Swing à Berlin. Christophe Lambert. (Dès 14 ans)
Publié le 21 Avril 2014
Swing à Berlin
Christophe LAMBERT
Editions Bayard Jeunesse, collection « Millézime », juin 2012.
277 pages.
Dès 14 ans.
Voici ma troisième participation au Prix Chronos de Littérature, édition 2014, dont je vous ai parlé ici, pour la sélection des 4/3e.
Désigné Lauréat de sa sélection avec 31,1 des voix!
Après Une histoire à vieillir debout de Carole Prieur, et Le Premier oublié de Cyril Massarotto, ce roman nous emmène, durant la Seconde Guerre Mondiale, en Allemagne, en plein cœur du nazisme et de ses contradictions.
Saviez-vous que les nazis ont tenté de se réapproprier plusieurs formes d’Art, dont notamment la musique? Le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, a eu l’idée de former des orchestres de jazz allemands afin de remonter le moral de la population, malmenée par la guerre, et quoi de mieux que la musique ?!
Il en changea le nom pour « musique de danse fortement rythmée » à l’esprit tout germanique, par opposition au jazz, décadent et barbare, et dont les racines noires ne correspondaient, bien sûr, pas à l’idéal nazi.
Ce genre musical afro-américain, né à la Nouvelle-Orléans au début du XXe siècle, est un croisement entre le blues, le ragtime et la musique européenne dans son ensemble.
1936, le groupe de jazz « Musician Harmonists » se produit sur scène, lorsque plusieurs SS entrent dans la salle et se dirigent vers la scène. Le pianiste Wilhelm Dussander tremble alors pour deux de ses amis, juifs…
1942. Par le biais de Dietrich Müller, de la commission d’expertise pour la musique allemande de danse auprès de la direction des émissions du REICH, Goebbels entre en contact avec Wilhelm Dussander afin de créer un groupe de « musique de danse fortement rythmée » pour enregistrer un disque et faire une tournée.
A contrecœur, ce dernier accepte et ils sillonnent l’Allemagne à la recherche de ses futurs membres. Ils doivent avoir entre 16 et 20 ans, aryens évidemment et avoir « le sens des valeurs ». Très pointilleux, perfectionniste à l’extrême, et certainement sans grande envie de voir se concrétiser ce projet, Dussander écarte tous les prétendants.
Jusqu’à ce que par hasard, et en-dehors des conservatoires, trois jeunes retiennent son attention. D’abord Ruppert, pour le piano, et qui est homosexuel. Puis Max, au saxophone et Thomas, environ 15 ans, gamin des rues, à la batterie. Le quatrième membre, à la contrebasse, Hermann, 17 ans, est imposé par Müller. Il correspond d’autant plus aux critères qu’il est inscrit dans une Napola, une école pour futurs cadres du Parti.
Il reste désormais à leur apprendre à jouer du jazz, et surtout à jouer ensemble. Car ces quatre-là sont aussi dissemblables que possible, tant dans leur enfances, que dans leur manière de jouer et concevoir la musique. Les garçons emménagent chez Dussander. Le matin, cours d’histoire sur la musique et écoute de musique et répétitions l’après-midi.
Enfin prêts, ils enregistrent un disque et partent en tournée. Ils sont adulés, attendus et triomphants ! Ils se choisissent le nom de « Goldenen Vier ». De plus en plus à l’aise, ils se permettent, chacun puis ensembles, peu à peu, de prendre des libertés avec les partitions. Cela plaît beaucoup à Dussander qui voit là la symbiose des jeunes hommes avec leur musique, entre eux-mêmes, et aussi une forme de résistance politique.
Car malheureusement, ce groupe est politique, car voulu, dirigé par et pour elle. Et ils sont rattrapés par elle. Voici les deux questions successives que l’auteur s’est posé en écrivant ce roman:
Un artiste vivant une période politiquement sombre doit-il s’engager à travers ses œuvres ? » puis « L’engagement artistique seul suffit-il à faire bouger les choses ?
Désormais un choix s’impose. Savoir, faire face, résister, ne pas voir ni entendre…
Chacun devra agir en son âme et conscience. Ils ne peuvent plus ignorer certaines choses (les camps notamment). Certains prennent contact avec Hans et Sophie Scholl, membres actifs du mouvement de la Rose Blanche à Munich. Ils acceptent de déposer des tracts dans l’espace public pour informer, dénoncer, résister…
C’est presque plus une nécessité et un espoir. Espoir que la flamme tienne, perdure et gagne. Mais jusqu’à où, jusqu’à quand, peuvent-ils défier les autorités ?
