Un secret. Philippe GRIMBERT - 2007
Publié le 5 Octobre 2014
Un secret
Philippe GRIMBERT
Le Livre de Poche, octobre 2007
185 pages
Thèmes : autobiographie, famille, mémoire, transmission familiale, Deuxième Guerre Mondiale, Shoah, mort.
J’avais déjà entendu parler de ce livre, de son auteur aussi, que j’ai pu rencontrer une fois, et de son adaptation cinématographique, dont la couverture reprend l’affiche.
Un soir, en allumant la télévision, je suis tombée par hasard sur le film. Il était déjà entamé mais je suis restée devant, intriguée et captivée.
Toutes les familles ont leurs peines, leurs joies et leurs histoires. Certaines parlent et racontent naturellement, ou parce que c’est un besoin, leur histoire pour conjurer le sort. Or d’autres, se taisent, dissimulent, enferment à double tour les émotions et souvenirs trop pénibles. Et davantage lorsque le joug de l’Histoire s’est abattu sur elles, rendant leur présent pénible, leur futur impossible et leur passé inavouable, car trop douloureux.
L’œuvre de destruction entreprise par les bourreaux quelques années avant ma naissance se poursuivait ainsi, souterraine, déversant ses tombereaux de secrets, de silences, cultivant la honte, mutilant les patronymes, générant le mensonge. Défait, le persécuteur triomphait encore.

La famille de Philippe Grimbert est de celles-ci. Il en faut du courage, de la curiosité, de la force, de la distance aussi, pour imaginer, entrevoir, entendre, comprendre, assimiler, voire accepter, le passé parental et familial. Pour se et nous plonger dans cette intimité.
Sans fard ni artifice mais sous le prénom de François, il nous délivre sa vision de l’histoire de ses parents, de leur rencontre, de leurs amours. Il se les est représentés, imaginés, ressassés, améliorés. Mais quelque chose manquait, ou plutôt pesait. Un silence, une omission, une ombre latente, une comparaison.
Il s’est créé un grand frère. Mais cet être imaginaire n’était-il pas le fruit d’un savoir instinctif, qui aurait transcendé la connaissance ?
Philippe Grimbert est né en 1948. Il a bien eu un grand frère, que peu à peu, Louise, une amie et voisine de la famille, va lui faire connaître. De sa naissance à sa mort. Ce rideau levé, à la fois tragique et délivrant, va lui en apprendre sur lui-même, ses parents, sa famille, l’Histoire et les réconcilier, avec le temps.
Tous mes proches savaient, tous avaient connu Simon, l’avaient aimé. (…) A leur tour, sans le vouloir, ils l’avaient rayé de la liste des morts comme de celle des vivants, répétant par amour le geste de ses assassins.
Le livre se découpe en deux parties. L’histoire imaginée de la famille par Philippe enfant, puis la vraie, peu à peu mise à nue par Louise. Les deux s’entrechoquent, s’imbriquent, font des allers-retours mais le récit suit un ordre chronologique. Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour que le fils parle et comprenne son père et que ce dernier le voit enfin, lui, et non pas au-travers du prisme du disparu. Philippe est devenu psychanalyste, son métier n’est pas anodin et l’a indéniablement aidé. La connaissance et la parole du fils va délivrer le père.
Le retournement me troublait : tenu si longtemps à l’écart de ce drame, j’en savais aujourd’hui davantage que mon père sur son secret.

L’adaptation cinématographique dans laquelle joue Patrick Bruel notamment, sortie en salles le 3 octobre 2007 et réalisée par Claude Miller, est magnifique.
Quelques dissemblances, comme le physique maternel, mais le tout est très fidèle au roman.
A l’origine, Philippe Grimbert avait intitulé son roman Cimetière des chiens. Il avait découvert que Laval, qui avait permis la déportation de milliers de juifs français, et causé leur mort, avait plus de considérations, d’émotions, de tristesse pour ses chiens, que sa fille avait fait délicatement enterrer sur sa propriété.
Son livre a obtenu le Prix Goncourt des lycéens 2004 et le Prix des Lectrices de Elle, en 2005.
Devant ce cimetière, entretenu avec amour par la fille de celui qui avait offert à Simon un aller simple vers le bout du monde, l’idée de ce lire m’est venue. Dans ses pages reposerait la blessure dont je n’avais jamais pu faire le deuil.