Fuites. Annie PREAUX.

Publié le 30 Octobre 2014

Fuites. Annie PREAUX.

Fuites

Annie PREAUX.

Editions M.E.O., août 2014.

175 pages.

Thèmes abordés : Première Guerre Mondiale, famille, transmission intergénérationnelle, mémoire.

Il est des moments dans nos vies où passé et présent se confondent, ne se distinguent plus. Le futur ? Il n’est envisageable et envisagé que parce qu’il permettra de répondre aux questions, celles d’hier et celles d’aujourd’hui. Tout en amenant d’autres…

Fuites des temps.

Fuites des corps.

Fuites des pensées.

Voici tout ce que ressent Aline, jeune retraitée.

Professeure pendant 40 ans, elle a passé sa vie à enseigner aux jeunes générations l’Histoire, la grande mais aussi la petite, et donc un peu de la leur, l’importance du passé et ses conséquences jusqu’à nous. Transmettre aux autres pour ne pas avoir à se pencher sur le sien. Le sien propre d’abord, celui de sa famille ensuite, celui de sa grand-mère maternelle dont elle porte le prénom… Aline….

Nous sommes en Belgique, en région wallonne, vers Mons, Malplaquet, Bavay. Que s’est-il passé ici il y a cent ans et qui résonne encore jusqu’aujourd’hui ?

Le roman met en parallèle plusieurs situations et plusieurs temporalités. Celle d’Aline qui accepte enfin de regarder par la fenêtre du passé.

Cette grand-mère au même prénom qui, jeune fille, a du quitter la Belgique pour la France, en août 1914, par cette voie romaine, pavée, aux sens propre et figuré.

Elle partait avec sa mère, Maria, ses sœurs, Henriette, Julia, ses frères, Germain et Albert, pendant que son père Emile s’en allait combattre. Car la Belgique, bien que neutre, était envahie par les Allemands, ceux-là mêmes qu’Aline et les siens fuyaient, précédés par une sombre réputation.

Les miens avaient dû hésiter pendant une heure ou deux, mais quand ils ont entendu la canonnade, quand on leur a dit que le terril du Crachet avait reçu des obus, en même temps que les tranchées des soldats à cottes, ces Ecossais qui avaient été l’attraction des derniers jours, Maria a sans doute prononcé quelque parole définitive après qu’Emile eut affirmé qu’on ne pouvait abandonner les bêtes : en tout cas, elle ne resterait pas. Cela voulait dire que ses enfants non plus. Les Allemands faisaient marcher en tête de leurs colonnes tous les jeunes qu’ils pouvaient attraper. Ils leur couperaient les mains s’il le fallait. C’était le bruit qui courait.

Pages 10-11.

Mais en même temps qu’Aline remonte cette voie, qu’elle remonte le temps, qu’elles découvrent lieux et personnes, d’autres fuient d’autres territoires, et son pays autrefois envahi est à présent une terre d’accueil. Teresa qui l’aide à vider la maison de sa mère (Hélène) a elle-même fui le Kosovo et sa situation ressemble cruellement à celle d’Aline.

Conflits d’hier et conflits d’aujourd’hui.

Le roman est d’une actualité brûlante.

L’Histoire sert-elle à quelque chose ?

La guerre civile fait rage en Syrie. Des milliers de réfugiés marchent sur la route de la frontière turque. Des journalistes les filment. Aujourd’hui ce sont ceux-là. Hier, c’étaient des Libyens, des Afghans, des Africains en pagaille, des Tchétchènes, des Kosovars…Avant-hier…Un siècle de guerres diverses après la « der des ders » m’envoie ses flots de sang et de souffrances à la figure. Dans quelques dizaines d’années, d’autres diront : un siècle de violences et d’atrocités après 40-45 et le génocide des Juifs, des Tsiganes, des Tutsis… L’Historie m’écœure : sa redondance, l’aveuglement de chacun, mon indifférence de spectatrice ou en tout cas le sentiment qui me permet de respirer, de manger, de savourer un fruit ou un verre de vin, pendant qu’ailleurs des gens fuient, sont emmenés, assassinés, découpés en morceaux.
Je n’en peux plus.

Page 144

L’auteure joue sur la confusion des temps et la concordance des chiffres. Teresa est en fuite depuis 14 ans, cette même année 14 où Aline fuit la Belgique, pour le sud de la France.

Fuir, mais vers où ? Fuir mais pourquoi ? Les souvenirs, Les ignorances et incertitudes se conjuguent. Faut-il vraiment savoir ? La connaissance amène-t-elle la paix ? Elle ne sait pas toujours pourquoi elle fait tout ça, pourquoi elle ressent ce besoin vital, nécessaire, de lutte contre l’oubli, le temps qui passe, irrémédiablement. Mais elle est arrivée à un point critique, un point charnier de sa vie, où elle pense trouver dans le passé familial les clés, les réponses pour leur avenir. Son fils, Alexandre, est parti aux Etats-Unis. Leur relation est en pointillés. Sa chère nièce Célia s’enfonce dans la dépression. Le passé peut-il l’aider ? Pas de passé, pas d’avenir… Son mari, Patrick, si éloigné d’elle, si distant l’un de l’autre.

Dans sa quête, elle retrouve sa grand-mère. Son mode de vie, avant, pendant et après la guerre. Elle apprend comment elle a tenu et a pu continuer à vivre. D’abord en France, dans le sud, puis à nouveau quand il a fallu repartir vers la Belgique. Nouvelle fuite, nouveau départ. Mais sans Henriette, pourquoi ? Choses perdues, choses retrouvées.

Que reste-t-il de ce que ces femmes et ces hommes ont pensé, ressenti, espéré ou désespéré ?

Page 54

Fuites. Annie PREAUX.

Deux familles se retrouvent, deux générations après, pendant que d’autres se déchirent. Une quête d’identité grâce au « dévoilement » des autres. Eternel recommencement.

Ce roman est certes une fiction mais empreinte d’éléments et de l’histoire réelle et familiale de l’auteure comme en témoigne la photographie au tout début du livre.

Fuites. Annie PREAUX.

Cette lecture m’a beaucoup parlé, m’a beaucoup émue.

La Première Guerre Mondiale est un sujet qui me touche particulièrement.

Résonnance de la Grande Guerre jusqu’aujourd’hui, dans les paysages, corps et esprits. Résonnance qui entrave les descendants, conditionne leurs vies par le silence, non-dits, disparitions… Elle est présente en filigrane, dans les lisières. Elle n’est pas présente par la boue des tranchées, l’horreur palpable du sang et des cris, à peine par les canonnades, mais plutôt par son effroyable silence.

Ce point de vue civil, et qui plus est, belge, est très intéressant. Il me semble n’en avoir jamais lu jusqu’à maintenant. Cette conjugaison des temps le rend d’autant plus captivant. J’ai cependant eu parfois du mal à suivre, à me représenter les gens, lieux ou époques.

L’auteure entretient ces confusions et en fait un récit à la fois intime et universel, presque intemporel, de vie et de mort.

Merci aux Editions M.E.O de m’avoir permis de lire ce roman grâce à l’opération Masse Critique de Babelio, que je remercie également.

Cette lecture participe aux Challenges « Une année en 14 » de Stephie et « 1% Rentrée Littéraire 2014 » de Sophie Hérisson.

Blandine.

challenge rl jeunesse

5/16

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