Au bout du voyage. Meg ROSOFF (Dès 13 ans)
Publié le 30 Août 2015
Au bout du voyage.
Meg ROSOFF.
Traduction de Valérie LE PLOUHINEC.
Editions Albin Michel Jeunesse, collection « Wiz », août 2014. (Angleterre, 2013, sous le titre Picture me gone.)
268 pages.
Dès 13 ans.
Thèmes abordés : amitié, famille, quête d’identité, road-trip.
La première Mila était une chienne. Un terrier Bedlington. C’est utile de savoir ce genre de choses. Tenir mon prénom d’une chienne ne me dérange pas du tout.
D’ailleurs, j’imagine parfaitement la scène. Mila, c’est joli, a dû dire mon père. Oubliant où il avait entendu ce nom. Alors, ma mère a du se souvenir de la chienne et lui demander s’il était tout à fait sûr, et comme il ne répondait pas, dire bon d’accord, va pour Mila. Et puis, en me regardant, penser Mila, ma Mila.
J’avoue que lorsque j’ai lu ces premières lignes, je me suis demandée ce que pourrait bien être la suite de cette histoire. Mais j’ai bien vite saisi que ces mots servaient à poser le caractère des personnages cités.
De la narratrice d’abord, Mila donc, 12 ans puis de ses parents, qu’elle appelle par leur prénom. Gil, son père, traducteur de métier, et du genre étourdi, et Marieka, sa mère, violoniste et pragmatique.
Mila a un don inné, un sens aigu des choses: celui de décrypter très vite le monde, de cerner les vrais des faux sentiments, de remarquer et d’analyser d’infimes détails, invisibles pour la plupart des gens.
Marieka observe le monde d’une manière qu’elle qualifie de scandinave, ce qui signifie « sans trop en rajouter ». Moi, j’enregistre la moindre émotion, la moindre relation, la moindre allusion. Si quelqu’un est en colère, triste ou déçu, je le vois comme une enseigne au néon. Cela ne s’explique pas, c’est comme ça. Pendant longtemps, j’ai cru que tout le monde était pareil. Le pauvre homme, disais-je, et Marieka n’avait pas l’air de comprendre. Regarde ! ajoutais-je alors. Regarde comment il se tient, comme il a la bouche tordue, comment ses yeux se déplacent dans la pièce. Regarde ses épaules, le tombé de sa veste, sa manière de se cramponner à son livre. Regarde ses chaussures. Comme il se passe la langue sur les lèvres.
Mila et ses parents vivent en Angleterre, à Londres et vont rendre visite durant les vacances de Pâques au meilleur ami de Gil, Matthew. Il vit aux Etats-Unis, dans le nord de l’état de New-York et est marié à Suzanne et ont un fils Gabriel, de 10 mois.
Mais Matthew est parti, laissant tout en plan, sans mot dire, comme s’il fuyait, mais se doutant certainement que Gil chercherait à le retrouver. A l’inverse de Suzanne, peu affectée par ce départ et qui leur indique un endroit où il aurait pu se rendre : un chalet encore plus au nord de l’état.
Gil, Mila et Honey, la chienne de Matthew, prennent la route ensemble. Et commence alors une véritable quête, à la fois troublante et révélatrice.
Mila et son père discutent beaucoup. Elle en apprend sur Matthew, le terrible accident qui a fracturé sa vie, ses mensonges, mais aussi ses faiblesses d’homme, ce qui la questionne sur ses parents, leur relation et les amitiés, leurs évolutions et changements.
En parallèle, elle nous parle de sa meilleure (et presque seule) amie Catlin, dite Cat. Elle est son opposée, excentrique, marginale, mais qui cherche à se fondre dans la masse, à l’inverse de Mila, solitaire.
Mila est très mature, mais de par son âge, douze ans, manque d’expérience de vie. Elle a les faits bruts entre les mains mais ne comprend pas les raisons des actes. La dimension de l’affect lui échappe et ce n’est que par suppositions ou révélations qu’elle peut reconstituer le puzzle des évènements et des êtres.
Elle s’adresse à nous lecteurs, comme dans un journal. Il n’y a pas de ponctuation ni de signes lorsque les dialogues commencent ou finissent, ce qui est un peu déroutant. Ils sont intégrés au texte comme les descriptions ou éléments de narration.
Ce roman est un voyage initiatique et intérieur pour chacun des protagonistes, rendu difficile par les éléments. Outre le fait que Gil soit un piètre conducteur, la météo est très changeante. Et bien que nous soyons en avril, la neige se met à tomber abondamment, ensevelissant tout, ralentissant la quête mais favorisant les échanges.
Le paysage que nous traversons est d’un blanc éblouissant, et tous les angles sont adoucis par de grandes coulées de neige. Des glaçons sont apparus comme par magie, sous forme de stalactites géantes et dégoulinantes accrochées au bord des toits et dégoulinantes accrochées au bord des toits et des gouttières.
(…)
Nous sommes sortis de la ville et nous roulons dans un paysage vallonné, entièrement blanc à perte de vue. Les clôtures et les murets de pierre sont devenus de doux monticules, et les bâtiments de ferme portent de hauts chapeaux avachis. Tout a l’air propre et neuf, et j’aime ce monde de perfection, même si je sais que toutes sortes de fils barbelés et de choses mortes se tapissent en dessous. La route est noire et dégagée, ce qui nous change de l’Angleterre, où l’on attendrait juste qu’elle verglace puis qu’elle finisse par fondre, tout en n’allant pas au travail et en se plaignant de l’incompétence des services publics.
Au bout du voyage est un roman que j’ai beaucoup apprécié, bien qu’il n’y ait pas vraiment de fin. Mila ressort grandie, moins interrogative sur l’avenir et l’Homme mais Matthew rentrera-t-il, pourra-t-il se reconstruire ?
Une lecture qui n'est pas sans me rappeler Léviathan de Paul Auster.
Quête d'identités, fuite du temps et des gens... Est on toujours le même face à soi, face aux autres, alors que le temps a passé, les évènements nous forgent-ils et changent-ils notre « Moi » intérieur, pervertissant notre innocence ou nos idéaux de jeunesse ?
Et les liens qui nous unissent les uns aux autres. Notre histoire traîne dans son sillage une multitude d’autres, plus ou moins imbriquées, qui participent à ce que nous sommes.
Au bout du voyage est un roman aux personnages attachants, aux thématiques difficiles, et qui nous offre un road-trip tant géographique qu’émotionnel.
Belles lectures et découvertes,
Blandine.