Le Loup de la 135e. Rébecca DAUTREMER. (Dès 5 ans)
Publié le 3 Octobre 2015
Nous voici déjà rendus au neuvième RDV du Challenge « Je Lis Aussi des Albums 2015 » de Sophie, et celui-ci se centre autour d’un personnage bien connu de la littérature jeunesse tant le nombre d’albums qui lui sont consacrés est grand. Que dis-je ?! C’est une star, une célébrité !
Peut-être avez-vous déjà deviné de qui il s’agit ?!
Eh oui, du Loup !
Et pour ce RDV, je m’associe à nouveau avec Laurette pour vous en parler, autour de notre conte favori, ici détourné pour notre plus grand plaisir, et le vôtre, je l’espère !
Le Loup de la 135e
Texte de Rebecca DAUTREMER et illustrations d’Arthur LEBOEUF.
Editions Seuil Jeunesse, collection « Seuil’issime », mars 2014.
Dès 5 ans.
Thèmes : conte et détournement, loup, mémoire, amitié, ville, Etats-Unis, New-York, vieillesse.
Sur les marches d’un perron, deux petits vieux se retrouvent.
L’un est aussi grand, maigre et allongé que l’autre est petit et rond avec sa grande coupe afro.
Le premier observe, silencieux, les passants. A la vue d’un gamin tout de rouge vêtu, l’autre se remémore leur première rencontre en un long monologue.
C’était du temps où j’habitais là-haut, pas loin de chez toi, dans ce quartier pas trop rupin. Des dollars, y en avait pas trop, mais pas moins que chez vous autres. Moi, j’étais pas malheureux pour autant : rien dans les poches, mais rien dans la cervelle non plus ! J’avais pas de soucis, quoi. Je passais mes journées à rêver…
Ma mère, la pauvre, du temps pour rêver, elle en avait pas…
Ainsi part dans la forêt rouge brique et gris béton du quartier noir de Harlem, l’enfant insouciant, gros paquet sous le bras, chez le vieux Johnson, à l’autre bout de la ville, au pont de Brooklyn.
New-York, ville de tous les possibles et de tous les hasards, est aussi foisonnante de multiples tentations. Surtout lorsqu’on est un petit black qui sort des quartiers miséreux.
Autour de la carte de collection de son joueur de base-ball favori, Babe Ruth, il fait une rencontre déterminante.
Ah ! mais je ne le regrette pas, tu sais ! Parce que si j’avais pas croisé ton chemin, peut-être bien que tu serais pas ici à m’écouter radoter aujourd’hui !
Enfin… à l’époque, tu avais su m’embrouiller avec tes belles paroles !
Et le p’tit s’fait tellement embobiner par le filou qu’il lui donne l’adresse du vieux Johnson. La carte est à deux doigts d’être gagnée mais il faut encore faire la course contre lui, Chili Vince, célébrité locale.
Défi accepté ! L’un file sous terre tandis que l’autre profite des lumières, des couleurs et du monde. Belles voitures brillantes, chromes étincelants, Brodway moderne et attractive, le font traîner, admirer, rêver, et s’écarquiller ses yeux enfantins, loin d’un quotidien bien plus terne.
Mais à l’arrivée, nuit tombée et sans paquet, le garçonnet se fait sermonner.
Quoiqu’il ait pu se passer ce jour-là, le loup n’a pas volé (ou mangé).
Il a trouvé plus fort que lui, mais il ne ressort pas bredouille pour autant. Il a gagné la course, mais a surtout trouvé un compère, assurément plus bavard, mais de bonne compagnie ! Puisque des décennies plus tard, les voilà toujours tous deux marchant encore dans le noir.
Quelle adaptation originale et attractive du Petit Chaperon Rouge, toute en miroir !
Les rôles sont ici inversés, point de fillette naïve ou de grand-mère malade, mais un jeune garçon flâneur, un grand-père vif. Cependant, certains éléments demeurent : une casquette de base-ball rouge pour chaperon, une ville dense telle un bois, recelant divers dangers, et tentations, un loup roublard, un enfant jeune et attiré par le beau (parleur, bel aspect des choses), un double parcours, un déguisement.
On peut d’ailleurs deviner le chemin emprunté par le petit grâce au plan de la ville dessiné au début et à la fin de l’album.
Transposée dans la mégalopole américaine des années 50, l’histoire nous immerge dans une époque, à la fois dure mais emplie de rêves. Les illustrations pleine page et les grandes planches dénuées de textes, mais pas de mots (graffitis, enseignes, panneaux) rendent cette dualité très palpable, non sans petits détails comiques et éléments de culture populaire.
Portrait de la société d’alors, ville hétéroclite et bigarrée aux quartiers noirs ou blancs, pauvreté contre richesse, magouilles, larcins et insécurité contre modernité réconfortante et consommation active, une boisson et une carte de collection du joueur de base-ball George Herman, dit « Babe Ruth », comme un fil rouge et unificateur. Le rouge, couleur dominante de l’album dans toutes ses nuances, rend la balade agréable et même intrigante.
Et un jeu de regards de tous les personnages, même anodins, fait progresser le récit.
Ce détournement délivre une fin heureuse, mais non dénuée de morale, comme un petit clin d’œil à Perrault qui aimait tant conclure ainsi.
Les loups sont toujours là, rôdant, changeant de formes, de méthodes et d’envies mais il faut apprendre à s’en méfier. Car l’issue aurait pu être bien plus mauvaise, voire triste pour l’enfant (et son grand-père) qui s’en laisse conter et miroiter, par un inconnu même s’il est réputé dans le quartier. In fine, ce loup, sournois a trouvé plus fort que lui (un vieux loup plus rusé ?) et ne semble pas si mauvais.
Rebecca Dautremer qui nous surprend déjà en étant l’auteure et non l’illustratrice, introduit une autre particularité dans son histoire : le texte est écrit comme il est parlé. Son oralité est très forte et l’on s’imagine sans peine, le jeune devenu vieux se remémorer à voix haute ses souvenirs, bougeant les mains et les yeux pour accompagner ses propos. Son compagnon semble placide, presque absent. Les ravages de la vieillesse ?
Un détournement très réussi avec plusieurs degrés de lectures et de superbes illustrations auquel le grand format de l’album (que je n’ai pas !) doit contribuer.
Retrouvez l’article de Laurette ici !
Ce n’est pas la première fois que l’on trouve un petit enfant, portant chaperon ou pas, dans l’immensité de la ville :
Ce titre participe donc au challenge de Sophie, au « Challenge Halloween » de Lou & Hilde puisque les deux se rejoignent tout au long de ce mois d’octobre.
RDV tous les samedis en albums et d’autres jours autour de sorcières (surtout pour ma part), monstres, créatures diverses, mais aussi cuisine, déco et bricolages, musiques et films.
Et aussi à celui d’Enna pour son « Petit Bac 2015 » pour ma huitième ligne, catégorie Animal.
91/100 (110)
Belles lectures et découvertes,
Blandine