Poèmes. Emily Jane BRONTË.

Publié le 5 Octobre 2015

Poèmes

Emily Jane BRONTË

Traduction de Pierre LEYRIS.

Edition bilingue.

Éditions Gallimard, mai 1999.

237 pages.

Dis-moi, dis, souriante enfant

 

Dis-moi, dis, souriante enfant,

Qu’est-ce, pour toi, que le passé ?

« Un soir d’automne, doux et clément,

Où le vent soupire, endeuillé. »

 

Qu’est-ce, pour toi, que le présent ?

Un rameau vert chargé de fleurs

Où l’oiselet bande ses forces

Pour s’envoler dans les hauteurs. »

 

Et l’avenir, enfant bénie ?

« La mer sous un soleil sans voiles,

La mer puissante, éblouissante

Qui, là-bas, rejoint l’infini. »

 

Juillet 1836

Page 25

La vie et les œuvres de la fratrie Brontë sont éminemment connues, même si deux d’entre elles prédominent. Jane Eyre de Charlotte et Les Hauts de Hurlevent d’Emily, roman qui a ma préférence.

Et pourtant, les trois sœurs, avec Anne et leur frère Patrick Branwell, ont énormément écrit. Formant une société close et renfermée sur elle-même, confinée par une austère religion, mais éprise de liberté dans les limites de la lande environnante, leurs récits offrent paradoxalement une très grande ouverture sur le monde, réel et imaginaire avec les deux royaumes d’Angria et de Gondal, et témoignent d’une grande perspicacité, voire connaissance, des êtres.

Parmi tous leurs écrits, se trouvent de nombreux poèmes, rédigés depuis leur plus jeune âge et jusqu’à leur mort, précoce, à tous.

 

Je ne pleurerai pas de te voir me quitter.

 

Je ne pleurerai pas de te voir me quitter

Il n’est rien d’aimable ici-bas,

Et doublement m’affligera ce sombre monde

Tant que ton cœur y pâtira.

 

Je ne pleurerai pas : la splendeur de l’été

Nécessairement s’enténèbre ;

L’histoire la plus heureuse, quand on la suit,

Se termine avec le tombeau !

 

Et je suis excédée de l’angoisse qu’apporte

Le long cortège des hivers,

Outrée de voir l’esprit languie au long des ans

Dans le plus morne désespoir.

 

Si donc un pleur m’échappe à l’heure de ta mort,

Sache-le, il me marquera

Qu’un soupir de mon âme impatiente de fuir

Et d’être en repos avec toi.

 

4 mai 1840.

Page 95.

 

Dans ce recueil-ci, c’est Charlotte qui a rassemblé de manière aléatoire une partie de ceux de sa sœur Emily, disparue à 29 ans.

Ils nous sont présentés en anglais puis en français, chacun en miroir.

Compilation hétéroclite certes mais qui dénote une maturité, une exigence par rapport à elle-même, son amour de la lande et d’un être disparu, le temps qui s’étire et son attirance pour la Mort.

Le sommeil vient sans nulle joie.

 

Le sommeil vient sans nulle joie ;

Jamais ne meurt le souvenir ;

Mon âme vit dans la détresse

Et les soupirs.

 

Le sommeil vient sans nulle paix ;

Les ombres des morts que jamais

Mes yeux ouverts ne peuvent voir

Hantent ma couche.

 

Le sommeil vient sans nulle espoir ;

Son règne les fait apparaître,

Et leur dolent cortège aggrave

L’ombre funèbre.

 

Le sommeil vient sans nul regain

De force neuve et de courage :

J’affronte une mer plus sauvage,

Un flot plus noir.

 

Le sommeil vient sans nul ami

Qui m’apaise, m’aide à souffrir ;

Dans tous les yeux, rien que mépris ;

Je désespère.

 

Le sommeil vient sans nul désir

Dont réarmer mon cœur meurtri –

Sinon du sommeil de la Mort

Et son oubli.

 

Novembre 1837.

Pages 41-43.

Emily Brontë (1818-1848)

Tout ceci atteindra son apogée avec Les Hauts de Hurlevent.

« Wuthering Heights » éclaire ici les poèmes, plus ambigus : de même qu’il y a pour Emily une pureté et une vérité de l’enfance face aux raisons dérisoires des adultes, il y a pour elle une pureté et comme une nécessité du mal face aux interdits du bien. »

Page 9. Avant-propos écrit par le traducteur.

L’avant-propos nous éclaire sur cette fratrie si particulière, sur l’écriture de ces poèmes, d’abord concis puis plus longs, et s’accompagne de quelques témoignages contemporains sur Emily.

Emily avait alors la silhouette souple et gracieuse. C'était la plus grande, après son père. Ses cheveux, naturellement aussi beaux que ceux de Charlotte, étaient frisés en boucles serrées, sans élégance. Elle était pâle de teint. Elles avaient de très beaux yeux bleus, empreints de bonté, limpides, ardents, mais qui ne vous regardaient pas très souvent: elle était trop réservée.

