Bacha Posh. Charlotte ERLIH (Dès 14 ans)
Publié le 7 Juin 2015
Bacha Posh
Charlotte ERLIH
Éditions Les Incorruptibles avec l’aimable autorisation des éditions Actes Sud Junior, octobre 2014. (Première publication en 2013)
183 pages
Dès 14 ans
Thèmes : Afghanistan, la condition et l’éducation des filles, famille, amitié, sport, interdits
Bacha Posh, un titre énigmatique pour une cruelle réalité… Une réalité d’aujourd’hui mais qui nous semble si lointaine…
Cela se passe en Afghanistan. Un pays dont la première chose qui nous vient à l’esprit quand on y songe est qu’il y a là-bas une guerre qui dure et perdure, et la seconde, que la condition des femmes y est déplorable…
En dari, langue dérivée du persan, Bacha Posh signifie « habillée comme un garçon ». Cette coutume afghane, mais aussi pakistanaise, est sue tout en étant cachée, dictatures du silence et de l’honneur obliges. Tout le monde fait comme si, car cela les arrange et les autorités religieuses le tolèrent généralement pour les jeunes filles pré pubères.
Les femmes ne sont pas libres, elles sont asservies aux hommes, sans qui elles ne peuvent rien faire, même dissimulées derrière leur burqa. Elles ne peuvent ni étudier ni pratiquer un sport, sortir seules, même pour aller faire les courses, sans être accompagnées d’un garçon ou homme, ne peuvent participer à une discussion avec des hommes ni même les regarder… et ce jusque dans le secret des foyers. Les femmes se doivent de vivre cachées, cloîtrées, dans la maison de leur père, puis de celle de leur époux, bien évidement imposé. Les femmes se doivent de donner naissance à des garçons, sans quoi, la honte repose sur la famille.
Alors, dans ces familles, lorsqu’au 4-5e enfant, il n’y a pas de garçon, une des petites filles est choisie et travestie. Pour effacer la honte, pour pouvoir aussi décharger le seul homme (le père donc) de ce fardeau. Poupées et robes remisées, cheveux longs coupés ou dissimulés, elle devient un garçon et son corps doit s’y plier. On ne lui demande pas son avis. Mais ce qui était violent devient agréable, nécessaire, salvateur. La fille n’a plus à se cacher, s’excuser d’être ce qu’elle est, et peut aller et faire ce que bon lui semble, à la maison comme à l’extérieur… Courir, rire, discuter, aucune corvée ne lui est imposée.
Mais du jour où le sang a coulé, cette vie est finie, sans préavis, les amis, les liens, les études, le sport, plus rien n’existe, le garçon qu’elles étaient est mort, disparu et elles doivent reprendre leur condition de filles, de mariables, se taire, obtempérer et procréer.
Pour nous décrire tout cela, et plus encore, Charlotte Erlih nous emmène à Kaboul, à la rencontre de Farrukh (re)devenu Farrukhzad, lorsqu’à 14 ans, ses règles sont apparues.
[Elle] M’annonce que je suis désormais « impure ». Pourquoi ? Qu’ai-je fait ? Ce matin au réveil, pur, et quelques heures après, impure ?
Elle me dit que j’ai de la chance. « De la chance ?! » Ce sont les premiers mots que je réussis à articuler. « Parfaitement ! » insiste-t-elle. Je devrais rendre grâce que ça me soit arrivé si tard. A 15 ans révolus. (…) Maintenant, tu ne peux plus être un garçon. – Mais je UIS un arçon ! » Elle nie vigoureusement : « Tu es COMME un garçon. C’est très différent.
(…) Je bafouille que je vais voir papa. ‘Tu ne peux pas y aller comme ça ! (…) A cause de ce sang, je suis relégué au statut de mes sœurs : plus le droit de réclamer un tête à tête avec lui. Plus le droit de parler avec lui sur un pied d’égalité. Plus le droit de soutenir son regard.
De sa passion pour l’aviron, le club qu’il a réussi à monter, son amitié avec Sohrab, son ambition, leur ambition, d’aller au JO, sa complicité avec son père Pamir, l’apprentissage de la lecture et du français. A tout cela, elle doit dire adieu sans explications, sans au revoir, redevenir une fille, et donc plus rien.
Ailleurs, les filles comptent, peuvent vivre, faire ce qu’elles aiment, du sport, de l’aviron et même dans des équipes mixtes. Des filles comme Maude, la fille de l’ami français de son père qui leur a offert un bateau et qui compte les aider à se perfectionner.
La fille avance droit sur eux. Afin d’éviter qu’elle en s’approche trop, Farrukh fait quelques pas vers elle.
-Tu es Farrukh ? demande-t-elle.
Farrukh acquiesce, stupéfié. La fille lui tend alors la main :
-Maude. Ravie de te rencontrer !
Farrukh fixe cette main dressée vers lui – cette main fine, mais énergique et décidée, dont il repère les ongles rongés et les peaux arrachées. Que faire ? La serrer et déroger aux usages, ou ne pas la serrer et vexer l’étrangère, à qui ils doivent tant ? Farrukh se serait enfoncé dans sa perplexité si Maude, comprenant son impair, n’avait rabattu sa main.
Maude qui va les emmener en compétition en Iran.
