A la rencontre d’Hokusai, des mangas, et de l’art des estampes.
Publié le 21 Février 2015
Du 1er octobre 2014 au 18 janvier 2015, le Grand Palais de Paris a organisé une grande rétrospective de l’œuvre du maître d’estampes japonais, Katsushika Hokusai.
Exposition que j’ai pu découvrir et dont je vous parle juste après la présentation d’un album paru à cette occasion, aux Editions Léon Art&Stories et dont les œuvres servent d’illustrations au texte d’Hélène Kerillis.
Le concept de cette maison d’éditions visant à mêler l’art à la fiction, est particulièrement attractif et subtil et tend à éveiller les plus jeunes à la découverte de l’art de la peinture, d’Occident ou d’ailleurs.
Je tiens à remercier les éditions Léon Art&Stories de m’avoir permis de découvrir ce très bel album, dont l’histoire est, ici, contée en anglais.
Under the Great Wave
Œuvres de Katsushika Hokusai et texte d’Hélène KERILLIS, adapté en anglais par Régine BOBEE.
Editions Léon Art&Stories, collection Art-Fiction, octobre 2014.
Dès 7 ans.
Notions abordées : perte et quête d’identité, espoir, amour filial, voyage, Japon, Art.
Kajiro est pêcheur.
Comme tous les jours, à l’aube, il s’en va jeter ses filets dans l’immensité bleue.
Mais aucun poisson n’est pris.
Kajiro pense à son fils, qui a faim.
Le ciel s’assombrit.
Une vague gigantesque, plus haute et plus forte que celles qu’il a déjà vues, submerge sa frêle embarcation et l’emmène au loin.
Et tandis que le vent se calme, que tous s’apprêtent à reconstruire, son fils perd la mémoire, de son nom, de son identité. Les pleurs et les cauchemars l'assaillent.
Tossed by the wind
Kajiro’s boy has lost
All memories.
The wind blanked all out
Children without their parents
Parents without their children
Le fils et le père, tentent chacun de leur côté, de rejoindre le Mont Fuji, le seul qui pourra les aider et les réunir. Mais la route est longue, parsemée de doutes et d’embûches, mais heureusement, certaines gens ou la beauté de la nature renaissante les encouragent.
Les deux dernières pages de l’album nous apportent quelques informations sur l’artiste, le Japon, ses croyances, ses arts…
Cet album est d’autant plus émouvant qu’il est issu d’une histoire vraie, comme cela est révélé. Durant la période Edo (environ 1600 à 1853), le Japon vivait replié sur lui-même, personne ou presque, n’entrait ou ne sortait du pays, sous peine de mort.
Depuis toujours, les côtes nippones sont frappées par des tsunamis. (Le dernier, très important remonte au 11 mars 2011.)
La population est habituée, résignée. Il faut rebâtir, repartir, certaines gens périssent, ou tout du moins le croit-on. Un pêcheur, Nakahama, que l’on croyait disparu, a été recueilli par des Américains, en 1841. Devenu interprète, il put rentrer chez lui en 1853, lorsque le Japon ouvrit ses frontières.
Le texte est succinct, direct. Sa forme est celle des haïkus. Ces petits poèmes brefs, très codifiés (trois vers de 5-7-5 syllabes) et qui ont pour but de dire en peu de mots toute l’évanescence des choses, et qui sont apparus au XVIIe siècle.
Les estampes d’Hokusai sont toutes splendides et sont à merveille complétées par les aquarelles d’Hélène Kérillis. Douze estampes, entières ou non, sont ici reproduites et font toutes partie de la série des Trente-Six Vues du Mont Fuji, réalisées entre 1830 et 1832.
Elles oscillent entre des couleurs délicates et fragiles et d'autres, profondes et mystérieuses, bleues, rouges.
