Les attachants. Rachel CORENBLIT - 2017
Publié le 29 Janvier 2018
Les attachants
Rachel CORENBLIT
Editions du Rouergue, août 2017
192 pages
Thèmes : Ecole, quartiers difficiles, bienveillance, grossesse
Les attachants, ce sont les élèves d’Emma, jeune professeure des écoles, qui débarque dans un quartier difficile et qui se voit confier une classe de CM2.
"L'école des Acacias, on peut imaginer qu’elle existe vraiment, pour se faire peur" nous dit la quatrième de couverture, phrase qui se trouve aussi dans le roman.
On ne se la représente que trop bien cette école où le déterminisme social bat son plein, et dont le portrait si réel, si tangible, constitue un plaidoyer politique pour interpeller sur la situation actuelle de l'Ecole de la République.
L’école publique, ses classes trop chargées, les moyens accordés qui diminuent en proportion inverse de celles des demandes et directives, des programmes trop lourds constamment remaniés, la différenciation, les quartiers, la mixité sociale, l’engagement de ses professeurs, le découragement de ses professeurs, l’absentéisme de ses professeurs, etc.
Nous savons, nous entendons, nous lisons constamment des infos, des études sur l’état de l’école, le niveau des élèves qui irait à vau l’eau, les comparaisons internationales inutiles et culpabilisantes…
Nous avons tous en tête ces mots, ces réalités, ces idées reçues et/ou vécues.
Comme ce sujet nous touche, nous concerne tous ; que nous ayons ou non des enfants, à l’école ou pas encore, ou (déjà) sortis…
C’est ce constat-là, ce portrait de l’intérieur d’une école que Rachel Corenblit a cherché à nous livrer, à nous rendre palpable.
Bien sûr, elle n’est pas la première.
D’autres l’ont fait avant elle, que ce soit par le biais du roman ou du film, mais c’est toujours aussi fort, émouvant, dérangeant.
A la limite de l’essai, ce récit de fiction trop réel ne peut que nous interpeller sur une école en souffrance, inégale, injuste, autoritaire, fataliste, tant pour ses adultes que pour ses élèves.
Les Acacias, ce n’était pas sa première classe, ni sa première école.
La première année, elle avait circulé dans la campagne tout autour de Toulouse. Elle avait eu droit au poste fractionné, le pire des postes : quatre écoles différentes, tous les niveaux.
Un panoramique intégral du métier en une semaine. De quoi se former sur le tas.
Le cadeau qu’on offre aux débutantes pleines d’enthousiasme et de zèle pour qu’elles comprennent que l’Education nationale était à l’image de la vie, un monde sans pitié où il fallait avant tout s’adapter. Pour qu’elles réalisent aussi que la vocation, c’était un mythe, un délire romantique, qu’il fallait vider de ses idéaux pour appréhender la substantifique moelle du métier : apprendre à survivre.
Nous voici donc racontée par Emma elle-même plusieurs années après, sa première année de titulaire dans la dixième et dernière école indiquée dans ses choix, celle des Acacias.
Cette première année qui a bien failli être sa dernière.
Cette année si particulière, sur le plan professionnel donc, mais aussi personnel, et même familial.
Emma a plein d’envies, plein de projets, plein de principes.
Elle a envie de leur faire apprendre, découvrir tant de choses, de délivrer tant de connaissances, de motiver ses élèves, de susciter l’engouement.
Elle a ses idées sur la méthode, elle planifie, mais surtout… elle doit s’adapter.
Car Emma n'a pas été préparée à ça, à ce quartier, à ces élèves et leurs parents, à leurs vies, à leurs situations et même souffrances, à leurs profils multiples dont elle nous dévoile pour chacun la teneur en quelques lignes ou quelques pages, allant parfois jusqu'à nous dire ce qu'ils sont devenus dix ans après.
Elle est seule, elle est esseulée dans cette classe. Ses collègues ne la côtoient pas, pas plus qu’elle recherche leur compagnie.
Le directeur de l’école, Aucalme (ce qui est bien plus que son patronyme), à deux ans de la retraite, l’agace par son attitude posée, ses phrases, dites d’expérience, qui semblent être de résignation, et dont elle se méprend sur le sens.
Et puis, il faut dire aussi qu'Emma est un peu paumée dans sa vie, un peu névrosée aussi.
Orpheline de père, une mère effacée, boulangère, elle ne sait pas trop où elle en est Emma.
Elle rencontre Mathieu un soir de septembre, lui déballe son sac, sa vie, les difficultés de sa classe, de ses (futurs) « attachiants », et dans la foulée propose de coucher avec lui, sans attaches pense-t-elle…
Car plusieurs mois après, la voilà qui sonne chez lui, enceinte…
Si le propos sur l’école, le constat, les descriptions des enfants, de leurs difficultés, les petites joies qui deviennent d’autant plus intenses, la position délicate d’Emma en tant qu’enseignante, en tant que personne humaine dotée de sensibilité, m’a touchée et même émue, questionnée sur les possibles à faire, je n’ai pas accroché au portrait d’Emma en-dehors de l’école.
En fait, je ne l’ai pas compris.
Trop distante, presque comme si elle était une autre personne.
Pourtant les deux sont liés, ou devraient l’être.
A l’école, même si elle tâtonne, fait quelques erreurs, ne voient pas certains signes car trop préoccupée par d’autres, elle est investie, combattive. Or, dans sa vie privée, elle semble déconnectée, absente d’elle-même, détachée de sa grossesse… Est-ce une conséquence du trop-plein vécu à l’école… Je ne sais pas.
Du coup, j’ai vécu cette lecture en deux temps.
Charmée par la tournure des phrases, leur rythme, la poésie des mots, heurtée par ce qu’ils disent, et laissée sur le côté à certains moments.
Néanmoins, ce roman est à lire
Il participe au Challenge « 1% Rentrée Littéraire 2017 » de Sophie Hérisson (38/6) et au « Petit Bac 2018 » d’Enna, pour ma première ligne, catégorie Mot Positif.
Belles lectures et découvertes,
Blandine