Femmes de réconfort. Jung Kyung-a - 2007
Publié le 24 Avril 2019
Femmes de réconfort
Esclaves sexuelles de l’armée japonaise
Jung Kyung-a
Traduit du coréen par Youn-Sill Kim et Stéphane Couralet
Editions 6 Pieds sous terre et Au Diable Vauvert, octobre 2007
264 pages
Thèmes : Deuxième Guerre Mondiale, Guerre du Pacifique, Japon, Corée, Chine, Crimes contre l’humanité, condition féminine
Chaque mercredi, depuis le 8 janvier 1992, une manifestation se tient devant l’ambassade du Japon, près Gwanghwamun, la porte centrale de Séoul, capitale de Corée du Sud.
Elle rassemble des membres des associations féministes, des étudiants, des citoyens et même quelques étrangers – y compris des Japonais -, et surtout des Halmuny, dont le nombre va malheureusement en diminuant chaque année.
Les Halmuny, ce sont ces vieilles dames, Coréennes, qui ont été enrôlées de force par l’armée japonaise lorsqu’elles étaient jeunes pour devenir des « femmes de réconfort », comprenez esclaves sexuelles pour les soldats.
« Plus que tout je refuse catégoriquement le terme de « Femme de réconfort » puisqu’il signifie quelque chose de chaleureux et de doux. ».
Entre 1932 et 1945, le Japon a organisé et mis en place, grâce à des dispositions gouvernementales, des « maisons de réconfort », une prostitution légalisée et gérée par les militaires japonais puis par des civils autochtones, dans les pays ou régions qu’il a occupé ou colonisé, et qui ont été déplacées en même temps que les soldats durant la deuxième guerre mondiale.
Alors que les conflits faisaient rage, les Japonais, aidés par les différents institutions locales, ont mis sur pied des arnaques à l’embauche, et quand cela ne suffisait pas, des menaces et des enlèvements pour approvisionner leurs « maisons » en jeunes filles (et parfois même très jeunes – dès 10 ans), de préférence vierges (= « de meilleure qualité »), et des femmes, même mariées.
Au total, ce sont plus de 200.000 femmes qui y ont été envoyées, battues, mal nourries, sommairement soignées (ce qui, pour beaucoup, les ont rendues stériles), rebaptisées avec un numéro ou un prénom japonais.
Le but : empêcher les viols des civiles (…)
Et au nom de la supériorité (supposée mais enseignée) du peuple Japonais et de son Empreur, de droit divin.
Il y avait des Coréennes surtout, peuple jugé inférieur, des Chinoises (notamment de Shanghai), mais aussi des Occidentales (Hollandaises de Java surtout) et des Japonaises, après la guerre pour les soldats vainqueurs (notamment américains).
A la fin du conflit, certaines ont été tuées, d’autres laissées sur place dans la plus extrême des pauvretés. Et si quelques-unes ont souhaité, et pu, rentrer chez elles, la plupart sont restées, faute de moyens et/ou trop honteuses.
Ce manhwa (le manga coréen) nous explique tout ceci, en remontant aux origines, aux ambitions territoriales et impériales du Japon, en décrivant les différents mécanismes et en retranscrivant des témoignages, mais il cherche aussi à comprendre « les circonstances qui ont abouti à cela, sur leur sens et leur impact dans la société coréenne. »
« Les Japonais qui rendent visite aux Halmuny retournent dans leur pays les bras chargés de documents alors que les jeunes Coréens ne prennent pas la peine de se documenter et se contentent d’exprimer tristesse et colère. Les Coréens semblent considérer cette affaire de manière encore superficielle et unilatérale. »
Trois parties le constituent :
Le témoignage de Jan O’Herne, Hollandaise résidant à Java et qui a accepté de témoigner à visage découvert en 1991.
Et en deux parties : La rencontre avec Aso Tetsuo, un médecin gynécologue japonais au civil puis dans l’armée qui a écrit un rapport sur les « maisons de réconfort - Méthode de prévention active des maladies vénériennes. », plus inquiet et offusqué de la transmission de ces maladies (forcément imputable aux femmes) aux soldats de la prestigieuse armée impériale que de l’existence de ces « maisons » et des conditions de « vie » de ces femmes.
On y apprend que la venue (régulière) dans ces « maisons » est aussi un passage obligé pour tous les soldats, bleus comme gradés, comme preuve de virilité et moyen d’intégration. Elle leur permettait d'évacuer leurs peurs et leurs frustrations, les violences et les humiliations.
Ce manhwa est très dense et difficile à lire, de par son sujet. Il m’a fallu faire beaucoup de pauses.
Il y a énormément d’informations, de recontextualisations, et de synthétisation pour retranscrire cette horrible réalité historique. La chronologie des évènements et la bibliographie données à la fin nous permettent de saisir l’important travail de documentation de l’autrice.
Malheureusement, il en ressort aussi un certain fouillis (peut-être aussi imputable à ma méconnaissance de cette partie du conflit et du sujet en particulier), surtout dans la toute dernière partie de l’ouvrage (qui est un supplément).
Le dessin, au trait fin et très peu coloré (ce qui convient très bien à ce genre d’albums à mon sens) et qui s’accompagne de quelques photographies en noir et blanc, permet de l’alléger quelque peu, en utilisant notamment l’ironie ou des expressions exagérées.
Un album difficile mais nécessaire, qui nous prouve (s’il en était encore besoin) tout le mal que l’Homme peut infliger à ses semblables, et surtout et encore aux femmes ; comme la nécessité du devoir de mémoire.
En décembre 2015, le gouvernement japonais a reconnu la responsabilité de l’Etat dans cette tragédie et a accepté de dédommager les 46 Halmuny encore vivantes.
Mais la manière dont l’indemnisation devait se faire ne convenait pas aux Halmuny, qui n’ont pas été concertées.
Je ne sais pas si cela s’est débloqué depuis.
Un deuxième tome, Un procès bâclé, devrait suivre mais il n’est pas au catalogue des Editions 6 pieds sous terre (et pas trouvé ailleurs…)
Ce manga participe au RDV BD de la semaine, aujourd’hui chez Noukette (CLIC) et au Challenge « Un mois au Japon » d’Hilde et Lou.
Lisez l’interview de l’autrice sur cet album et découvrez l’avis de Mo’.
Lors du 41e Festival de la BD d'Angoulême, une expo a été faire sur ce sujet - CLIC (2014)
Sur le difficile sujet du viol et son impact/reconnaissance dans la société (anglaise, l’album L’une d’elles d’Una (Éditions ça et Là) est à lire.
Le massacre de Nankin, sujet de fond du thriller Tokyo de Mo Hayder, est aussi abordé dans ce manhwa.
Blandine