Le Mont Fuji est un symbole, une personnalité à part entière au Japon. Montagne sacrée, mont d’éternité, il est devenu l’objet central de plusieurs séries d’estampes d’Hokusai qui l’a représenté sous toutes ses formes, tout petit ou majestueux, à plusieurs moments de la journée, sous diverses luminosités, perspectives.
Sous la grande vague au large de Kanagawa est peut-être l’œuvre la plus connue, diffusée et reproduite, d’Hokusai à travers le monde.
Pour représenter cette vague, gigantesque, destructrice, Hokusai a utilisé deux choses nouvelles : la perspective occidentale et le Bleu de Prusse, hypnotique.
Je l’ai déjà croisée dans plusieurs albums ou romans jeunesse et elle est même devenue le logo de la marque de sport Quicksilver !
Vous pouvez la voir, adaptée, parfois transformée:
- dans l’album Dragon de feu de Chen Jiang-Hong.
- dans l'album Mon papa pirate de Davide CALI et Maurizio A.C. QUARELLO.
- dans le roman jeunesse The sea giant. Paul THIES et louis ALLOING. (Article à venir)
- dans le dessin animé d’Hayao Miyazaki Ponyo sur la falaise.
- En arrière-plan d'une illustration d’un coffret de loisir créatif Djeco, intitulé « Jeunes filles aux cerisiers », feutres et pinceaux, dès 9 ans.
Les Editions Léon Art&Stories publie ses albums en français, anglais et en néerlandais à l’exception de trois.
Je vous ai présenté Azulie dans la nuit, dont le texte de Nancy Guilbert fait écho aux peintures mouvementées de Marc Chagall.
Qui était Katsushika Hokusai ?
Katsushika n’est d’ailleurs pas son prénom mais l’un des multiples qu’il s’est lui-même choisi au cours de sa longue vie. Il le choisit en 1798 et est le nom du quartier dans lequel il a grandi. Chacun de ses noms a représenté l’état de son art ou de son esprit au moment du changement. Il se désignait volontiers également par le « (Vieux) Fou de peinture ».
L’exposition que lui a dédiée le Grand Palais de Paris retrace son existence et son parcours de manière chronologique.
Hokusai est né en 1760 à Edo (l’actuelle Tôkyô). Après avoir dessiné quantité d’estampes plutôt bon marché durant ses années de formation, il prend vite de l’assurance, se forge une solide réputation, et change plusieurs fois de style comme de nom. Il est à l’aise dans différents types de représentations, pour diverses clientèles et a une production très abondante.
A partir de 1810, Hokusai répond à l’attente et à la demande de nombre de ses disciples et admirateurs en créant ses mangas.
Man veut dire, exécuté de manière légère et –ga, dessin. « La manga » est composé de quinze carnets, qui sont des manuels de dessin, renfermant de nombreux croquis d’hommes, femmes, samouraïs, attitudes et poses, ainsi que des éléments de la faune et de la flore, soit plus de 3900 esquisses ! (Publiés à partir de 1814, les deux derniers seront posthumes)
Beaucoup, pas tous, attribuent la paternité des mangas actuels (BD japonaises) à Hokusai. C’est pourquoi, il est souvent fait référence à lui dedans, comme dans Le journal de Théo, tome 1, d’Eléonore Cannone que je vous ai présenté là.
Le carnet de Théo. Tome 1. Dans ma bulle. Eléonore CANNONE et Sinath. (Dès 12 ans) -
Le carnet de Théo. Tome 1. Dans ma bulle. Texte d'Eléonore CANNONE et illustrations de Sinath. Editions Rageot, septembre 2012. 299 pages. Dès 12 ans. Thèmes abordés : Adolescence, collège, m...
Et il figure tout naturellement dans le Dico Manga. (Pages 216-217)
Le dictionnaire encyclopédique de la bande dessinée japonaise. Sous la direction de Nicolas FINET, édité chez Fleurus en mars 2008.
