Huit saisons et des poussières Texte de Séverine VIDAL et illustrations d’Anne MONTEL - 2015 (Dès 8 ans)

Publié le 25 Novembre 2015

Huit saisons et des poussières

Texte de Séverine VIDAL et illustrations d’Anne MONTEL

Editions Les Incorruptibles avec l’aimable autorisation des Éditions Les P’tits Bérets, octobre 2015

Dès 8 ans

Notions abordées : père, absence, silence/paroles, Camps, confiance.

Deux ans, un mois et seize jours soit huit saisons et des poussières, c’est long.

C’est le temps qu’Amos a passé sans son père, sans nouvelles, sans savoir, presque sans espoir.

Parce que au mauvais endroit au mauvais moment, parce qu’ennemi désigné, il a été emporté loin, très loin, avec tant d’autres… dans un endroit d’où peu s’en sont sortis, un endroit qui ne s’évoque pas.

Simon est revenu, certes, mais il n’est plus le même. Il ne parle pas, il a le regard vide, absent, sombre, triste…

Il arrive que le père se lève brusquement de table et sorte sur le perron de la maison. Une fois, il s’est posté devant le poêle, il est resté longtemps la tête baissée, puis il a retiré ses lunettes, s’est essuyé les yeux et avant de revenir se mettre à table. La mère a posé la main en haut de l’avant-bras de son mari.
Un geste de protection, comme si elle voulait cacher le numéro tatoué, comme si elle voulait guérir une blessure.
C’est ce soir-là qu’Amos a décidé de parler, de parler beaucoup, de parler trop. Pour effacer.

Pour effacer, mais aussi, surtout, pour combler.

Pour combler le silence, combler le temps, combler la colère de Sarah et combler le vide.

Amos raconte à son père ses journées, sans lui, ses journées d’école, à présent. Et ce qu’il ne peut mettre en mots, il le dessine.

C’est devenu un rituel, un besoin, un moment intime de partage et d’échanges et Amos sait que son père l’écoute.

Mais à l’école, les moqueries des enfants sont trop dures à entendre, à supporter. "Ton père, il est mort. Les Allemands l'ont tué. C'est pas le vrai qu'est rentré".

Amos s’enferme à son tour dans le silence et pour le garder, se réfugie dans le grand arbre au fond du jardin. C’est parce qu’il fait tomber par mégarde son cahier, celui qui contient les dessins de ses maux, que son père le trouve. Enfin il prononce son prénom, quelques mots.

Commence alors, aux creux des branches, une période de douce complicité, de retrouvailles, de (re)constructions entre un père et son fils.

Ils entendent la mère crier depuis la cuisine, Sarah près d’elle : « Vous êtes deux fous. Deux enfants fous ! »
Le rire du père part comme ça, d’un coup. Un rire immense, fort, inouï.
Amos, d’abord étonné, commence à rire aussi. Ils ne s’arrêtent plus, ça dure longtemps. Le père s’en tient les côtes, comme s’il riait au lieu de pleurer, comme s’il riait pour chaque coup reçu, pour chaque ami mort sous ses yeux, pour chaque seconde passée loin des siens.

Cet album est très émouvant. Il aborde avec délicatesse une période trouble de l’Histoire, sans que l’on sache exactement où la famille d’Amos réside.

Et qui fait étrangement écho à notre actualité.

On comprend dès le début les raisons de l’absence du père et de son mutisme. Mais le texte distille ça et là, quelques précisions, en mots ou sentiments, nous laissant imaginer la souffrance endurée qui perdure et se transmet, contagieuse et insidieuse. Sarah la réprouve tandis qu’Amos l’absorbe. Il ne sait plus comment exister dans ce monde qui rejette son père, donc lui.

Cependant, je trouve que le texte comporte un aspect froid, car le narrateur n’est "que" spectateur. Les parents sont appelés : le père, la mère, alors qu’avec Amos, il est très empathique. Le prénom du père, Simon, est dévoilé assez tard. La mère n’est pas nommée et l’on devine sa force de caractère face aux évènements et même sentiments. Elle est attentive mais dure. Cela contraste avec la douceur qui s’échappe de la relation, d’abord muette, entre le père et son fils.

