Un cœur pour deux. Shivaun PLOZZA – 2019 (Dès 14 ans)
Publié le 5 Février 2019
Un cœur pour deux
Shivaun PLOZZA
Traduit de l’anglais (Australie) par Maud DESURVIRE
Editions Michel Lafon, 24 janvier 2019
397 pages
Thèmes : Adolescence, greffe, amitié, amour, homosexualité, véganisme, militantisme, quête d’identité
Marlowe est une jeune fille de 17 ans (bientôt 18), qui aime dessiner.
Elle vit avec son frère de 11 ans, Pip (=Philip), énergique et excentrique, qui adore se déguiser en mélangeant les genres et les styles.
Leurs deux prénoms forment le nom du héros policier de Raymond Chandler, écrivain qu’aime son père, parti vivre avec une jeune femme loin d’eux.
Sa mère est une végane militante qui vient d’ouvrir son épicerie, baptisée Pleine Conscience. Petit hic, elle s’est installée juste à côté de la boucherie Bert et organise souvent des manifestations coups de poing à son encontre, auxquelles Marlowe se doit d’assister.
C’est là qu’elle fait la rencontre de Léo, l'apprenti boucher et fils de Bert. Si on se doute dès le début que leurs relations vont aller mal avant d'aller (bien) mieux, lire leurs petites vacheries réciproques est très sympa (et peu ragoûtant !).
Après une longue absence, Marlowe revient au lycée et y reconnaît quelques anciens visages, qu’elle aurait préféré éviter, mais heureusement trouve en Zan un soutien, puis une amie. Auparavant appelée « La Mourante », elle se demande comment elle va être désignée désormais.
Car Marlowe n’est pas une ado ordinaire et revient de loin.
Cela va bientôt faire un an qu’un nouveau cœur bat dans sa poitrine.
Je veux avoir le sentiment d’être en harmonie avec moi-même et non d’être un puzzle indéchiffrable.
Je ne veux plus avoir l’impression d’occuper une place qui ne m’était pas destinée.
(…)
Je veux comprendre qui je suis aujourd’hui.
Outre les battements de son cœur et leur (nouvelle) régularité, qu'elle vérifie quasi tout le temps, elle se demande si ce nouveau cœur ne comporte pas un peu de son ancien "propriétaire", si une part de lui, de ses aptitudes, de son caractère ne se trouvent pas dans cet organe et ne s’insinent pas en elle... Car il lui faut bien le reconnaître, elle semble plus sûre d'elle, rétorque, affirme, provoque même... chose que l'ancienne Marlowe n'aurait jamais osé faire auparavant...
Quand on te greffe un organe entier, à quel point devient-on son donneur ?
Elle voudrait connaître la famille de son donneur, pouvoir le et la remercier (même si elle ne sait pas comment). Mais ces derniers n’ont jamais répondu à aucune de ses lettres transmises par l’hôpital et souhaitent rester anonymes.
Et cela la ronge.
Suite à son inscription à un groupe Facebook, elle pense avoir trouvé le nom de son donneur et fait des recherches jusqu’à trouver une Carmen Castillejo qui a perdu son frère Luis…
Cette dernière travaille au Cheeky Chicken, un lieu interdit pour une végane. Elle s’y rend pourtant et sympathise avec la jeune femme.
Une amitié naît.
Basée sur un mensonge, ou plutôt une omission.
***
J'ai adoré ce roman ado.
Son sujet est grave mais son ton est à la fois sérieux, léger et même drôle.
Il aborde des thématiques importantes et même essentielles.
De celles que tout(e) ado peut être amené(e) à vivre lui-même (elle-même) ou par procuration : mal-être social et scolaire, engagement en faveur des animaux, végéta*isme, amitiés, relations amoureuses, homosexualité, perte d'un être cher, quête d’identité.
Et une autre, qui est la matière même du roman: la greffe, ici du cœur.
Et Marlowe, notre héroïne pas si ordinaire, de se demander comment vivre avec ce nouveau cœur qui est sien sans l’être, ou qui n’est pas le sien mais qui fait partie d’elle désormais.
Qui se demande comment vivre alors qu’elle ne l’avait jamais imaginé.
Qui se dit qu’une vie s’est arrêtée pour qu’une autre puisse continuer.
Qui se demande comment mériter cette chance, comment être à la hauteur de ce don.
-C’est peut-être aussi parce que, avant, je savais exactement ce que j‘avais à faire et essayer de survivre occupait tout mon temps. Mais désormais, je suis libre d’être plus que ça et je ne sais plus trop qui je suis.
Ce roman nous confronte à une question délicate mais essentielle, qui lie la mort à la vie : le don d’organes.
Une question philosophique (doit-on le faire ? ; doit-il être gratuit, anonyme ?), éthique (où placer les limites ? Quelles pourraient être les dérives ?), scientifique (sans qu’il soit question de prouesse- la mémoire cellulaire existe-t-elle ? - je pense que oui) et même civique ?
En France, depuis 1976 (et sous une nouvelle dorme depuis 2017), chaque Français est donneur présumé d’organes et de tissus (attention, c'est différent du don du corps), sauf s’il s’inscrit sur le Registre National des Refus, s’il fait un papier écrit ou si ses proches peuvent attester de son refus de donner ses organes/tissus après sa mort.
C’est une question à laquelle je ne sais pas répondre. Et pourtant, il le faut. Que l’on soit pour ou contre, il faut le dire/stipuler.
Je me suis demandée si le don/l’acceptation d’organes était compatible avec le véganisme mais n’ai trouvé qu’un semblant de réponse sur ce forum de l’Association Végétarienne de France, sur le don de sang (en 2012).
Le site du Don d’organes et un article qui interroge la transformation de la loi (2017).
Pour conclure, j’ai vraiment aimé ce roman, ses personnages, leurs reliefs, leurs questionnements et attitudes (Zan est un modèle !) et la réflexion (et même les réflexions) qu’il ne manquera pas de susciter.
Un roman ado qui prouve toute la vitalité de la littérature dite de jeunesse et nous montre qu’elle peut vraiment aborder toutes sortes de sujets.
Un roman plus qu'ado que je ne peux que vous conseiller de lire.
Merci aux Editions Michel Lafon
Il participe au « Petit Bac 2019 » d’Enna pour ma 1e ligne, catégorie Partie du corps.
A bien des égards mais surtout celui du ton, il m'a renvoyée au roman de Susin Nielsen, Les optimistes meurent en premier.
Belles lectures et découvertes,
Blandine
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