Il nous apprend que le terme manga est déjà utilisé depuis le XVIII siècle pour « signaler la nature disparate d’un ouvrage ». Ce n’est qu’en 1902 que l’artiste Kitazawa Rakuten donne au mot « manga » le sens que nous lui attribuons aujourd’hui.
Le Magazine d’initiation à l’art, Le Petit Léonard, éditions Faton,consacre son numéro 195 à Hokusai, le fou de dessin et offre une belle part de son dossier aux mangas.
BD cultes au Japon, on trouve ces dessins typiques partout : expressions volontairement exagérées, grands yeux, forte présence d’onomatopées, lignes de vitesse…
Leur succès est tel que l’offre s’est très vite étoffée et que plusieurs genres sont apparus :
- shônen manga, plutôt pour les adolescents, avec au menu aventure, bagarre, tout en humour. On y croise des samouraïs, des ninjas, des sportifs… (One Piece, Ippo, Dragon Ball Z, Naruto…).
- shôjo manga : pour les filles. Histoires sentimentales ou pouvoirs magiques. (Sailor Moon, Life, Nana, …).
- gekiga : mangas réalistes.
- seinen manga : pour les adultes.
- josei : lectrices adultes.
Je vous en déjà présenté deux :
- Le premier tome du Maître des Livres, éditions Komokku.
- Le premier tome de Pan/Pan Panda, Une vie en douceur, aux éditions Nobi-Nobi.
Le magazine propose une approche ludique de l’art au-travers de dossiers, de portraits, petits jeux…
Toujours soucieux d’enseigner son art, Hokusai, préfère aux livres de lecture, les manuels de peintures, mais c’est à partir de 1820 qu’il réalise ses œuvres les plus connues : les ukiyo-e, les estampes du monde flottant.
Qu’est-ce qu’une estampe ?
Une estampe est un dessin d’imprimerie, réalisé à partir d’un dessin, qu’un graveur reproduit dans plusieurs planches de bois. Une feuille blanche et humide est disposée sur la planche de bois préalablement colorée d’une seule teinte, puis l’imprimeur exerce une forte pression sur la feuille à l’aide d’un baren (tampon). Il reproduit ce geste sur plusieurs planches jusqu’à ce que son dessin soit coloré selon le souhait de l’artiste.
Ainsi, des dizaines, des centaines, voire plus, de dessins identiques pouvaient ainsi sortir, « en série », des ateliers et être distribuées ou vendus. Les estampes représentaient d’abord des geishas ou les divertissements dont la capitale Edo regorgeait.
Plaisirs qui donnèrent leur nom d’ukiyo-e à ces dessins (uki étant pour les bouddhistes, le monde superficiel des apparences) et qui demeura. Mais au tournant du XIXe siècle, la censure bat son plein et il n’est plus possible de représenter les courtisanes ou autres sujets de plaisirs. Hokusai commence alors à représenter des paysages, avec notamment ses deux grandes séries sur le Mont Fuji, qui feront sa renommée !
Hokusai a su, bien que le Japon ait ses frontières fermées, s’imprégner des quelques bribes d’influences extérieures et qu’il a su mettre à profit dans ses sujets typiquement japonais : perspective occidentale, peinture asiatique (et notamment chinoise) traditionnelle. Et à chaque fois, le public est ravi !
Vers la fin de sa vie, Hokusai revient à la peinture, pour des sujets religieux, des représentations végétales ou animales, telles ce magnifique dragon.
Il meurt en 1849, à l’âge de 89 ans.
Ce n’est qu’à la fin des années 1850, avec l’ouverture des frontières, que les étrangers, et notamment les artistes européens, au premier rang desquels les frères van Gogh, auront accès à son art ! Ces peintres sont ravis de trouver de nouvelles sources d’inspirations et c’est ainsi qu’une vague japonisante a déferlé sur toute l’Europe.
La Pinacothèque de Paris a consacré une double exposition fin 2012-début 2013 à la rencontre de ces deux formes d’arts, et notamment entre Vincent van Gogh « Rêve de Japon » et Hiroshige, « L’art du voyage ».
