cimetières de fortune, parfois à seulement quelques centaines de mètres du Front, vers de vastes nécropoles militaires.
Ce projet va vite se montrer très lucratif : déterrer les morts, les acheminer, construction de cercueils, nouvelle inhumation, pierres tombales…
Henri d’Aulnay-Pradelle va voir là le moyen de faire fortune en s’accaparant tous les marchés et en rognant sur tous les budgets.
Le pays tout entier était saisi d'une fureur commémorative en faveur des morts, proportionnelle à sa répulsion vis-à-vis des survivants.
La seconde, aussi ignoble mais paradoxalement presque plus pardonnable (car on s’attache à ce duo atypique, frappé par le sort), est menée en parallèle par Edouard Péricourt d’abord, mais mise en œuvre matériellement par Albert, puisqu’Edouard ne peut sortir.
Sa blessure est insoutenable à voir, les bruits qui émanent de sa gorge sont difficiles à supporter, même pour Albert qui a appris à les décrypter. Seule Louise, onze ans, fille muette par choix de leur logeuse, n’est pas effrayée et aide Edouard à sortir de son état apathique en créant avec lui des masques.
Des masques de tous les goûts, de toutes les couleurs ou formes, un pour chaque jour.
Edouard est très doué en dessin, et l’idée lui vient de créer un catalogue de statues et de monuments aux morts, puisque le pays souhaite honorer ses morts en édifiant dans chaque commune un Monument et quasi exclusivement financé par souscription populaire.
Ils créent une entreprise, une adresse, ouvrent un compte à la banque où Albert se fait embaucher (et qui appartient au Père Péricourt) et ont pour projet de partir au 14 juillet 1920.
Dès lors nous suivons ces trois personnages, leurs parcours, leurs triomphes, leurs peurs, les retournements de situations, les espoirs de chacun d’eux, le cœur serré mais aussi de la France incarné par un fonctionnaire, atypique, repoussant mais efficace, Joseph Merlin.
Le personnage de Madeleine, doux, en retrait, au début, prend de la consistance et s’étoffe au fil des pages. Elle est d’ailleurs le personnage central du deuxième volet, Les Couleurs de l’incendie, paru en janvier 2018.
Le récit est remarquablement bien écrit, rythmé, nous transporte auprès de ces personnages, de leurs préoccupations, dans ce contexte si particulier, et nous fait ressentir leurs émotions.
L’auteur nous interpelle parfois ou fait quelques bonds dans le temps pour nous décrire ce qu’il va advenir.
Certains passages sont extrêmement durs, d’une tristesse infinie, d’une cruauté glaçante, mais une fois sa dernière page tournée, ce n'est pas ce qui reste. Un sentiment de gâchis certes mais aussi de beau, d'amitié, et d'une certaine façon, de justice.
Dense et prenant, ce roman est aussi très visuel.
Ce qui explique ses adaptations en film et BD, et qu’il me faut encore découvrir.
Pierre Lemaître nous livre à la toute fin quelques données historiques, ce qui relève de son imagination et de la réalité.
Je ne risque pas d’oublier ce roman, moi qui aime tant aller voir les Monuments aux Morts, admirer leur statuaire et y lire tous les noms inscrits.
Qu’en ont pensé Bidib, Isabelle et Cécile ? Allons lire leurs avis.
Ce roman participe à mon Challenge autour de la Première Guerre Mondiale ainsi qu’à l’Objectif PAL d’Antigone.
Au revoir là-haut m’a renvoyé à d’autres romans, notamment à celui de Marc Dugain, La chambre des officiers.
Belles lectures et découvertes,
Blandine
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