Capitaine Rosalie. Timothée De FOMBELLE et Isabelle ARSENAULT – 2018 (Dès 8 ans)
Publié le 10 Novembre 2018
Capitaine Rosalie
Texte de Timothée De FOMBELLE
Illustrations d'Isabelle ARSENAULT
Editions Gallimard Jeunesse, 4 octobre 2018
Dès 8 ans
Thèmes : Première Guerre Mondiale, Enfance, Pouvoir de la lecture, vérité/mensonge
J’ai un secret.
On croit que je dessine dans mon cahier, assise sur le petit banc, sous les portemanteaux, au fond de la classe. On croit que je rêve en attendant le soir.
On m’appelle Rosalie. Et le maître d’école passe à côté de moi quand il fait la dictée à ses élèves.
Il pose sa main sur mes cheveux.
Mais je suis un soldat en mission. J’espionne l’ennemi.
Je prépare mon plan.
Capitaine Rosalie.
Hiver 1917-1918
Le papa de Rosalie est à la guerre.
Sa maman est à l'usine pour fabriquer des obus.
Et Rosalie est au fond de la classe.
Trop grande pour être en nourrice, trop petite pour être élève, elle est assise, blottie, entre les manteaux suspendus des autres enfants.
Crayon dans une main, cahier dans l’autre, elle écoute le maître, à qui il manque un bras. Donné à cette guerre qui lui prend son papa.
Elle observe les autres enfants.
Elle peaufine son plan.
Rosalie a cinq ans et demi, mais elle n’est déjà plus une petite fille. C’est son camouflage.
Le soir, quand plus personne n’est là, elle attend sa maman.
Qui parfois lui lit une lettre de son papa.
Elle sait que sa maman prolonge les pages, évoque des moments heureux qui n’existent pas.
Rosalie n’aime pas.
Rosalie patiente.
Et ainsi passent les jours, froids, immuables
Jusqu’à cette pause, cette journée suspendue, où la neige s’est invitée à son anniversaire.
La neige qui protège, qui les laisse toutes deux, avec sa maman, dans leur bulle.
Cache-cache, lait sucré et complicité. Rires, jeux et vraie histoire, avec des îles désertes et des filles de roi.
J’essaie de me souvenir de tout. Je recopie des petites choses dans les dernières pages de mon cahier.
Elle sait, mais elle veut en avoir le cœur net.
Transformer ce qu'elle ressent, ce qu'elle pressent, en certitude.
Et seuls les mots, écrits, peuvent la combler, la rassurer.
*****
Cet album, c’est le récit d’une fillette qui combat et qui conquiert.
D’ailleurs, le choix de son prénom n’est certainement pas anodin ! La Rosalie, c’est la baïonnette, l’accessoire indissociable du Poilu, l’un des symboles de la Grande Guerre. Ce n’est pas une « simple » lame mais une pique cruciforme.
La mission de Rosalie nous est dévoilée petit à petit, comme si nous progressions avec elle. Et sa concrétisation est double.
Avec beaucoup de délicatesse, de pudeur, et de poésie, ce petit album dit l’absence, la douleur, l’incertitude, l’attente, et la volonté.
Dans ce décor aux teintes froides d’hiver et de guerre, où seule deux couleurs émergent : le bleu de l’écrit et la chevelure flamboyante de Rosalie (et parfois de sa mère), Timothée de Fombelle et Isabelle Arsenault nous racontent l’enfance abîmée, malmenée, l’innocence perdue du fait de la guerre.
Et l’ignorance que sa maman lui préfère, par manque de mots, par peur, par tristesse.
D’où cette question induite : peut-on protéger nos enfants de la vérité ? Jusqu’où le peut-on ?
L’album « Jeux de vilains » (2018), qui prend aussi pour contexte la Grande Guerre, pose la même question.
Un très bel album qui participe à mon Challenge autour de la Première Guerre Mondiale ; à ceux de Sophie Hérisson, "Je lis aussi des albums 2018" (65/60) et "1% Rentrée Littéraire 2018" (25/6) et au « Petit Bac 2018 » d’Enna, pour ma 15e ligne, catégorie Prénom.
Avant de paraître seul, ce récit faisait partie du recueil « La Grande Guerre – Capitaine Rosalie et autres récits » (2014 en anglais) pour lequel ont contribué onze écrivains célèbres tels John Boyne, Tracy Chevalier, Michael Morpurgo, etc.
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