Le fil des souvenirs. Victoria HISLOP - 2014

Publié le 16 Novembre 2014

Le fil des souvenirs

Victoria HISLOP

Le Livre de Poche, mai 2014. (Grande-Bretagne, 2011)

547 pages

Thèmes abordés : Famille, voyage, histoire, culture, mémoire, guerres, amour.

Victoria Hislop, l’auteure de l’Île des oubliés, signe à nouveau une saga familiale, qui se déroule à nouveau en Grèce, mais dans la ville cosmopolite et multiculturelle de Thessalonique.

Les lieux ont une histoire, les lieux ont une âme, ils vivent et vibrent en-dehors et en nous, ils sont notre histoire, notre mémoire, une partie intégrante de nous. On ne peut pas vivre n’importe où et toujours, restera en notre cœur un lieu, une ville, qui abrite nos racines ou nos souvenirs.

C’est pourquoi les grands-parents de Dimitris, affectueusement surnommé Mitsos, ne peuvent quitter leur chère ville de Thessalonique. Bruyante, vibrante, pleine de vie mais aussi de dangers divers pour des personnes âgées, elle leur rappelle tant de souvenirs, qui les ont façonnés. Dimitris ne peut encore comprendre cela, il est (trop) jeune, et tout un pan de l’histoire de sa famille lui est encore inconnu. Celle que ses parents ont fui, celle que ses parents ne peuvent, ni peut-être ne veulent, comprendre et donc lui transmettre.

Dimitris et Katerina vont la raconter en détail à leur petit-fils, lui faire vivre leur histoire, leur passé, leur mémoire, leur vie, leur amour, pour qu’il voit cette ville avec d’autres yeux, d’autres sentiments.

Thessalonique se caractérisait par sa densité. Le nombre d’habitants, leur concentration dans un espace circonscrit d’un côté par les murs de la ville et de l’autre par la mer en faisait un creuset de parfums puissants, de couleurs éclatantes t de bruits continus. Les cris des vendeurs de glace, de lait, de fruit ou de yaourt, caractérisés chacun par leur tonalité propre, formaient néanmoins un ensemble harmonieux.
Nuit et jour, la musique de la ville ne connaissait pas d’interruption. On y parlait de nombreuses langues : dans les rues on n’entendait pas seulement le grec, le turc et le ladino, la langue des Séfarades, mais aussi le français, l’arménien et le bulgare. Le fracas d’un tram, les appels à la prière, dissonants, d’une douzaine de muezzins, le cliquetis des chaines quand les bateaux entraient dans les docks, les voix rudes des débardeurs qui s’occupaient du déchargement – produits de première nécessité ou de luxe – pour satisfaire les appétits des riches et des pauvres… tous se combinaient pour composer une mélodie infinie.

Page 31.

Dimitris Komninos est le fils de Konstantinos Komninos, riche marchand de tissu de Thessalonique. Il ne vit, et ne pense, que pour son travail et les bénéfices que ce dernier lui offre. La guerre qui fait rage autre part dans le monde, ne l’intéresse que parce qu’elle lui donne l’occasion de s’enrichir davantage. Rigueur et prospérité sont ses maîtres mots ! Son épouse, Kyria Olga, est une magnifique jeune femme, qui porte, enfin, son fils. Dimitris naît en 1917 au moment où un terrible incendie ravage plus de la moitié de la ville, les quartiers pauvres, une partie des quartiers aisés, des boutiques et des entrepôts, dont ceux de Konstantinos.

Malgré l’incendie qui a tout emporté, il rebâtit une entreprise encore plus florissante. Les demandes constantes en uniformes militaires (laine), sa réputation et son statut social, lui permettent de se développer davantage. Il voit les choses en grand et décide de se faire bâtir un hôtel particulier et un atelier à la hauteur de sa mesure.

Mais cela prend du temps, et Kyria Olga décide de revenir habiter dans la maison de sa mère, rue Irini. Une petite rue des quartiers pauvres dans les hauteurs de la ville. Une rue vivante, amicale et bigarrée, où toutes les origines et religions se côtoient, où tous se connaissent et s’entraident. Une rue où vivent des familles et des gens que son époux méprise plus que tout. Une rue de souvenirs et de futurs, de joies et de peines, une rue d’adieux et d’espoirs.

Katerina, la grand-mère de Mitsos, n’est pas née à Thessalonique. Sa ville natale, Smyrne, mise à feu et à sang par les combats opposants Grecs et Turcs a forcé nombre de ses habitants à fuir la ville, dans un chaos indescriptible et inhumain.

Séparée de sa mère et de sa petite sœur par la foule aux abords des bateaux qui embarquent la population, elle est recueillie et aidée par un soldat grec. Après lui avoir nettoyé la brûlure de son bras, il lui permet de monter sur un bateau à destination de la Grèce, oui, mais où ? Sa mère va à Athènes, mais elle ? Elle est confiée à Eugénia, maman des jumelles Sarah et Maria, qui fuient également.

La route jusqu’à Thessalonqiue et la rue Irini est très longue et chaotique pour elles quatre. Espoirs et peurs se mêlent mais jamais le découragement ne vient !

