A quoi pensent les Chinois en regardant Mona Lisa? C. Cayol et Wu Hongmiao

Publié le 11 Mars 2014

A quoi pensent les Chinois en regardant Mona Lisa? C. Cayol et Wu Hongmiao

A quoi pensent les Chinois en regardant Mona Lisa ?

Christine CAYOL et Wu HONGMIAO

Editions Tallandier, 2012.

Essai, 263 pages.

C’est ma petite sœur, qui vit en Chine, qui m’a prêté ce livre, car elle se doutait bien que son titre ne pourrait que piquer ma curiosité ? Dans le mille ! Mais pourquoi donc ?

Tout d’abord parce que j’aime l’Art, que Mona Lisa me parle forcément et qu’elle fait écho à mes études d’Histoire de l’Art, qu’elle habite à Shanghai, et que tout ceci fait un joli concours de circonstances.

Le titre de cet essai est percutant ! Tout semble opposer les Chinois, peuple du « bout du monde » à Mona Lisa, chef d’œuvre de la Renaissance italienne, peinte par Léonard de Vinci entre 1503 et 1506. Et pourtant ! Rien ne les associe plus ! Au Louvre, il est très difficile de pouvoir observer à loisir son sourire énigmatique tant elle est encerclée, étouffée, par les Chinois, justement ! C’est de ce paradoxe que traite ce livre, sous format de dialogues et d’observations en binôme, entre Christine Cayol et Wu Hongmiao.

Elle, vit à Pékin depuis 2003 et y a créé en 2009 la maison Yishu 8 qui favorise la rencontre des artistes chinois avec la culture française par le biais de différentes manifestations. Elle est l’auteure des livres Voir est un art (2004) et Je suis catholique et j’ai mal (2006).

Lui, vit à Wuhan, ville de dix millions d’habitants au centre de la Chine. Il en est le doyen du département de français de son université.

Ce dialogue vient du désir de se comprendre, de rejoindre l’autre non pas là où il est, mais là d’où il vient et là où il va.

page 13

A quoi pensent les Chinois en regardant Mona Lisa? C. Cayol et Wu Hongmiao

Bien sûr, le livre parle de La Joconde, mais finalement assez peu, mais ce titre est plus qu’évocateur et nous fait immédiatement comprendre de quoi il s’agit.

Pourquoi les Chinois vont-ils la voir ? Parce que c’est un chef d’œuvre, mais qu’est- ce qu’un chef d’œuvre ? Un chef d’œuvre occidental en sera-t-il un pour les Chinois ? Qu’est-ce qui diffère ou rapproche dans nos conceptions?

Nous sommes si opposés culturellement que nous ne pouvons penser à la même chose, faire appel aux mêmes connaissances, en regardant ce tableau, ou un autre. Et il est certain qu’en fonction de notre pays de naissance, notre éducation et nos valeurs nous ne percevons pas la représentation de l’Art, des Arts, de la même façon.

L’essentiel du débat se centre sur la peinture occidentale, essentiellement religieuse, qui occupe une très grande partie dans nos musées (Louvre, Prado, National Gallery à Londres, …)

A quoi pensent les Chinois en regardant Mona Lisa? C. Cayol et Wu Hongmiao

En prenant l’exemple de plusieurs tableaux de la Renaissance, les auteurs se demandent si des connaissances et de la culture chrétienne ne sont pas indispensables à la compréhension de l’œuvre.

La Renaissance italienne, française, hollandaise, change les canons de l’art, de la beauté, de la représentation. Les « progrès » des sciences, médecine et astronomie surtout, la découverte de « nouveaux mondes » remettent en cause la suprématie de l’Europe et de l’homme en tant que pièce centrale de l’univers. Cette période oscille entre un retour aux sources, représentation de l’Antiquité, des mythes fondateurs grecs et une nouvelle conception et rôle de l’art plus près de l’homme et de son quotidien. L’évolution de la peinture dans la dynastie Brueghel en est un symbole frappant. « Le peintre est le témoin de son temps » pour reprendre le titre d’une triple exposition donnée à la Pinacothèque de Paris entre le 11 octobre 2013 et le 16 mars 2014, et dont je vous parlerai dans un article à part.

A quoi pensent les Chinois en regardant Mona Lisa? C. Cayol et Wu Hongmiao

Les critères de beauté et d’appréciation de Wu Hongmiao sont surtout d’ordre personnel : il aime, ou non, la représentation de la scène. En creusant, il fait appel à sa propre grille de réflexions.

Or, les cultures occidentales et chinoises sont diamétralement opposées. Nous pensons « individuel » quand ils pensent collectif. Et inversement, La religion est une affaire collective chez nous (christianisme) quant elle est de l’ordre privé et individuel chez eux (confucianisme, taoïsme, bouddhisme). Résurrection contre réincarnation. Tout est parole chez nous, quand pour eux le silence est d’or. Place et rôle du regard. Maîtrise de la nature pour nous contre émotion. « La peinture a pour mission de représenter quelque chose de beau pour retrouver une harmonie cosmique que nous avons tendance à oublier » (Wu Hongmiao, page 169) et bien sûr la conception de l’écologie qui en découle, intérieure pour eux et extérieure pour nous. La liberté laissée au peintre est aussi sujette à questionnement : commande, motif, posture face à ou sur la toile. Le progrès est pessimiste et mélancolique en Occident, tandis qu’il est optimiste en Chine.

Pour autant, nos deux cultures font toutes deux beaucoup appel aux symboles et aux mythes, qui construisent nos sociétés et modes de pensée.

L’essai se clôt avec Picasso, autant religieux que son contraire, avec un art autant fascinant qu’incompréhensible, de prime abord.

Le risque de définir, ne se confond-il pas souvent avec celui d’en finir avec ? » Car comprendre ne met-il pas un terme aux interrogations que suscitent en nous la toile ?

Page 15, Le livre s’ouvre sur cette question :

Il leur échappe ce que nous recherchons : le sentiment de l’accord entre soi, l’autre et le monde. Il n’y a pas de bonheur plus grand que de le partager, au risque de se ressembler.

Et Christine Cayol de conclure, page 263, en citant Zao Wou Ki, dans "Autoportrait"

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Cet essai m’a vraiment beaucoup plu. J’avais un peu peur qu’il soit rébarbatif, mais nullement. Sa lecture est aisée et facile, et chaque chose expliquée, voire détaillée. Cette observation en duo, voire trio si on s’y incluse est très intéressante à au moins trois titres : nous (ré)apprenons notre culture religieuse (que l’on soit croyant ou non), nous apprenons celles de Chine et nous observons au-travers du regard chinois.

Un bémol cependant ! Des illustrations de tableaux figurent dans le livre, mais au lieu de parsemer le livre, elles ont été regroupées au centre, ce qui impose plusieurs allers-retours entre leur description explicative et leur visualisation. Et encore plus dommage, toutes les œuvres citées ne figurent pas toutes !

Petit Nota bene, pendant que je lisais ce livre, ma fille de neuf ans lisait Théo et les secrets de la météorite, dans lequel la gravure La Mélancolie (1514) d’Albrecht Dürer est mêlée à l’intrigue. Ainsi nous avons pu échanger nos observations et connaissances sur cette œuvre. C’était très constructif et enrichissant.

Je vous ai déjà parlé du premier volet des aventures de Théo ici.

Très belles lectures et découvertes.

Blandine.

Livre lu dans le cadre du Challenge « Petit Bac 2014 » d’Enna, pour la catégorie PRENOM, ligne adulte.

Ainsi que dans celui des bookineurs en couleurs, session noire, de Liyah.

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