Les illustrations, fines et détaillées, aux couleurs passées, imagent très bien toute l’ambivalence des sentiments des différents personnages et la quête d’identité de l’enfant, symbolisée par l’arbre et son feuillage.

Que l'on retrouve dans la couverture, où le vert domine, le regard de l’enfant, comme des branches, tournés vers la maison.

Séverine Vidal conclue son texte, très sobrement, par un extrait du poème Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants, de Charlotte Delbo.

« … Je vous en supplie
Faites quelque chose
Apprenez un pas
Une danse
Quelque chose qui vous justifie
Qui vous donne le droit
D’être habillés de votre peau,
De votre poil
Apprenez à marcher et à rire
Parce que ce serait trop bête
A la fin
Que tant soient morts
Et que vous viviez
Sans rien faire de votre vie… »

Une tonalité universelle, sans espace-temps, mais un brin culpabilisatrice.

Cela me fait penser à un film, vu il y a longtemps mais dont je n’arrive pas à me souvenir du titre (pour l’instant).

C’est avec cet album au sujet difficile, mais nécessaire, celui de la Shoah et de ses conséquences familiales et individuelles, que je retrouve Laurette en lecture croisée.

Mais l’album a une portée plus universelle encore, se faisant se confondre l’Histoire, avec un grand H, et la petite, nos petites, dans un espace-temps non défini, dans un éternel recommencement, comme si ses leçons étaient vaines...

Il concourt pour le Prix des Incorruptibles 2015-2016, pour la sélectionCM2-6e, où nous participons en famille cette année, pour la première fois.

Voici donc l’avis de ma fille, 11 ans :

J’ai beaucoup aimé cet album pour ses illustrations, très représentatives, et son thème, difficile, mais bien abordé par des mots choisis.

Le père d’Amos, Simon, revient d’un camp, mais il ne parle plus. Il sculpte et son fils lui raconte ses journées.

Un jour Amos va dans l’arbre du jardin car ses amis se sont moqués de son père et donc de lui. Simon le retrouve et le rejoint.

Commence alors une autre vie dans l’arbre grâce à laquelle son père lui racontera ce qu’il a vécu.

Je recommande cet album, d’abord pour son histoire, mais aussi pour l’importance de communiquer.

Ce titre participe au Challenge dédié aux Incos de Bouma ainsi qu’à celui de Sophie « Je Lis Aussi des Albums 2015 ».

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119/100 (110)

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L
Ben merde alors, suis bluffée par les mots de ta fille, ... tu peux la féliciter de ma part, elle a mis en lumière l'aspect de l'importance de la communication que je n'ai même pas pensé à évoquer. Elle ira loin cette petite ;-) Quant à toi ... ton article est superbe, tu es rentrée plus dans l'analyse que moi ... je n'ai pas pu, trop émue par cet album ! Mais j'ai par contre complètement oublié le poème qui pourtant m'avait beaucoup touché aussi ... je le rajouterais demain, ce serait dommage de s'en priver ... je comprends que tu trouve le ton "culpabilisant", mais c'est tout à fait ce que je ressens, particulièrement en ce moment ... je me sens souvent coupable, c'est le mot, coupable et impuissante de ne pas pouvoir faire davantage, de voir ce monde qui ne tire pas les leçons, qui semble si prêt de sacrifier toujours et encore tant d'humains, et pour quoi ????? Mais je sais que chacun d'entre nous doit porter une part de responsabilité et que si peu s'en préoccupe ...
Répondre
B
Merci beaucoup pour elle!<br /> Je t'ai mis le même commentaire, en miroir, sur l'analyse! Nos deux articles se complètent très bien, comme toujours :-P<br /> Mon émotion a été un peu freinée par le côté froid de la narration.<br /> Ce ton culpabilisant, je ne le ressens pas tant à mon encontre, je n'ai pas survécu alors que d'autres sont morts... mais l'impuissance... et cet éternel recommencement, en pire...