Page 11. (D'une lettre d'Ellen Nussey, camarade d'école de Charlotte, à Clément Shorter.)

Les deux sœurs restaient accrochées l'une à l'autre et se tenaient à l'écart de la bande joyeuse, turbulente et fertile en amitiés des filles belges qui, de leur côté, trouvaient les nouvelles élèves anglaises farouches, timides, et dotées de bizarres idées excentriques et insulaires sur la façon de s'habiller; car Emily s'était éprise de la mode, déjà laide et absurde lorsqu'elle faisait fureur, des manches à gigot, et persistait à en porter alors qu'elles étaient tombées depuis longtemps en désuétude. Avec cela, ses jupes n'avaient pas une courbe no une ondulation, mais pendaient, longues et droites, sur sa silhouette efflanquées.

Page 13. (Mrs Gaskell, dans La Vie de Charlotte Brontë.)

Le spectacle qu’offrent ces collines n’est pas grandiose ni romantique, à peine s’il est frappant. Ce sont de longues landes basses, assombries de bruyères et enfermées en de petits vallons où un ruisseau baigne ça et là une frange de taillis rabougris. Des moulins et des maisonnettes éparses chassent tout caractère romanesque de ces vallons ; c’est seulement plus haut, au cœur des crêts de la lande, que l’Imagination peut trouver où poser le pied ; encore doit-elle être, pour cela, un corbeau ami de la solitude, non une tendre colombe.

(…)

Ma sœur Emily chérissait la lande. Pour elle, des fleurs plus éclatantes que la rose s’épanouissaient au plus noir de la lande ; d’un creux maussade ouvert au flanc livide de la colline, son esprit devait faire uen Eden. Elle trouvait dans la solitude désolée maintes chères délices ; et ce n’était pas la moindre, mais bien la plus aimée d’entre elles que la liberté.

Page 18. (Charlotte Brontë, préface à Selections from poems by Ellis Bell)

Paysage de moors du Yorkshire, telles que les aimait Emily Brontë.  https://fr.wikipedia.org/wiki/Emily_Bront%C3%AB

Paysage de moors du Yorkshire, telles que les aimait Emily Brontë. https://fr.wikipedia.org/wiki/Emily_Bront%C3%AB

C’est avec ce titre que je commence ma Randonnée d’Halloween pour le Challenge du même nom de Lou & Hilde.

 

Étape 1 : Le 5 octobre 2015

Il est minuit : en route ! Un chemin sinistre et perdu dans la lande vous attend. A moins que vous ne décidiez de vous aventurer dans la Forêt des Damnés, la forêt ou la lande, à vous de choisir!

La lande battue par les vents, où ne point que la bruyère, si fugacement fleurie, mais paradoxalement si synonyme de vie pour Emily Brontë. Dépérissant loin d’elle et ne revivant qu’à sa vue, elle n’eut de cesse de la parcourir et de la chérir tout au long de sa courte vie.

Ce recueil participe aussi au Challenge « Petit Bac 2015 » d’Enna pour ma sixième ligne, catégorie Titre en un seul mot.

Belles lectures et découvertes,

Blandine.

Wutherings Heights parus en BD aux Éditions Delcourt, puis publiés en deux temps dans le magazine Je Bouquine de Bayard d'avril et mai 2011.

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A
Ils sont magnifiques et j'aime énormément "Wuthering Heights"; ces œuvres sont, en effet, très complémentaires ^^ <br /> Ah les landes anglaises me font rêver aussi, lol...
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B
;-)
H
J'ai apprécié ton étape à travers la lande, avec la lecture de ces poèmes enténébrés. "Les Hauts de Hurlevent" m'a laissé un bon souvenir, celui d'une lecture m'ayant fait frissonner dans mon plaid.
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B
:-)
L
Tristement romantique ... N'aurais-tu pas un peu d'Emily Brontë dans les veines ? "Et je suis excédée de l’angoisse qu’apporte le long cortège des hivers..." ??? Merci pour cette découverte, je ne crois pas avoir jamais lu ses poèmes. Bizz
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B
Certainement ;-)<br /> Et je mesure combien elle me "parle" maintenant, plus qu'avant. Verlaine reste tout de même en "tête" je crois...<br /> C'est le moment de les lire peut-être?<br /> Bizzz
C
De tres beaux poèmes qui eclairent subtilement cette première étape de la randonnée d'Halloween. A se reciter le soir au coin du feu :)
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B
Tout à fait ;-)
N
Jane Eyre est l'un des romans qui m'a le plus touchée lorsque je l'ai découvert au collège.<br /> Les poèmes d'Emily sont doux et mélancoliques effectivement, un peu tristes aussi tout de même !<br /> Ils me font penser à ceux de Victor Hugo (que j'aime énormément) ou de Lamartine ^^<br /> Belle journée et merci pour la découverte !
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B
Merci :-)<br /> Nous avons un autre point commun avec Victor Hugo! <br /> Belle journée et semaine pour vous aussi :-)