REPORTER - Tome 1 - Alabama 1965 Bloody Sunday Une marche pour la liberté. Renaud GARRETA, Laurent GRANIER et Gontran TOUSSAINT – 2016 (BD)
Publié le 20 Février 2019
REPORTER
Tome 1
Alabama 1965
Bloody Sunday
Une marche pour la liberté
Scénario de Renaud GARRETA et Laurent GRANIER
Dessin de Gontran TOUSSAINT
Couleur de Jocelyne CHARRANGE
Editions Dargaud, septembre 2016
64 pages
Thèmes : Ségrégation, Lutte pour les Droits Civiques, Journalisme, Histoire, États-Unis
Avec Reporter, nous suivons le jeune journaliste Yann Penn Koad au fil de ses reportages aux quatre coins du monde pour suivre l’actualité, avant qu’elle ne devienne de l’Histoire.
Avec ce tome, Alabama 1965, Bloody Sunday, nous le découvrons dans sa toute première mission.
***
2 janvier 1965, à Paris.
Dans les locaux du magazine « Reporter », seul Yann est sur pied.
Il est convoqué par son chef, Langlois pour aller couvrir les évènements qui agitent le Sud des Etats-Unis où les Noirs manifestent pour obtenir leur inscription sur les listes électorales, en attendant qu’un « vrai » correspondant puisse le remplacer.
Le lendemain, il retrouve Roberto Cagliari, un photoreporter italien, cynique, limite raciste, qui ne cesse de lui rappeler son jeunisme.
Yann est peut-être un « Bleu » mais il est très au fait de l’actualité américaine, intéressé, voire même attaché à la cause des Noirs dont il raconte l’histoire, les multiples figures et évènements, ce dont se fiche éperdument Cagliari.
Les Blacks, tu les aimes bien, mais tu n’es qu’un sale petit blanc-bec pour eux, ne l’oublie pas.
Ensemble, ils font route vers l’Alabama mais l’inexpérience du jeune homme associée à sa naïveté leur font vivre bien des déboires avec des membres présumés du Ku Klux Klan, comme avec la police. Sortis d’affaire par l’agent Tom Burns du FBI affecté dans le Sud, ils couvrent la manifestation à Marion pour la libération de James Orange (CLIC) où Cagliari est blessé.
Resté seul à New-York, Yann parvient à obtenir de Malcom X une interview qu’il ne pourra jamais faire, car ce dernier est tué à peine son discours commencé, le 21 février.
En échangeant avec l’agent Keane, Yann obtient des informations sur un programme très spécial du FBI : « cointelrpo » mais est sommé par son chef de repartir à Selma pour couvrir la marche du 21 mars, conduite par Martin Luther King (que l’on ne voit pas).
C’est à l’issue de cette manifestation, réussie et à laquelle ont notamment participé Nina Simone, Harry Belafonte, Tony Bennett ou Sammy Davis Jr, que Yann est à nouveau confronté à la violence des Blancs envers les Noirs et ceux qui leur apportent leur soutien.
Viola Liuzzo est assassinée sur la route, dans sa voiture alors qu’elle revenait de Montgomery avec un jeune Noir, Leroy Moton, miraculeusement indemne.
Yann reconnaît la voiture, la suit et permet au FBI de démanteler une Klavern (une cellule du Ku Klux Klan) dans laquelle un agent est infiltré mais dont les agissements paraissent bien suspects.
L’album se clôt sur un dossier en forme d’articles de presse rédigés par Yann Penn Koad, en date du 1er avril 1965.
Il permet de reconstituer et approfondir les différents éléments et évènements croisés/vus dans le scénario.
*
C’est grâce à Enna que j’ai découvert cet album dont la couverture m’a tapé dans l’œil.
Elle est magnifique !
Mais elle peut être trompeuse car on ne voit Martin Luther King qu’à la toute dernière planche (et deux fois dans le dossier).
Il est pourtant toujours question de lui, de ses discours, de son organisation (la SCLC - La Southern Christian Leadership Conference ), de ses décisions et de ses manifestations dans lesquelles il défile.
Cette présence par l’absence est très intéressante.
Quant au titre, « Bloody Sunday », il renvoie à l’un des évènements décrit brièvement – et non vécu par Yann-, mais qui a conditionné les suivants.
Il s’agit de la première tentative de marche entre Selma et Montgomery, deux villes distantes de 80 km, organisée par Amélia Boynton Robinson en réponse à la mort de Jimmie Lee Jackson le 26 février 1955 (relatée).
Ce 7 mars 1965, 600 manifestants emmenés par Hosea Williams et John Lewis sont arrêtés et tabassés par les policiers au Pont Edmund Pettus. Cela m’a permis de comprendre les premières planches du premier tome de Wake up America écrit avec John Lewis (CLIC pour lire ma chronique sur cet album).
Le 9 mars, une deuxième marche est tentée mais ce sera celle du 21 mars qui sera un succès mais en se terminant tragiquement avec le meurtre de Viola Liuzzo, une Blanche horrifiée par ce qu’il s’était passé le 7 mars et qui avait décidé de partager le combat des Noirs.
« Et comme je le rappelais il y a encore quelques jours, combien de temps ?
Oh oui, je vous le dis, ça ne prendra plus très longtemps pour que nous obtenions gain de cause, face à la barbarie de quelques-uns… »
Cet album, c’est une enquête, un reportage sur l’engagement unilatéral et entier (quelle que soit sa cause) fort d’une documentation historique riche et précise (j’aime !), mais aussi un portrait tout en nuances des Etats-Unis d’alors, et un peu du monde du fait de la présence de quelques journalistes étrangers.
Il nous restitue les mentalités, des faits, des engagements forts, des épisodes plus ou moins inconnus (il me semble) de la Lutte pour les Droits Civiques, comme des agissements du FBI avec les « cointelrpo », programme de contre-espionnage visant à s’introduire dans des groupes ou organisations comprenant des éléments politiques radicaux (Blancs Panthers ; Ku Klux Klan ; le parti communiste, le parti nazi américain etc.)
Si j’aime le fond, j’apprécie tout autant la forme.
Les pages de garde « recouvertes » de négatifs ou de rushes.
Le dessin dense, très expressif dans les mouvements ou les violences, même si moins dans les visages.
Le 8 mars 2015, Barack Obama fut le premier Président américain à refaire la marche de Selma à Montgomery à l’occasion de la commémoration des cinquante ans. Il conclut son discours ainsi :
« Cinquante ans après ce « Bloody Sunday », notre marche n’est pas encore terminée, mais nous nous en approchons. Deux cent trente-neuf ans après la fondation de cette nation, notre union n’est pas encore parfaite, mais nous nous en approchons. Notre travail est plus facile parce que quelqu’un nous a permis de marcher de premier mile.
Quelqu’un nous a déjà fait traverser ce pont. Quand on sent que la route est trop dure, lorsque le flambeau nous semble trop lourd, il faut se souvenir de ces premiers voyageurs, et leur exemple nous rend plus fort… »
Cet album participe au RDV « BD de la semaine », aujourd’hui chez Noukette (CLIC); à l’ « African American History Month » d’Enna ainsi qu’à son « Petit Bac 2019 » d’Enna, pour ma 1e ligne, catégorie Métier/Fonction.