En Italie, il n’y a que des vrais hommes. Luca DE SANTIS et Sara COLAONE – 2010 (BD)
Publié le 16 Mai 2018
En Italie, il n’y a que des vrais hommes
Un roman graphique sur le confinement des homosexuels à l’époque du fascisme
Scénario de Luca DE SANTIS
Dessins de Sara COLAONE
Traduit de l’italien par Claudia MIGLIACCIO
Editions Dargaud, 2010
176 pages
Thèmes : Italie, Fascisme, Homophobie, Mémoire, Histoire, Transmission, Amour
Lors de la refonte du code pénal, le code « Rocco », ils avaient prévu un article pour les gens comme nous, les homos…
Alors Mussolini s’est indigné :
« Nous n’avons pas besoin d’une loi pareille !
En Italie, il n’y a que des vrais hommes ! »
A l’inverse des « triangles roses » que les Nazis ont attribués aux homosexuels, l’Italie fasciste a préféré le silence et le déni.
« Accorder » un statut pénal à ces hommes (et à ces femmes), c’était reconnaître leur existence, leur différence.
Pour autant, cela ne signifiait pas que les homosexuels, ou considérés comme tels, n’étaient pas inquiétés par le régime fasciste.
Dès 1928, la police puis l’OVRA (dès 1930 - police secrète chargée de réprimer les individus dits « subversifs ») fit le choix de l’isolement, parquant les « pédérastes » ou « invertis », généralement dans le sud du pays.
L’un de ces lieux fut l’île San Domino delle Tremiti, au large des Pouilles, non loin de celle de San Nicola, où étaient enfermés les détenus de droit commun ou politiques.
Je rentre retrouver ma famille, mais elle a été déchirée par la douleur.
Et l’exil, loin de mon village, c’était aussi un exil des regards, des ragots, des mauvaises langues.
Je rentre mais tout a changé.
Oui, je rentre mais plus rien n’est comme avant.
Aujourd’hui, mon royaume, c’est ce bout de terre qui n’appartient à personne, et où on a oublié le sens des mots « chez nous ».
Je rentre, oui, mais où ?
Lorsque la guerre prit fin, leur retour chez eux ne fut pas sans douleurs, ni scandales, ni déshonneurs. Pour eux-mêmes comme pour leur famille.
Ce qui explique que presque aucun n’ait cherché à être indemnisé pour les années passées en confinement, comme la difficulté qui existe encore aujourd’hui pour aborder ce sujet.
Luca de Santis et Sara Colaone ont choisi de le traiter comme un reportage.
Rocco et Nico, jounaliste et cameraman (un couple professionnel et … amical, amoureux ?) ont rendez-vous à Salerne avec Antonio Angelicola, 75 ans, surnommé Ninella, pour l’emmener aux Tremini où il a été interné jusqu’à ce qu’avec la guerre, il soit renvoyé chez lui en « liberté surveillée ».
Au lieu de raconter cette histoire d’une manière linéaire, les auteurs ont opté pour des séries de flash-back qui répondent aux discussions et tensions qui existent entre ces trois hommes afin d’illustrer toute la difficulté qu’il y a, encore aujourd’hui, à lever le voile sur ces événements. Quelle résonnance pourraient-ils avoir à notre époque ? Sur le travail de mémoire, sur la condition homosexuelle actuelle?
Ninella a du mal à dire, à (se) confier, à se délivrer de son passé, d’autant qu’il ne s’explique toujours pas ce qu’il l’a conduit à accepter cette rencontre.
Ses prises de bec sont nombreuses avec Rocco, qui ne comprend pas ce qu’il prend pour des atermoiements, des caprices.
L'attitude de Rocco est le fruit d’un secret devenu trop lourd mais qu’il a du mal à lâcher.
Peu à peu, Ninella (se) raconte.
Son arrivée sur l‘île et l’accueil festif qui lui fut réservé ; les caractères joyeux, bagarreurs, timides, perfides de ses compagnons d’infortune ; son travail en tant que tailleur des carabiniers ; les conditions matérielles de sa détention ; leur liberté relative ; les secrets, peurs, espoirs des uns et des autres…
Pour accompagner ce récit, le contextualiser, à la fois dans l’Histoire ou à notre époque, le roman graphique est agrémenté d’une préface rédigée par Tommaso Giartosi et Gianfranco Goretti, deux écrivains, auteurs de La ville et l’île. Les homosexuels confinés à l’époque de l’Italie fasciste.
La postface est la retranscription d’un entretien entre Giovanni Dall’Orto (journaliste, écrivain, historien de l'homosexualité comme il se définit), et Giuseppe B. qui a inspiré le personnage de Ninella.
Cet album est vraiment beau, utile, nécessaire.
J’aime son graphisme et le choix de ses couleurs (noir, blanc et moutarde) dont chaque époque à sa dominante : noire pour le passé ; moutarde pour le présent ; gris pour la caméra.
Cela confère beaucoup de dynamisme au trait épais de Sara Colaone et pallie à la dureté et à la tristesse du sujet.
Il participe au RDV « BD de la semaine » qui se passe aujourd’hui chez Stephie (Retrouvez-y toutes les participations du jour - CLIC) ainsi qu’au « Mois italien » de Martine et au « Petit Bac 2018 » d’Enna, pour ma 7e ligne, catégorie Lieu.
Des deux auteurs, avec Francesco Satta, je vous ai présenté le roman graphique Leda Rafanelli - La Gitane anarchiste.
Belles lectures et découvertes,
Blandine.
Retrouvez-moi sur Facebook, Twitter, Pinterest, Instagram, tumblr, Google+, Babelio et Livraddict.