La loi de la mer. Davide ENIA – 2018
Publié le 29 Janvier 2019
La loi de la mer
Davide ENIA
Editions Albin Michel, septembre 2018
240 pages
Thèmes : Lampedusa, Humanité, Migrants, Sicile, Famille, Maladie
Ici on sauve des vies. En mer, toutes les vies sont sacrées. Si quelqu'un a besoin d'aide, on lui porte secours. Il n'y a ni couleur de peau, ni ethnie, ni religion. C'est la loi de la mer.
Par cercles concentriques qui s'élargissent ou se resserrent, Davide Enia entremêle trois histoires et floute les chronologies.
Il y a celle des réfugiés qui arrivent à Lampedusa.
Ami avec Paola et Melo qui y habitent, il s'y est souvent rendu (pendant plus de trois ans).
Il les écoute parler de leur histoire, de leur attachement à cette île, des conditions de l’arrivée des bateaux et des traversées.
Davide Enia recueille les témoignages de ceux qui veulent bien lui parler, lui raconter, et ça prend aux tripes. D'autant que l'on pense peu à eux, qui sont directement confrontés à ces afflux, embarqués ou charriés par les flots, à l'impact émotionnel, à la peur, à la générosité, que cela engendre. Et continue d'engendrer depuis plus de vingt ans.
Ce roc en pleine mer est devenu un symbole, à la fois puissant et insaisissable, qu’on étudie et qu’on décrit sous des formes différentes : reportages, documentaires, récits, films, biographies, études post-colonialistes ou ethnographiques. Le nom de Lampedusa, en réalité, c’est un fourre-tout : les migrations, les frontières, les naufrages, la solidarité, le tourisme, la haute saison, la marginalité, les miracles, l’héroïsme, le désespoir, la souffrance, la mort, la renaissance, l’accueil.
Il y a la sienne, celle de son passé, de ses souvenirs, de son rapport avec son père, un taiseux « comme il se doit » dans le Sud.
Ancien médecin, son père l’accompagne souvent à Lampedusa où il s’adonne à sa passion : la photographie. D’abord des choses, des murs, puis des êtres vivants. Le père et le fils communiquent, échangent.
Qu’importe les silences tant qu’il y a le regard.
Il y a aussi celle de sa famille, et plus particulièrement avec son oncle paternel Beppe qui lutte contre un lymphome. Ce sont des passages très forts, d'une autre force que ceux de Lampedusa, auxquels nous pouvons, peut-être plus nous identifier, mais sans que cela n'atténue les inensités..
Ne t’identifie pas au décor, tu n’es pas un désert, tu es quelqu’un qui traverse un lieu désert.
Tout est lié et nous sommes tous liés, reliés.
En nous écrivant les choses ainsi, Davide Enia nous lie à lui à son histoire, comme il nous lie à celle des Réfugiés, à celle des habitants de Lampedusa, et à ce qu'il se passe.
Il mêle l'intime à l'universel, et inversement.
On parle des êtres humains sous forme de chiffres et de statistiques, alors qu'une personne, c'est beaucoup plus. Une personne, ça a des espoirs et des inquiétudes, des désirs et des tourments.
Et il y a aussi, à nouveau, son amour pour son île, la Sicile, et plus encore pour sa ville, Palerme.
Amour dont il nous avait déjà fait part dans son premier roman (et que j’avais tant aimé) Sur cette terre comme au ciel - un roman d'un genre tout à fait différent.
Ma chère Palerme se découpe à l’horizon, vue des montagnes qui l’entourent, ouverte pour embrasser la mer et ceux qui en arrivent, ville dévouée à l’accueil par son nom même, « Pan Ormus », le port total, lieu de l’accostage et du départ.
Le récit est découpé en trois parties, compactes, avec uniquement des sauts de lignes et quelques paragraphes marqués. Il y a une impression d'assaut de tous ces mots. Comme s’ils (lui) s’échappaient, comme s’il fallait qu’ils nous arrivent vite, qu’ils nous marquent, nous englobent, nous emmènent.
Un moment-poulpe, c'est quand une histoire, si elle le veut, vient à ta rencontre, sans que tu aies besoin de te jeter sur elle et de la capturer. Il faut rester près d'elle, ça oui, respecter ses rythmes et être prêt de toute son âme à l'accueillir.
Mais c’est aussi un récit très posé, fort de recherches (avec quelques indications géographiques fort intéressantes), très visuel, olfactif presque. Notamment lorsqu'il est question de nourriture... des moments simples et nécessaires. Des respirations. (même si je me demande comment ils font pour manger les poissons pêcher à proximité de Lampedusa).
Un récit à la fois très pudique, sensible, d'une grande honnêteté et d'une grande humanité.
Tout m’a plu, parlé, chamboulée, questionnée dans ce livre, roman, (auto)biographie, récit social (comment le nommer ? ).
Tant qu’il me faut résister à l’envie de trop vous livrer de passages, phrases, mots et vous laisser le plaisir, le cœur, la tension même, de les découvrir. (Il y en a beaucoup dans mon billet, mais j'en ai relevé bien plus!)
Il y aura une épopée de Lampedusa. (…) Il manque encore une pièce dans la mosaïque, aujourd’hui : l’histoire de ceux qi migrent. Nous n’avons pas les paroles pour dire leur vérité. (…) Mais l’histoire de cette migration, c’est eux qui nous la raconteront, ceux qui sont partis pour aborder sur nos rivages, à un prix qu’on n’imagine même pas. (…) C’est eux qui auront les mots pour décrire ce que veut dire aborder sur la terre ferme après avoir échappé à la guerre et à la misère, pour suivre leur rêve d’une vie meilleure. Qui nous expliqueront ce que l’Europe est devenue, qui nous monteront, comme dans un miroir, ce que nous sommes devenus.
Vous l’avez compris, La loi de la mer est un immense coup au cœur/coup de cœur que je ne peux que vous encourager à lire !
Il participe au Challenge de Sophie Hérisson « 1% Rentrée Littéraire 2018 » (42/6), à celui de Martine « Il viaggio » et au « Petit Bac 2019 » d’Enna pour ma 1e ligne, catégorie Lieu.
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Belles lectures et découvertes,
Blandine