Ma guerre de cent ans. PEF
Publié le 28 Juin 2016
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Ma guerre de cent ans
PEF
Éditions Gallimard, mars 2014.
192 pages.
Thèmes abordés : Famille, mémoire, guerres, histoire.
Un jour, mon grand-père est mort. D’un coup. D’un coup de feu de guerre. Mort assis contre un arbre. C’était l’été.
PEF commence ainsi son roman, son autobiographie romancée.
La sienne et en filigrane celle de sa famille. Un début à la Camus, qui me rappelle tant celui de l’Etranger. Le titre du roman de Camus fait d’ailleurs écho avec ce que nous dit en substance PEF dans son roman. Ce grand-père mort au champ d’honneur, cet étranger qu’on lui a caché puis avoué, cet autre Pierre, comme un petit caillou de mémoire qui gêne et qui rappelle.
Avec la mort de cet étranger, PEF nous conte sa vie et déroule un fil écarlate qui unit toutes les guerres qui ont jalonné, marqué, ensanglanté le XXe siècle. Ou plutôt une guerre unique mais fragmentée, multiple, multiforme et qui déborde sur le XXIe siècle.
Un lien qui unit tout autant qu’il oppose, qui relie tout autant qu’il défait.
Je comble de mes mains l’immense fossé du temps, je fais se rencontrer deux arbres séparés par une tranquille distance dont ils n’ont pas idée. Mon tour de magicien n’a pour public que ma mémoire. Le plaisir et la peur se confrontent en une poignée de secondes. Pouvoir de réunion d’un grand tenant la main retrouvée du petit qu’il était. Il faut un grand morceau de vie pour prétendre réussir ce tour. Les deux images, superposées, reliques désormais scellées, sont des lignes de vie de ma main.
A la manière d’une histoire, il se livre en faisant danser et chanter les mots comme il sait si bien le faire.
Derrière cette apparente légèreté, on devine les silences, les peurs, les douleurs, mais aussi les découvertes et les jeux, son enfance, sa famille, ses amis, ses expériences et pérégrinations, ses voyages.
Bien sûr, on se délecte des mots choisis, des métaphores, autant d’outils que de remparts, des connivences mais on ne peut qu’être ému par le poids du passé sur le présent, sur ce poids inconscient qui écrase ceux qui arrivent, qui ignorent mais qui (pres)sentent les choses.
Pas de chapitres mais une suite de paragraphes que seul un saut de ligne, heureusement assez fréquent, espacent, comme une brève respiration. Comme un besoin de tout dire et tout relier avant que la mémoire ne se fige et ne soit encore plus ensevelie par une mort de plus, la sienne.
Morceaux d’Histoire d’avant, d’ici et d’ailleurs, recousus au fil rouge de ses souvenirs et de ses sentiments. Pas de dates, que des évènements décrits à la chronologie un peu bouleversée. Les deux guerres mondiales, l’Occupation, le Vietnam, l’Algérie, le Rwanda, les blessures des uns, des autres, similaires mais toujours différentes, ravages intimes, nouvelles armes, société en mutation et guerre increvable.
Dans un dialogue incroyable, PEF interroge la guerre.
-Je suis la Guerre., mais je ne décide rien. Je profite simplement des occasions données.
(…)
Bien sûr, je suis responsable de sa mort à lui comme de celles de millions de gens qui, selon moi, n’avaient rien à y faire et se sont faits avoir.
(…)
Cela faisait partie de la recette de cuisine. Je n’interviens que lorsque le couvert est mis. Pour remplir les assiettes de sang assaisonnées au sel des larmes.
-Et tu n’es pas responsable ?
-Non, en rien. Je te le répète, je n’existe pas. Je suis un prête-nom. On m’appelle Guerre de 14, Première Guerre mondiale, Grande Guerre. Ce sont les parents qui nomment les enfants à vie. Ici, ce sont les survivants
(…)
Tu es une de ces voix légères qui flotte comme les autres et, comme les autres, elle s’effacera. Tu ne fais pas le poids.
(…)
Quelque part les gens de guerre font de la com, de la pub. Jette un œil sur les jeux vidéo. La guerre virtuelle. La guerre derrière une vitre.
La guerre est un bal masqué. Elle se travestit pour se faire oublier en utilisant d’autres armes. Le drapeau du fric flotte sur la société dite du bonheur et du progrès rapide.
Le propos de PEF se fait parfois prémonition, lui qui a vécu de dessins et de guerres. Forcément, ces mots qui suivent ont un glacial écho.
Chaque fois que je prends un crayon, si loin dans le temps, je pense à la chose. Les hommes armés l’appelaient crayon, crayon de plastic. Trop souvent encore, même maintenant, quand je longe une voiture, quelque part dans une rue, je pense qu’elle pourrait exploser à cause d’un foutu crayon à dessiner la mort.
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Ce titre participe à mon Challenge consacré à la Première Guerre mondiale.
Le Chemin des Dames est arrosé depuis des siècles par le sang des pauvres troupiers mués en héros par l’Histoire. Je l’emprunte jusqu’à Craonne, sans rien céder au crachin et à la nuit qui tombe. Craonne haché il y a de cela bientôt cent ans. Village réduit à l’état de dunes recouvertes d’un drap de verdure. Craonne, cimetière ans village, sans fleurs ni noms ni vies. Craonne reconstruit plus loin, empêtré dans son manteau d’oubli persistant, comme persiste tout amour perdu. Je me perds dans ce lit de genoux, d’épaules, de têtes velues, de ronces et d’arbustes soumis aux patines des brumes, des pluies répandues au fil de quatre cents saisons étalées sur un siècle. (Page 182)
Je vous ai présenté d’autres livres de PEF, qu’il a écrit ou illustré :
- Le cauchemarre de Motordu.
- Zappe la guerre. 1914-1918 La première des guerres mondiales.
- La guerre des cloches, écrit par Gianni Rodari.
- Piccolo Saxo et Compagnie, écrit par Jean Broussolle.
Belles lectures et découvertes,
Blandine.
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