Un paquebot dans les arbres. Valentine GOBY - 2016
Publié le 16 Octobre 2016
Un paquebot dans les arbres
Valentine GOBY.
Éditions Actes Sud, août 2016.
272 pages.
Sans rien connaître de l’histoire, sans lire le quatrième de couverture, je me suis offert (et non juste acheté !) le dernier roman de Valentine Goby.
Parce que c’est elle, et parce que ce titre.
Un titre métaphorique, qui m’a fait penser à l’Art Déco. Et pour cause ! Ce paquebot dans les arbres fait référence à un bâtiment construit entre 1931 et 1933. Le sanatorium d'Aincourt qui accueillait des tuberculeux, devenu prison pendant la seconde guerre mondiale avant de reprendre sa fonction première puis d’être abandonné il y a plus de vingt ans.
Un paquebot majestueux qui en imposait et qui est le lieu central de ce roman, presque un personnage.
La sanatorium d'Aincourt en 1960. http://hpvexin.free.fr/index.php?cat=histoire-et-patrimoine§eur=magny&commune=aincourt&genre=documents
Si ce lieu, empreint de tristesse et de mort, est un symbole de perte et de désunion irrémédiable, une jeune fille cherche à en faire un endroit de retrouvailles et d’amour. Mais, indifférent, il trace sa route et emporte ceux qui se trouvent sur son chemin.
Cette jeune fille s’appelle Mathilde Blanc et est la fille cadette d’Odile et Paul Blanc.
Nous sommes au début des années 1960. Les gens veulent oublier la guerre et ses malheurs, se reconstruire, et les progrès de la médecine et des débuts de la Sécurité sociale leur donnent des impressions d'immortalité.
Mais lorsque la maladie insidieuse s'infiltre en lui et que certains mots apparaissent (sanatorium, bacilles), il est mis au ban, puis rejeté, et sa famille avec.
Mathilde a neuf ans.
La peur de la contagion s’ancre au-delà de la conscience, dans les strates lointaines des mémoires familiales et de la mémoire collective, ni la postière ni la mère de Françoise ni Odile ne peuvent s’y soustraire, elle s’est nourrie de siècles d’épidémies et d’impuissance.
La peur remonte au Moyen Âge, quand dans l’Europe entière, de Padoue à l’Espagne et à la Pologne on détruisait les biens des phtisiques, et elle inclut tous les échecs de la médecine.
Commence alors sur dix ans le lent mais irrémédiable déclin, l’isolement social, la dépossession matérielle, l’éclatement familial.
Les allers-retours au sanatorium, les déménagements, le placement des enfants par les services sociaux et les correspondances incessantes mais vitales.
Dispersée, exclue, cette famille, au patronyme si cruel face à cette maladie, ne se tient que grâce à Mathilde. Son amour et son abnégation vont la rendre indispensable à tous : Paul, Odile, Jacques le petit frère, jusque Annie, « enfuie » à Paris. Même s’ils ne veulent pas le dire ou le reconnaître.
C’est qu’elle a de la volonté et du caractère, elle se bat, s’émancipe, étudie et ne vit que pour les réunir tous et rétablir leur dignité. Mais elle se vide et se dévore. Son corps le lui rappelle. Misère, pauvreté, esseulement, culpabilité.
C’est seulement beaucoup plus tard, peut-être pas avant cette errance dans les décombres du sanatorium ravagé, ce jour mouillé et triste de juillet 2012, que Mathilde prendra la mesure de sa volonté d’alors, de la force de son abnégation, elle qui s’est persuadée de sa propre joie pour plaire, s’est abîmée sans cette croyance par unique désir de les rassurer après les avoir presque condamnés, au-delà de la misère et de la souffrance physique, à un chagrin sans bornes.
En dépit de ce qu’elle croit, elle n’est pas seule. Et ces quelques amitiés, rencontres, vont la tenir, la faire avancer, hargneuse et fière, éprise de libertés, tout comme ce peuple d’Algérie qui réclame sa liberté dans le sang, et dont la lutte est retranscrite en filigrane dans le récit.
Ainsi est le drame dont je parle : anachronique et oublié. (
Elle s’y refuse, emploie des mots forts, brusques, nous interpelle, faisant se confondre sa voix et celle de sa narratrice, dans un récit aux accents si véritables (la vraie Mathilde s’appelle en réalité Elise Beillon), qu’il nous immerge dans cette époque au contact de cette génération éprise de nouveautés et de possibles, qui tourne le dos au passé, délaissant ceux qui le lui rappelle.
Mathilde devient le centre de ce corps éclaté. J’ai voulu, encore une fois, mettre en lumière l’extraordinaire capacité de résistance des plus éprouvés. Dans la France des Trente Glorieuses, de la Sécurité sociale et des antibiotiques, qui à certains donnent l’illusion de l’immortalité, la maladie reste, comme le dit Jean-Paul Sartre évoquant la peste, une exagération des rapports de classe.
http://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/un-paquebot-dans-les-arbres
Ce magnifique roman est un coup de et un coup au cœur, qui m’a profondément marquée et dont je ne peux que vous en recommander la lecture.
Il participe au « Challenge 1% Rentrée Littéraire 2016 » de Sophie Hérisson ainsi qu’au « Petit Bac 2016 » d’Enna pour ma 5e ligne catégorie Voyage.
Retrouvez d’ailleurs son avis ICI, et sa rencontre avec Valentine Goby LA.
Pour accompagner ou en prolonger la lecture, voici quelques liens et photographies.
Histoire d'Aincourt : le sanatorium, le camp, l'hôpital
histoire d'Aincourt : le sanatorium, le camp de tri durant l'occupation, l'école de la milice de Bousquet, le centre hospitalier (rééducation fonctionnelle)
http://photo-hier-aujourdhui.wifeo.com/aincourt-lhistoire.php
Belles lectures et découvertes,
Blandine.
Pour qui écrivez-vous, Valentine Goby ?
Valentine Goby est née en 1974. En cette rentrée littéraire paraît Un paquebot dans les arbres (Actes Sud), son neuvième roman en littérature générale. Elle écrit également pour la jeunes...
https://sophieadriansen.wordpress.com/2016/09/15/pour-qui-ecrivez-vous-valentine-goby/