Double exposition que j’avais pu admirer et dans laquelle, les œuvres de l’un et de l’autre étaient mises en miroir afin de mieux observer les influences.
Hiroshige, « successeur » mais aussi rival d’Hokusai, a enrichi davantage encore l’art de l’estampe. C’est pourquoi la Revue DADA les a réunis tous les deux dans son numéro 180 de Février 2013.
Hokusai, Hiroshige
Et les maîtres de l’Ukiyo-e.
Tout comme Hokusai, Hiroshige a beaucoup représenté la nature, et notamment le Mont Fuji. Mais il souhaitait d’en démarquer.
Le maître Hokusai publia avant moi une série des Cent Vues. Il y a transformé le mont Fuji et la nature pour y créer son monde à lui. Or moi, je ne peux que copier la nature des choses. Ainsi mes œuvres sont comme des photographies.
Il veut que tous ressentent au-travers de l’image les émotions que lui a eues devant les paysages. La météo, la saison, l’heure et la luminosité de la journée ont toute leur importance et supplantent parfois l’activité humaine, présente en arrière-plan.
La revue nous rappelle qui sont ces artistes, leurs œuvres et sujet, leur histoire et leur contexte politico-culturel.
La rubrique ABCD’ART permet de tout résumer clairement.
Le plus, ce sont les ateliers qu’elle propose de faire avec les enfants, ici une estampe.
Et pour finir, elle n’oublie pas de nous parler de l’actualité de l’art : explications d’œuvres, expositions ou ateliers à faire, livres à lire et une interview.
Le concept de cette première revue d’art est vraiment bien fait et complet !
Je vous ai déjà présenté celle sur Keith Haring.
Andy Warhol et Keith Haring. (dès 4 ans) -
ANDY WARHOL ET KEITH HARING Dans la suite de mon article sur l'Art, voici deux livres que nous aimons particulièrement à la maison. Le Roi du Pop Art Andy Warhol et son ami, Keith Haring, qui a ...
http://vivrelivre19.over-blog.com/2013/11/andy-warhol-et-keith-haring.html
Un roman, dès 9 ans, pour connaître l’art d’Hokusai, l’époque, les us et coutumes du Japon ?
Le vieux fou de dessin de François PLACE. Editions Gallimard Jeunesse, collection « Folio Junior », octobre 2014.
Pour connaître davantage Hiroshige et ses œuvres, les Éditions Taschen ont publié en 2012, ce très beau livre, éponyme et écrit par Adele SCHLOMBS.
Des livres de coloriages fleurissent un peu partout et sur tous les thèmes.
Les Éditions du Chêne ont publié ce très beau cahier de coloriages, intitulé Paysages du Japon. Utagawa Hiroshige, reproduisant vingt estampes du maître et nous invitant à colorier dans les mêmes teintes, celles vierges. Chacune est d’abord présentée en quelques mots.
Je vous ai déjà présenté des livres de coloriages pour adultes et enfants, ici et là.
Et vous, êtes-vous sensible à l’art des estampes, aimez-vous lire des mangas ?
Les magazines Le Petit Léonard ou Dada vous intéressent-ils ?
Belles lectures, expositions et découvertes !
Blandine.
L’album Under the Great Wave participe aux Challenges "1% Rentrée Littéraire 2014" et “Je Lis Aussi des Albums 2015” de Sophie Hérisson..
Sous la grande vague d'Hokusai avec un regard d'enfant - Ma petite Médiathèque
Aujourd'hui je vous propose une sélection d'album jeunesse autour du grand maître de l'estampe japonaise : Hokusai. Comment parler Hokusai sans passer par sa très fameuse Grande Vague ? Un pari que
http://mapetitemediatheque.fr/2015/07/sous-la-grande-vague-dhokusai-avec-un-regard-denfant/
Bidib a consacré un bel article à Hokusai avec présentation d'albums et d'estampes, cliquez vite!