Sa mère n’est d’aucune aide, et pire, soutient, encourage cela. Son père l’ignore (à regret ?) et la jalousie de sa plus grande sœur Marjan, éclate avec grand fracas, colère et mépris.
Sa petite sœur, Amina, devient dans la foulée Sifat, son cousin. Et la vie continue…
Non ! Elle s’écroule.
Farrukhzad se bat avec ses maigres moyens, grève de la faim, une bouche de moins à nourrir, mais lorsqu’un rien disparaît, cela ne se voit pas. Alors, elle change de stratégie… Y parvient un moment, y voit de l’espoir, familial, amical et peut-être davantage… Mais elle n’est qu’une fille…
Comment accepter ce changement si brusque de soi-même, de son identité, de son rapport aux autres, et surtout de l'attitude des parents qui prennent et reprennent sans se soucier des conséquences. Et des mères, victimes puis complices puis bourreaux. Comment accepter de devenir soumise et de ne plus pouvoir faire quand on a goûté à la liberté, aux possibles?
Une fin laissée ouverte… Au lecteur d’imaginer, d’espérer…
Ça veut dire que dissimiler son identité permet d’être davantage soi-même que de se montrer sous son vrai jour ? Que parfois, le mensonge peut engendrer la vérité ?
Le roman cite et s’appuie sur le livre de Romain Gary, La promesse de l’aube, le pseudonyme de Roman Kacew, qui écrivait aussi sous le nom d’Emile AJAR.
Quantités de thématiques sont abordées, elles se confrontent, s'opposent ou s'assemblent...
Le poids du secret, le mensonge permanent, la peur de la délation et de la police.
Qu’une fille soit seule dans la rue n’est pas toléré mais que deux garçons se prennent dans les bras, se tiennent les mains à l’extérieur, se retrouvent sans cesse, cela ne semble pas choquer. Derrière la figure de la bacha posh se trouve aussi la question de l’attirance voire de l’homosexualité masculine. Sohrab est attiré non pas Farrukzhad mais par Farrukh à qui il offre des petits cadeaux ou est très sensible. Mais il a un profond mépris pour les filles, qu’il ne regarde pas (Marjan en est si blessée), ou insulte.
En toile de fond, Charlotte Arlih nous parle du sport, de l’aviron. Elle nous le détaille, nous l’explique tout en analysant le rapport au corps. Le corps de Farrukzhad, dissimulé, caché, brimé.
Dans cette salle de bains étrangère et impersonnelle, c’est tout son corps qui s’offre à Farrukh. Sans triche ni pudeur. Maigre squelette. Clavicules saillantes, sternum creusé, épaules voûtées pour dissimuler des avortons de seins, côtes apparentes. Puis les os pointus du bassin, la zone désormais sombre du bas-ventre, et les quilles qui lui servent de jambes avec leurs genoux anguleux.
Farrukh détourne son regard. Horrifié par ce corps annihilé, réduit au minimum pour porter sa tête qui, en comparaison, paraît démesurée. Cadavre vivant. Corps bâtard. Trafiqué pour se faire oublier. Embryon de femme, posture d’homme. Corps laid. Corps mensonge.
Et celui des autres, bien sûr…
Un roman qui prend au ventre, qui révolte, qui dénonce...
Ce livre n’est pas seulement intéressant ou révoltant, il est nécessaire! Nécessaire que l’on sache et que l’on puisse œuvrer pour une meilleure condition des femmes en Afghanistan et partout dans le monde. Tous les adolescents devraient lire ce livre, pour se rendre compte de la chance d’être né ici et non là-bas, de nos libertés et possibles.
Avant cette lecture, je ne connaissais pas du tout, ni même ne pouvais soupçonner, l’existence des Bacha Posh. Alors j’ai voulu en savoir plus. Pour aller plus loin, pour comprendre, espérer peut-être aussi. Il existe un site consacré aux Bacha Posh avec témoignages, reportages, articles, livres. C’est en anglais alors je n’ai pas tout compris.
Bacha posh, par extension, ce sont toutes les femmes qui luttent dans un monde d’hommes. Vous pouvez aussi déposez une/votre histoire : Do you have a story to tell about being a woman in a man’s world?
Certaines choses changent, les mentalités se modifient, surtout en ville, mais l'équilibre est fragile...
Ce livre concourait pour le Prix des Incorruptibles 2014-2015, sélection 5e/4e. S’il n’a pas été désigné lauréat par les ados, il l’a été par le vote, informel, des adultes.
Je vous ai présenté d’autres livres sélectionnés pour ce Prix, pour cette année ou non, et d’autres catégories d’âge.
Belles lectures et découvertes !
Blandine.
Si le sujet vous intéresse, d'autres livres ont été écrits, notamment ceux-ci, pour la jeunesse:
- Parvana. Une enfance en Afghanistan. Déborah ELLIS. Le Livre de Poche Jeunesse, février 2008. (2001 pour la première édition)
- Le voyage de Parvana. Déborah ELLIS. Le Livre de Poche Jeunesse, collection "Histoires de vies", avril 2004.
- Je m'appelle Parvana. 10 après Une enfance en Afghanistan. Déborah ELLIS. Editions Hachette, collection "Témoignages", février 2014.
Et ce roman:
- La perle et la coquille. Nadia HASHIMI. Editions Milady, juin 2015.