Ernesto. Marion DUCLOS – 2017 (BD)
Publié le 30 Août 2017
Ernesto
Scénario et dessins de Marion DUCLOS
Préface de Geneviève DREYFUS-ARMAND, historienne.
Editions Casterman, 23 août 2017
160 pages
Thèmes : Espagne, Guerre d’Espagne, Immigration, France, Mémoire, Transmission intergénérationnelle, Famille, Amitié
Il est des consonances qui attirent… Ernesto… Espagne…
Il ne m’en a fallu guère plus pour acheter cet épais roman graphique.
Ernesto est un vieil homme ronchonnant qui vit à Tours et dont l’accent traduit l’origine.
Quarante ans qu’Ernesto est arrivé en France, et autant d’années à essayer d’oublier sa terre natale. A oublier la guerre, Franco, les exactions, la perte de sa femme Lucia, à taire sa douleur et sa mémoire, à essayer d’être Français…
Jusqu’à la blessure, jusqu’à l’hôpital, qui lui crie le besoin, impératif, nécessaire, de rentrer chez lui, à Barcelone.
Alors sans rien dire à sa fille Paola, avec qui les relations sont plutôt tendues, ni à sa petite-fille Isabelle, mère de la petite Lucie qui ressemble trop à sa Lucia, il prend la route avec Thomas, ami de longue date qui vient d’acheter une vieille Vespa 400.
Bringuebalante, l’Italienne les emmène jusque Bordeaux où il devient nécessaire de prendre soin d’elle.
C’est ainsi que les deux vieux amis font connaissance avec toute une bande d’immigrés espagnols, leur famille et leurs amis.
A la Casa Madrilena, les langues se délient, chacun y va de son histoire, de son combat, de son anecdote… dans un joyeux et houleux tintamarre. Ernesto se découvre entouré.
Paola, Isabelle et Lucia les rejoignent et c’est l’occasion pour elles d’en apprendre davantage sur l’Espagne, l’arrivée dans une France non préparée à leur venue, les multiples destins, sur leur passé familial.
Moi, il a fallu que j’arrive ici pour que ma mère évoque l’Espagne !
Parce que c’était pas la joie, niña !
Qu’est-ce que tu voulais qu’elle te raconte !
Je me souviens quand on est arrivés, c’était n’importe quoi !
On nous a mis en camp de concentration.
Les Sénégalais qui nous gardaient nous ont accueillis avec des bâtons et ont pris nos affaires !
Et puis, après, c’était les barbelés, les poux, les puces, la maladie… Des familles ont été séparées…
Après ceux qui pouvaient étaient envoyés dans les compagnies de travailleurs étrangers…
D’autres rejoignaient la Légion étrangère…
Moi, je suis restée tellement de temps les pieds dans le sable…
Que, quand je suis sortie, ça me faisait drôle de marcher sur du dur.
Avec ses nouveaux amis, anciens combattants, Ernesto retrouve l’Espagne, la rêve, la revit, la savoure et la transmet. Il découvre que d'autres en parlent plus librement que lui, ont accepté de transmettre leur histoire et leurs douleurs. Ira-t-il revoir son soleil, ses oliviers, ses oranges et ses melons ? Osera-t-il faire la dernière partie de son voyage, de son retour ?
La Guerre d’Espagne est un sujet que je connais encore trop peu à mon goût. Guerre civile, montée des fascismes, terrain d’essai militaire et idéologique d’Hitler et Mussolini, je suis avide de lectures sur ce thème.
Dure la thématique l’est, mais elle est traitée d’une manière douce et pudique, sensible et émouvante, à laquelle contribue le minimalisme du dessin. Mais auquel il a fallu m'habituer.
Un trait fin et épuré, des couleurs à l’aquarelle qui le rehaussent, un fond blanc. Une couverture gaie, légère.
Il se dégage de l’album de la joie. Oui, de la joie de vivre et de partager, de transmettre, d’être ensemble.
Ce n’était pas gagné.
Petit Edit sur les oreilles (dont la taille m'a aussi interpellée): "Un bel album très touchant, didactique sans jamais être lourd, intimiste et historique servi par un joli dessin, frais et délicat, aux personnages aux oreilles surdimensionnées, comme s'il leur appartenait d'écouter et de saisir les souvenirs d'une génération qui s'en va et qui a pourtant tant de choses a dire qui ont été tues trop longtemps." (DBD)
Ce roman graphique, outre l’histoire d’Ernesto (qui pourrait être presque n’importe quel grand-père espagnol) que nous raconte Marion Duclos, s’enrichit de plusieurs pages documentaires.
Un détail que j’apprécie tout particulièrement, car il permet de prolonger et d’approfondir sa lecture.
Une préface, une chronologie, une présentation de l’auteure qui a commencé à travailler sur Ernesto en 2006 et tout un dossier sur la Retirada, l’exil républicain espagnol de 1939 (rédigé par Cindy Coignard et Maëlle Maugendre). Glaçant et instructif.
Il participe au RDV BD de la semaine qui se passe aujourd’hui chez Stephie (Retrouvez-y toutes les participations du jour - CLIC) ainsi qu’au Challenge « 1% Rentrée Littéraire 2017 » de Sophie Hérisson (1/6).
D’autres lectures ou évocations de la Guerre d’Espagne chroniquées ou présentées succinctement sur le blog :
- Roman : Pas pleurer. Lydie Salvayre.
- BD : Jamais je n’aurais 20 ans. Jaime Martin.
- BD : Au fil de l’eau. Juan Diaz Canales.
- Roman : L’ombre du vent. Carlos Ruiz Zafon
- Roman: Moi, Dora Maar.. Nicole Avril.
- Album: Et Picasso peint Guernica. Alain Serres.
- Album: Guernica. Héliane Bernard et Olivier Charpentier.
Belles lectures et découvertes,
Blandine.
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