Tu me prends en photo. Marie-Francine HEBERT et Jean-Luc TRUDEL - 2011 (Dès 8 ans)
Publié le 21 Novembre 2015
Voici un album dur, tranchant, coup de poing, et qui vous arrache des larmes.
Je l’ai découvert il y a quelque temps, mais c’est aujourd’hui qu’il s’impose, à la fois naturellement mais aussi très/trop violemment.
Tu me prends en photo
Texte de Marie-Francine HEBERT
Illustrations de Jean-Luc TRUDEL
Éditions Les 400 Coups, collection « Carré blanc », 2011.
Dès 8 ans.
Notions abordés : guerre, enfants, innocence, réalité, journalisme.
Quelque part, entre ici et ailleurs, dans un paysage désolé, dévasté, aux couleurs marronnasses, violentes de terre, d’ombre et de sang mêlés, une fillette fait face à un photographe.
Un énième, qui pose des questions maintes fois entendues auxquelles elle ne répond plus qu’intérieurement.
Sur quatorze double-pages, qui commencent toutes par « Tu me prends en photo », elle raconte ce qu’est devenue sa vie, son errance, seule, sans famille, amis, foyer ni aucune aide. Aide qu’elle offre pourtant à un petit garçon inconnu, trouvé dans le fossé à côté de ses parents tombés morts.
Des réparties cinglantes, sans plus aucune innocence, ni émotions, si ce n’est quelques envies brisées suggérées par les illustrations.
Illustrations magnifiquement sans équivoque et cruelles de réalités. Des enfants esseulés dans un paysage apocalyptique mais dont les visages sourient, questionnent, se renfrognent ou jouent même.
Tu me prends en photo.
Pour quoi donc…
Je sais.
Tu vas la publier dans un journal
Pour que tout le monde la voie !
Sauf tes enfants, je gagerais.
Ils sont si jeunes.
Ils trouveraient ça trop triste.
Ils en auraient des cauchemars.
Le reste du monde, lui, qu’en pensera-t-il ?
Non, le cauchemar ne m’a pas glacé la langue.
Pas le cauchemar !
A la quinzième, la photo est enfin prise, l’image des maux immortalisée sans les mots, le photographe s’en retourne.
Il a fait son travail.
Cet album incarne une résonnance trop forte et écœurante à ce que nous traversons tous, de plus ou moins près, depuis quelques mois et plus encore une semaine, ici en France.
Mais il est surtout le reflet de ce qui se passe dans tant d’autres pays, ailleurs, si loin ou si proches, depuis si longtemps, sans que nous nous en préoccupions réellement jusqu’alors.
Il aura fallu que cela nous touche, à Paris, chez nous, dans notre mode de vie, dans nos mœurs, dans notre liberté, et qu’un grand nombre d’enfants soient désormais pupilles de la Nation pour qu’on se dise, qu’on se lève, qu’on pleure et qu’on pense et pour certains, à eux.
Eux, ces autres, ces enfants ballotés, négligés, utilisés, qui subissent de plein fouet les haines des adultes et pour qui la guerre est un quotidien. Eux, ces enfants dont on célébrait la Journée Mondiale de leurs Droits hier, 20 novembre.
J’ai sciemment choisi de citer un extrait pour mettre en lumière et opposition les enfants selon l'endroit où ils sont nés, chance géographique non recherchée, et l'importance qu'on leur donne: quantité négligeable ou (sur)protégés, et nos paradoxes et cynismes.
Je n'ai pas encore lu cet album avec mes enfants. Mon mari ne l'a pas apprécié. Trop dur, surtout pour des enfants... Et c'est bien là tout son propos!
La dédicace écrite par Marie-Francine Hebert nous les renvoie en pleine figure.
Aux enfants dont on prend la photo quand la guerre leur a déjà tout pris : Aux photographes sans lesquels le reste du monde ignorerait leur existence.
Existence révélée, relayée, parfois placardée mais non modifiée. Et cette existence peut être aussi le fruit de ceux qui la dénoncent.
Je suis horrifiée, accusée, acculée, mais ne suis-je pas un peu coupable aussi ?
Comment blâmer ceux qui peuvent, qui tentent de fuir ces atrocités, pour nous rejoindre et avoir l’illusion de la paix, de la liberté ? Comment imaginer le prix à payer, un enfant mort noyé pour, qu’enfin, on réagisse et que l’on se dise que, eux, peuvent être nous ?
Hier, sortait en librairie, le collectif dirigé par Daniel Pennac et illustré par Serge Bloch, Eux, c’est nous, en soutien aux réfugiés et dont les droits d’auteur et les bénéfices sont entièrement reversés à la Cimade. Vendu à 3 euros « seulement », je ne peux que vous encourager à vous le procurer et à le diffuser autour de vous.
C’est une première dans le monde de l’édition. À la suite des évènements de la rentrée 2015, les éditeurs jeunesse ont décidé de réaffirmer des valeurs fortes d’accueil et de solidarité à l’égard des réfugiés, et d’expliquer à leur public – les enfants, les jeunes lecteurs et les adultes qui les entourent – les fondements et les enjeux de cette actualité.
Et lisez cette interview de Jessie Magana, l’un des auteurs, réalisée par la librairie indépendante La Courte Echelle.
"Eux, c'est nous". Ce petit livre retentit avec force. Plus que jamais, ce vendredi. Des enfants, des femmes, des hommes fuient la guerre, la peur, la mort, la barbarie. La barbarie qui nous a plongés dans l'effroi il y a sept jours. Il nous faut ce livre, de toute urgence. Il nous faut le lire, le partager en famille, avec nos enfants, l'offrir, l'avoir à portée de main, en permanence. Le lire comme nous avons lu Matin brun et Indignez-vous ! Il nous faut tout simplement cette dose d'humanité.
Comme le poignant article de maman Baobab : Le ciel est bleu comme une enclume.
Belles lectures et découvertes,
Blandine.
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Maman Baobab: Le ciel est bleu comme une enclume # Attentats de Paris
Vendredi 13 novembre 2015. Je suis loin mais j'ai l'info très vite, je suis en train d'écrire ma chronique. Les télés ne disent rien. Le site du Monde bugue. J'ai l'impression qu'il a fallu un ...
http://maman-baobab.blogspot.fr/2015/11/le-ciel-est-bleu-comme-une-enclume.html
Cet album participe aux Challenge « Je Lis Aussi des Albums 2015 » de Sophie Hérisson et à celui d’Enna pour son « Petit Bac 2015 » et ma 6e ligne, catégorie Pronom personnel sujet.
118/100 (110)