La Fillette au Drapeau blanc. Saya MIYAUCHI – 2017 (Manga)
Publié le 17 Avril 2019
La Fillette au Drapeau blanc
D'après la vie de Tomiko HIGA
Saya MIYAUCHI
Editions Akata, octobre 2017
192 pages
Thèmes : Deuxième Guerre Mondiale, Japon, Guerre du Pacifique, Histoire, Survie, Famille
Tout comme les BD ou les romans graphiques, les mangas explorent nombre de genres et peuvent aussi nous donner « des leçons d’Histoire ».
C’est le cas de celui-ci, qui trouve son origine dans une photographie.
Réalisée en juin 1945, elle nous montre Tomiko Higa, six ans, qui se raccroche à son drapeau blanc, « symbole de sécurité en vigueur dans le monde entier ».
Elle avance pieds nus, frêle et apeurée, ahurie mais heureuse, parmi les soldats américains qui ont bombardé son île, Okinawa.
La photo a été prise par le photoreporter John Hendrickson et dévoilée en 1977.
Dix ans plus tard, en 1987, Tomiko Higa sort de son anonymat, rencontre celui qui l’a immortalisée en 1988, et publie son roman autobiographique en 1989.
En 2005, Saya Miyauchi adapte son histoire en manga.
Mais il faudra attendre 2017 pour sa sortie française.
Alors que le manuscrit « dormait » dans les cartons de la maison d’éditions Akata depuis des années, la vue du petit corps d’Aylan (2015) a décidé son éditeur à la publication, persuadé que les images heurtent et sensibilisent davantage que les mots.
***
Avril 1945, la guerre du Pacifique fait rage, mais sur l’île d’Okinawa, au sud des quatre îles principales qui forment la « métropole » nippone, elle n’est encore qu’un lointain murmure.
Tomiko Higa a six ans, et vit à Shuri, entourée de son père, veuf, de Chokuyû, son frère aîné de deux ans (surnommé Nînî), d’Hatsuko et Yoshiko, ses sœurs de 12 et 16 ans (surnommées Nênê).
Elle a aussi deux autres grandes sœurs, qui se sont mariées et qui vivent loin, deux grands frères qui combattent en Chine, et un autre qui travaille à la métropole.
Mai 1945, les Américains bombardent Okinawa et progressent très rapidement sur ses terres, précédés par l’horrible portrait et réputation propagés par les soldats et civils japonais.
Leur père, qui ravitaille l’unité de communication basée non loin, est parti (leur) chercher de quoi manger.
Après trois jours sans nouvelles, il leur faut se résigner à partir, au sud, talonnés par l’avancée des troupes américaines.
Peur, faim, soif, mort(s), bombardements incessants, cadavres dans les points d’eau, terres retournées, mort de Chokuyû, touché par une balle perdue, perte de ses deux sœurs.
Tomiko se retrouve seule, errante, hurlante, assistant à des horreurs encore plus inhumaines que la guerre.
Les soldats japonais censés la protéger la terrifient et la menacent, ils sont la mort qu’ils répandent sans distinction.
Agis toujours en réfléchissant avec ta propre tête.
N’imite pas les autres.
Elle s’écarte des chemins, se souvient des moments heureux et des conseils de sa famille, progresse de nuit, observe les animaux (un lapin blanc, des fourmis, une chèvre, une souris), se nourrit de feuilles recommandées par son père.
Un jour, affamée, elle sent une odeur de miso s’échapper d’un trou.
Dans une galerie souterraine, elle découvre un vieux couple. Elle est aveugle, lui est handicapé, tous les deux se soutiennent.
Auprès d’eux, elle passera le reste de la guerre.
Grâce à eux, elle en réchappera.
Le plus important, c’est la vie.
Ce manga est un récit de survie.
Dur, à la limite du soutenable, il nous montre combien (même si nous le savions déjà) la guerre est atroce et inhumaine, alors même qu’elle est dirigée et menée par des hommes et contre des hommes.
Avec pour victimes collatérales, plus nombreuses que les soldats, les civils, hommes, femmes, enfants, vieillards…
Pour se protéger, pour continuer à avancer, comme tant d’autres avant et après eux (dans ce conflit comme dans d’autres), Tomiko et sa famille doivent apprendre à fermer les yeux, à ne pas s’apitoyer (ce passage est vraiment difficile) pour avoir une chance de vie, de survie.
Pourtant, ce qui permettra à Tomiko de s’en sortir, et heureusement de retrouver ses sœurs, indemnes, ce sera son innocence, sa pureté face à l’horreur et son espoir.
J'ai été saisie par ce témoignage, d'autant que je ne connaissais pas grand-chose de cette partie du conflit, rattaché à la Deuxième Guerre Mondiale.
Il est dans les pas de La tombe des Lucioles d'Akiyuki Nosaka (livre que je veux lire) / Le Tombeau des lucioles, réalisé par Isao Takahata, film qui m'avait beaucoup émue et que j'aimerais revoir.
Les dessins de Saya Miyauchi sont très expressifs, et s’accompagnent parfois de photographies, rendant ce récit encore plus bouleversant, renforcé par le noir et blanc inhérent au manga. La couleur aurait rendu les dessins (inutilement) plus atroces, voire glauques.
Le manga se referme sur un dossier dessiné de quelques pages dans lequel Saya Miyauchi nous raconte son projet et sa visite à Okinawa. Elle n’a pas totalement fait le parcours (supposé) de Tomiko, nous révélant d’autres lieux détruits par la guerre et l’empreinte qu’elle y a laissé, mais lui ayant permis de sentir et de reproduire au plus juste les grottes, les roseaux, les falaises, et même l’absence de lumière.
J’ai lu de nombreux livres pour adapter cette œuvre en manga.
Plus j’en lisais et j’en apprenais, plus j’étais remplie d’un sentiment d’indignation.
On ne peut affirmer qui a tort, ni qui est coupable.
La guerre rend tous les hommes malheureux.
Une histoire à connaître!
Ce manga participe au RDV BD de la semaine, aujourd’hui chez Stéphie (CLIC); au Challenge « Un mois au Japon » d’Hilde et Lou ; au « Petit Bac 2019 » d’Enna, pour ma 4e ligne, catégorie Couleur ; ainsi qu’à l’Objectif PAL d’Antigone.
Découvrez aussi l'avis d'Isabelle.
Belles lectures et découvertes,
Blandine