Alors que les réfugiés, parmi lesquels Eugenia et les filles, débarquent un peu partout en Grèce, les premières exactions religieuses frappent les musulmans, qui sont enjoints à quitter leur maison et leurs biens pour un autre lieu, un autre pays… Ces « invitations » permettent à Eugenia et ses « trois » filles de s’installer là, grâce à l’aide d’une femme américaine, de l’aide humanitaire.

Dans cette petite rue conviviale, dans les hauteurs de la ville, vivent donc déjà Olga, Dimitris et leur bonne Pavlina, en attendant que leur vaste et belle demeure soit construite. La famille Moreno, juive, tailleurs prospères, concurrents tant en qualité qu’en réputation, Konstantinos Komninos.

Les enfants grandissent ensemble, vont à l’école, suivent ou déçoivent les ambitions parentales. Olga s’en va avec Dimitris. Sa si grande nouvelle maison, majestueuse, sera désormais sa prison.

Sarah et Maria ne veulent pas ressembler à leur mère, elles veulent vivre leur vie, être indépendantes et s’en vont travailler dans les usines de tabac, seule reste Katerina, qui devient couturière. Une extraordinaire couturière !

Elle a enfin pu retrouver la trace de sa mère, à qui elle écrit. Retrouvailles heureuses mais bouleversantes, retrouvailles à jamais épistolaires qui entretiennent souvenirs et illusions d’un bonheur passé, d’un futur impossible et qui ancrent davantage Katerina dans son présent.

La Seconde Guerre Mondiale éclate, elle profite à certains, un petit nombre dont Konstantinos Komninos. L’auteure nous décrit particulièrement bien les remous, les incertitudes, les doutes quant aux croyances politiques des uns et des autres, la haine des communistes, la fraternisation avec les Allemands, et la honte ou la fierté que ressentent les parents à l’égard de leurs enfants, devenus grands et faisant leurs propres choix.

La Grèce est secouée de séismes également religieux et économiques. Les Juifs sont déportés, leurs biens pillés, réquisitionnés. Comment les autres pouvaient-ils savoir qu’ils seraient exterminés ? Une question qui hante Eugénia et Katerina.

Et les rares qui reviennent, amaigris et désœuvrés, trouvent une ville et une population inhospitalière.

Chaque jour, de nouvelles preuves de la monstruosité du crime perpétré contre les juifs étaient mises au jour. Elles avaient certes assisté à la destruction gratuite des synagogues et à l'éviscération de l'ancien cimetière, mais l'extermination de millions d'hommes, de femmes et d'enfants était impossible à concevoir pour l'esprit humain. La réalité de ce qui était arrivé à leurs amis était à présent incontestable, pourtant elle restait inimaginable.

Page 424

A la guerre mondiale succèdent la guerre civile, les répressions, les traques des communistes et la dictature.

Sans oubli, le temps passe, tasse. Dimitris, qui avait pris le maquis, à la honte et à la haine de son père, revient et retrouve sa mère. Katerina a du faire un choix. La société est encore très patriarcale et le mariage est encore l’une de seules voies d’émancipation et d’élévation sociale pour les jeunes filles.

Son avenir lui appartient et elle arrive à le reprendre en main.

Victoria Hislop

Victoria Hislop nous fait les portraits de vies qui se croisent, se mêlent, se déchirent, s’affrontent, dans des cercles d’abord larges, puis qui se concentrent avant de s’élargir à nouveau… Thessalonique, Smyrne, Rue Irini, en Grèce, pour la Grèce.

L’auteure joue sur les différentes significations du mot fil, dans le cadre géographique de son roman, puisque Thessalonique est une ville très couturière, dans son vocabulaire qui emprunte beaucoup à ce métier. Souvent le texte a la douceur d’une étoffe, l’éclat d’une couleur, la tristesse d’une déchirure, des fils qui se rompent, se tordent. Comme les souvenirs que l’on malmène ou que l’on recherche. Ces souvenirs qui se transmettent comme un cadeau ou un fardeau, par la parole, un don ou des objets, qu’ils soient familiaux, culturels ou religieux, une odeur, des recettes…

Elle comptait préparer une soupe de riz à l’œuf et au citron, des aubergines rôties à la feta, de l’épaule d’agneau avec des flageolets t un gâteau aux noix accompagné de sirop. Il y aurait aussi des loukoums confectionnés la veille.

Page 494

Mais nos souvenirs ne nous appartiennent pas qu’à nous seuls, nous les avons en commun avec les autres, et parfois ils pèsent bien lourd sur les consciences ou sur nos descendants…

Bien que cette saga familiale m’ait moins plu que celle de l’Île des Oubliés, elle ne m'a pas laissée indifférente ! Victoria Hislop en faisant le récit d’autres nous parle de nous et en ce qui résonne en chacun d’entre nous !

Sa nouvelle saga familiale, Une dernière danse, dont quelques pages fermaient le Fil des Souvenirs, reprend le même schéma narratif.

Une page de l’histoire ouvre le livre, pose le cadre, avant qu’on ne remonte le temps jusqu’à retrouver ces mots dans le cœur du roman. Elle se déroule en Espagne, dans la chaude Andalousie ! Rien que pour cela, j’ai hâte de la découvrir !

Belles lectures et découvertes,

Blandine.

Retrouvez-moi sur FacebookTwitter,PinterestInstagramtumblr et Google+

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article