A l’inverse de mes deux premières lectures, ce roman nous entraîne sur le terrain flou du futur par le biais de la mémoire historique, nationale et immédiate. Immédiate par nos choix qui conditionnent notre futur, surtout en temps de guerre et de dictature politique. Que peut-on faire et comment le faire ? Que pensera-t-on de nous, de nos actions, de nos jugements ?
C’est sur ce postulat que commence le roman, fiction certes, mais avec des vérités historiques établies, comme nous le démontre l’auteur dans la postface du roman. C’est en visitant l’exposition, Le IIIe reich et la musique, à la Cité de la Villette en 2004, que Christophe Lambert a eu l’idée d’écrire ce livre.
Le contexte historique, certains personnages du roman ont réellement eu lieu ou existé (La Rose Blanche). Il s’est aussi fortement inspiré des groupes Charlie and his orchestra, et surtout Goldene Sieben, pour créer “le sien”, bien que sa création ait été antérieure à 1942.
Pochette de disque trouvée sur le site: MusicStack.com
Voici quelques musiques de ce groupe trouvées sur Youtube.
Die Goldene Sieben - Über die Prärie
Die Goldene Sieben Electrola EG 3371 Matritzennummer: ORA 605 Aufnahmedatum: Juli 1935
Die Goldene Sieben - Die Uhr schlägt acht
Die Goldene Sieben Electrola EG 6792 Matritzennummer: ORA 3823-2 Aufnahmedatum: April 1939
De tous temps, tous les régimes politiques ont voulu imposer leur trace artistique. Et Hitler peut-être plus encore ! Lui, qui ambitionnait d’intégrer l’Ecole des Beaux-arts de Vienne et qui en a été recalé deux fois, en a gardé toute sa vie, une amertume et même une haine féroce. La citation d’Adolf Hitler en préface nous l’indique clairement : « L’art est une mission qui oblige au fanatisme ».
Eric-Emmanuel Schmitt nous le décrit très bien dans son roman La part de l’autre, dans lequel il nous montre un Adolf Hitler artiste, reçu en cette Académie et subissant le courroux d'un fou arrivé au pouvoir…
Ce livre est poignant et nous entraîne dans son sillage. La lecture est aisée, de courts chapitres, mais un texte percutant qui nous pousse à la réflexion.
J’ai découvert qu’il faisait aussi partie de la sélection du Prix des Incorruptibles mais pour les 3e/2nde, cette année scolaire 2013-2014.
Je vous ai présenté d’autres livres sélectionnés pour ce prix, pour cette année ou non, et d’autres catégories d’âge.
Depuis 25 ans,les Incorruptibles décernent un prix, par le biais des élèves à l’école/collège, à un album ou livre. Environ six livres sont mis en compétition selon un ou deux niveaux de classe. A tour de rôle, les élèves lisent et ramènent chez eux pour le lire en famille, ou simplement plus calmement. Parfois les parents sont même invités à voter pour leur livre préféré, comme ce fut le cas pour nous lorsque ma fille était en CP (2010-2011).
« Le prix littéraire des Incorruptibles a été conçu comme un jeu, un défi à relever. Son objectif est de changer le regard des jeunes lecteurs sur le livre, afin qu’ils le perçoivent comme un véritable objet de plaisir et de découverte. L’association a reçu en 2013 l'agrément de l'Éducation Nationale, en tant qu’association éducative complémentaire de l’enseignement public. »
Blandine.
Vivrelivre. 79 likes · 18 talking about this. Vivrelivre est un blog qui aime les livres!!! Il y a déjà beaucoup de blogs sur les livres?! Ah, mais il manquait le mien!!! Découvrez vivrelivre e...
C’est un réel plaisir pour moi d’avoir été sélectionné pour le Prix Chronos et, bien sûr, un réel honneur d’avoir été primé dans la catégorie 4ème/3ème, grâce à « Swing à Berlin », un roman cher à mon cœur. Il est toujours extrêmement gratifiant pour un auteur de parvenir à lancer des passerelles entre les générations. Quel bonheur de voir une famille venir pour une dédicace quand enfants et parents ont lu et échangé autour du livre ! On a alors l’impression de devenir partie intégrante de l’histoire de cette famille. Quelle belle récompense… J’ai éprouvé un sentiment similaire en apprenant la « victoire » de mon roman, la semaine dernière, et ne suis pas peu fier de m’inscrire dans la ligne directrice d’un prix littéraire qui met en avant l’ouverture et le partage. Un grand merci à tous les participants et aux organisateurs !