Frère d'âme. David DIOP – 2018 – Prix Goncourt des Lycéens 2018
Publié le 20 Novembre 2018
Frère d'âme
David DIOP
Editions du Seuil, août 2018
176 pages
Thèmes : Première Guerre Mondiale, Tirailleurs Sénégalais, Colonialisme, Histoire, Mémoire
A présent que je suis loin de la bataille où j’ai perdu mon plus que frère Mademba, loin des petits obus malicieux décapitants et des gros grains rouges de guerre tombant du ciel métallique, loin du capitaine Armand et de son sifflet de mort, loin de mon aîné le croix de guerre chocolat Ibrahim Seck, je me dis que je n’aurais jamais dû me moquer de mon ami.
En arrière du Front, envoyé là pour se reposer, mais surtout pour l’éloigner des autres soldats à qui il a fini par faire peur, Alfa N’Diaye se souvient.
Il se souvient de sa folie, furieuse, vengeresse, suite à la mort de son ami, de son plus que frère, Mademba Diop, qu’il n’a pas voulu, qu’il n’a pas pu laisser sur la « terre à personne ».
Il se souvient de ses supplications qu’il ne s’est pas résolu à écouter et de la souffrance qui s’en est découlée.
Il se souvient du pouvoir qu’il ressentait, il se souvient de la force qui l’animait lorsqu’il exécutait son rituel salutaire.
Un rituel qui lui faisait ramener les mains droites de soldats ennemis avec leurs fusils.
Réputé fort parce que considéré comme sauvage, armé de son coupe-coupe, la folie d’Alfa le pousse à incarner cette image faussée.
Une folie d’abord applaudie puis crainte. Le faisant passer de héros à sorcier.
Une folie qui aurait révélé à tous, aux Toubabs comme aux « Chocolats », sa vraie nature, celle de dëmm, de démon.
Isolé, loin du Feu et des coups de sifflets du Capitaine Armand (seule langue aisément compréhensible), soigné par un médecin bienveillant et par sa fille (dont il interprète les regards), Alfa se remémore.
Par vagues successives, les souvenirs ressurgissent, s’affinent, expliquent les raisons de sa présence ici, dans cette guerre pour un pays qui n’est pas le sien, qu’il ne connaît pas et qui l’exploite. Lui et les siens.
Ainsi, il renoue avec son histoire, son pays à lui, le Sénégal, son village, Gandiol, avec son identité, avec ses racines.
C’est comme s’il recouvrait la mémoire alors que la guerre et la folie cherchent à l’effacer.
Comme si la perte et la mort l’éclairaient sur ce qu’il est, sur ce qu’il a été, d’où il vient, et sur ce qu’il a fait, là-bas au pays et ici, sur cette « terre à personne ».
Le plus grand secret qu’il nous a enseigné est que ce n’est pas l’homme qui dirige les évènements mais les évènements qui dirigent l’homme. Les évènements qui surprennent l’homme ont tous été vécus par d’autres hommes avant lui. Tous les possibles humains ont été ressentis. Rien de ce qui nous arrive ici-bas, si grave ou si avantageux que ce soit, n’est neuf. Mais ce que nous ressentons est toujours neuf car chaque homme est unique, comme chaque feuille d’un même arbre est unique. L’homme partage avec les autres hommes la même sève, mais il s’en nourrit différemment. Même si le neuf n’est pas vraiment neuf, il reste toujours neuf pour ceux qui viennent sans cesse s’échouer au monde, génération après génération, vague après vague. Alors, pour s’y retrouver dans la vie, pour ne pas se perdre en chemin, il faut écouter la voix du devoir.
Lorsqu’un roman sur la Première Guerre Mondiale paraît, il est rare que je résiste à l’acquérir.
Ce roman-ci m’a d’autant plus attirée qu’il avait pour personnage principal un Tirailleur Sénégalais.
Par le choix de ce personnage dont on pénètre les pensées et le tiraillement intérieur, David Diop nous entraîne dans les affres du colonialisme, de la guerre, des différences culturelles, des traditions.
Malheureusement, deux semaines après avoir tourné la dernière page, je reste assez dubitative sur cette lecture, dont il ne me reste (déjà) plus beaucoup.
Si le sujet me plaît, la forme n'a pas su me toucher.
En cause, peut-être, un texte dense qui laisse peu de souffle, une écriture orale et répétitive, malgré une poésie évidente.
Ce roman participe à mon Challenge sur la Première Guerre Mondiale, ainsi qu’à celui de Sophie Hérisson « 1% Rentrée Littéraire 2018 » (28/6).
Sur le sujet des Tirailleurs Sénégalais, retrouvez sur le blog: