Soldat Peaceful. Michael MORPURGO. (Dès 11 ans)

Publié le 7 Septembre 2014

Soldat Peaceful.

Michael MORPURGO.

Gallimard Jeunesse, 2004. (Grande-Bretagne, 2003).

191 pages.

Dès 11 ans.

Thèmes abordés : Première Guerre Mondiale, famille, mémoire/oubli.

Soldat Peaceful… Soldat, guerre, Grande Guerre, tranchées, boue, étroitesse, puanteur, promiscuité de tous et de tout. Les hommes, les rats, les poux, la peur, les gaz, les obus, les morts, la Mort, les ennemis, soi-même…

Voici des mots présents dans ce roman qui décrivent, sans toutefois la saisir totalement, toute l’horreur de la Première Guerre Mondiale…

Mais ce roman, percutant, va au-delà ! Il nous emmène à la découverte d’une vie, celle de Charlie Peaceful. De ce qu’il était avant, pendant et de ce qu’il sera désormais… A cette vie, à cet homme, sont liées d’autres vies, d’abord celle de son frère, Thomas, soldat comme lui, puis celle de sa famille, restée au pays, là-bas, en Angleterre.

Les chapitres égrènent les heures qui défilent dans la nuit du 24 au 25 juin 1916, contant deux temporalités, qui se rapprochent au fil des pages pour ne faire plus qu’une, à 6h du matin. Et cette nuit, Thomas veut se remémorer, raconter qui était son frère, avant que l’aube ne pointe et efface tout.

Se souvenir de tout, dans les moindres détails. J’ai presque dix-huit ans d’hiers et de demains, et ce soir je dois me rappeler le plus grand nombre de jours possible.

Page 7

Les souvenirs fouillent la mémoire.

Ils sont décortiqués, dévoilés, petits et grands détails d’une vie qui semble si lointaine et qui pourtant est si proche. Cela ne fait « que » deux ans que Charlie et Thomas se sont engagés, à 17 et 18 ans, plus tout à fait des enfants, pas encore des adultes…

Nous les découvrons petits, dans leurs jeux, joies et peines. Leurs tribulations scolaires, la nécessité de l’éducation, les clins d’œil littéraires (Petit Chaperon Rouge) et leurs découvertes de la vie, de l’amitié, de l’amour aussi. On ressent toute l’admiration que voue le cadet à son aîné, il est son exemple, son modèle au sein d’une famille chaleureuse et aimante mais un peu à part. Orphelins de père, ils ont un grand frère, Big Joe, différent, une mère solide et affectueuse.

Une douceur dont Charlie, envoyé au pays pour blessure avant d’en revenir, ne voudra pas parler avec son frère, pour avoir toujours un havre de paix auquel se raccrocher.

C’est comme si on vivait deux vies séparées, Tommo, et j’aimerais que ça reste ainsi. Je ne veux surtout pas que ces deux mondes se rejoignent. Je n’ai pas ramené l’Horrible Hanley ni les obus à la maison, tu comprends. Et pour moi, c’est la même chose dans l’autre sens. La maison est la maison. Ici, c’est ici. C’est difficile à expliquer, mais le petit Tommo et Molly, Mère et Big Joe n’appartiennent pas à ce trou infernal, n’est-ce pas ? En parlant d’eux, je les y amène, et c’est ce que je ne veux pas faire. Tu comprends, Tommo ?

Pages 166-167

En parallèle, c’est la société rurale anglaise au tournant du siècle qui nous est décrite avec un fonctionnement encore féodal dans un monde qui s’industrialise. Les rumeurs de la guerre enflent, c’est d’abord quelque chose de très lointain puis qui explose d’un coup, qui devient tangible puis réel.

Thomas veut se souvenir de Charlie, mais aussi de lui-même, pour lui-même. Car il était, peut-être, trop souvent dans l’ombre de son frère.

J’ai eu deux longues années pour réfléchir sur la raison qui m’a poussé à décider comme ça, sur un coup de tête, de m’en aller avec Charlie. Finalement, je suppose que c’est parce que je ne supportais pas l’idée d’être séparé de lui. (…) Je ne voulais peut-être pas qu’il vive cette aventure sans moi. Il est vrai que j’aimais tout ce qui m’était familier. (…) Je ne voulais pas qu’un soldat étranger mette jamais le pied sur notre sol, chez moi. Je ferais tout ce que je pouvais pour l’empêcher et protéger les gens que j’aimais. Je le ferais avec Charlie. (...)
Je n’étais pas sûr de ne pas l’être [lâche], et j’avais besoin de le savoir.
Il fallait que je me mettre à l’épreuve. Il fallait que je me mette à l’épreuve pour savoir qui j’étais.

Pages 100-101

Ce roman nous parle émotionnellement. On est bouleversé par la manière dont la vie échappe à ces hommes, broyés par un système et par la volonté d’autres hommes… Ce patronyme, Peaceful a réellement existé. L’auteur l’a vu sur une pierre tombale à Ypres et a décidé d’écrire une fiction et de créer avec un oxymore (figure de style qui vise à rapprocher deux termes (un nom et un adjectif) que leurs sens devraient éloigner, dans une formule en apparence contradictoire.)

Peaceful en anglais signifie paisible, et dans ce contexte, pacifique…

Et Michael Morpurgo va encore plus loin, car il offre à son récit, de par son post-scriptum, une dimension politique. Celle de la réhabilitation des fusillés pour l’exemple, désertion et lâcheté, plus ou moins nombreux selon les pays, mais toujours coupables car aucun des gouvernements n’a voulu corriger cela. L’auteur donne des chiffres : environ 290 fusillés en Angleterre mais 600 en France.

La condamnation à mort de trois cents soldats fusillés pour désertion uniquement parce qu'ils avaient dormi une nuit dans une casemate au lieu de rester dans leurs tranchées, la lecture de leur procès expéditif et le fait que le gouvernement actuel ait récemment refusé de pardonner à ces familles et à ces soldats, est le déclencheur de l'histoire du soldat Peaceful

La revue des livres pour enfants", Rencontre avec Michael Morpurgo

C’est un plaidoyer en faveur de ces hommes dont les destins ont été brisés, la vie bafouée et la mémoire souillée. Un cri contre l’oubli, les oublis. Il veut rétablir la vérité historique sur ces soldats que la Patrie ne veut pas reconnaître. Ce « combat » (mot malheureusement si juste) pour la réhabilitation perdure toujours aujourd’hui, dans tous les pays, et en France, il est particulièrement fort en Corse.

Comment un oiseau peut-il survivre au milieu de tout cela, je ne le comprendrai jamais. J’ai même vu des alouettes au-dessus du no man’s land, qui pour moi ont toujours été une raison d’espérer.

Page 61

Le livre est très beau de par son texte mais aussi en tant qu’objet. La couverture reproduit celle d’un carnet de notes, journal intime, tâché et usé, fermé par une cordelette qui maintient une plume d’oiseau et un bleuet (fleur symbole, en France, de la mémoire et de la solidarité envers les anciens combattants, les victimes de guerre, les veuves et les orphelins.)

La lecture de roman tragique, et pourtant si humain, est recommandée par le ministère de l'Éducation nationale en classe de 3e et de seconde.

Il a reçu plusieurs Prix :

  • Prix Sorcières (catégorie romans pour adolescents).
  • Prix Inter-Collège / niveau 4e-3e (collèges de l'Essonne).
  • Prix Farniente, organisé par la Ligue des Familles de Belgique.
  • Prix Ado-Lisant (organisé par des bibliothèques belges).

Livre lu dans le cadre du Challenge "Une année en 14" de Stephie.

Belles lectures et découvertes !

Blandine.

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N
Je l'ai enfin lu ! Et beaucoup aimé...
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B
Tu m'en vois ravie! J'en garde un souvenir puissant et très ému!